- Le Gabon est recouvert à 88% de forêts. Réguler l’ exploitation du bois peut aider à protéger cette ressource écologique et économique
- La zone d’investissement spéciale de Nkok permet de transformer et d'exporter du bois avec des certifications reconnues en Europe.
- Mais TRACER, un organe de traçabilité de la zone de Nkok, a récemment fait l’objet d’une suspension de la part de l’administration des Eaux et Forêts
- TRACER est rétabli, mais sa suspension est révélatrice des problèmes persistants liés à la réglementation de l'industrie du bois au Gabon. Ces dernières années, le ministère des Eaux et Forêt a été impliqué dans plusieurs scandales de trafic illégal de bois
« Le challenge dans la zone de Nkok, c’est la traçabilité du bois. Il faut préserver la zone de l’exploitation du bois obtenu de manière illicite », explique Marc Ona, secrétaire exécutif de Brainforest, une ONG qui participe à la mise en œuvre de TRACER Nkok, un service de diligence raisonné assurant la légalité et la traçabilité des grumes entrant dans la Zone d’investissement spéciale (ZIS) de Nkok, au Gabon.
Le secteur forestier est l’un des piliers de l’économie gabonaise. En 2010, le Gabon a interdit l’exportation de grumes pour appuyer l’installation d’une industrie de transformation locale du bois pour générer davantage de valeur ajoutée à l’export, et donc de revenus. De cette décision est née la ZIS (autrefois ZES) de Nkok à 27 km de Libreville, la capitale gabonaise. De plus de plus de pays, dont ceux de l’Union européenne, la Chine, et les Etats-Unis, ayant promulgué des lois pour fermer leurs portes au bois issu de l’exploitation illégale, la traçabilité est devenue cruciale.
« Le Gabon est recouvert à 88% de forêts. Ce qui nous fait 41 millions d’hectares de forêts à manager. Pour être sûr que nos forêts sont préservées, on nous a attribués des concessions dans lesquelles il y a des quotas de coupes. Ce qui permet à la forêt de se régénérer et de grandir », dit Mohit Agrawal, directeur général de la ZIS de Nkok à Mongabay. « Chaque arbre est marqué et géolocalisé. On lui met un code barre, et là, il part en direction de Nkok. Quand il arrive dans la zone, il est vérifié puis transformé. Ce qui fait que lorsque quelqu’un achète un meuble Made in Gabon, il peut savoir d’où vient le bois, quel jour l’arbre a été coupé, où ça a eu lieu, qui l’a chargé, quelle taxe a été payée et quelles activités ça a développé. »
12 ans plus tard, la ZIS de Nkok regroupe 144 entreprises de 16 pays opérant dans 70 secteurs industriels, dont la transformation du bois qui regroupe 84 entreprises. Elle a généré 6,000 emplois directs.
Mais selon Ona, responsable de TRACER, la corruption reste un obstacle.
« Nous vérifions que le bois n’est pas illicite quand il arrive. Malheureusement, nous faisons l’objet de pressions de l’administration des Eaux et forêts. C’est la même administration qui se présente aux yeux du monde comme luttant contre la corruption et l’exploitation illégale», confie Ona à Mongabay. « Hier encore j’ai reçu un courrier de ce type, mais on ne se laisse pas faire. »
Depuis octobre 2021, TRACER est reconnu par l’Union européenne (UE) comme un organe de contrôle appliquant le Règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE). L’organisme est d’ailleurs en attente d’un agrément officiel. Grâce à cette reconnaissance, Tracer peut délivrer des attestations utilisables par les importateurs européens pour certifier que le bois sortant de la zone de Nkok est conforme aux critères de l’Union européenne.
Mais le 7 mars, TRACER a vu ses activités être suspendues sur ordre du ministère des Eaux et forêt qui a invoqué des irrégularités administratives. Des employés de ce ministère et du guichet unique ont remplacé TRACER. Cette suspension a pris fin le 21 avril. Contacté à plusieurs reprises par Mongabay pour donner sa version des faits, le ministère des Eaux et forêts n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Alors que la Gabon Special Economic Zone (GSEZ) évoque simplement un contretemps administratif, Ona de son côté, y voit une victoire contre la corruption. « La hiérarchie de la GSEZ a fait pression sur le ministère des Eaux et Forêts pour que nous reprenions nos activités. Nous avons été suspendus parce que certains veulent continuer à faire des magouilles dans la zone de Nkok, c’est tout. Nous craignons que l’administration du [ ministère des Eaux et forêts] ne veuille prendre le contrôle de la traçabilité du bois à Nkok.»
En 2019, l’Environmental Investigation Agency (EIA), une ONG qui enquête sur les crimes environnementaux, publiait un rapport intitulé “Commerce Toxique : la criminalité forestière au Gabon et en République du Congo qui contamine le marché des Etats-Unis.” Le rapport décrit comment Dejia, l’un des groupes chinois de sociétés forestières les plus influents d’Afrique, aurait payé régulièrement des pots-de-vin à des ministres gabonais et congolais pour obtenir la gestion et l’exploitation sans contrôle de concessions forestières.
L’EIA a aussi constaté que du bois de source illégale de Dejia aurait atteint l’Union européenne (UE) et les États-Unis, en dépit des lois qui interdisent son importation. Des pratiques qui provoquent des millions de dollars de pertes pour le Gabon, selon le rapport.
Et ça ne semble pas être un fait isolé.
Quelques mois après la sortie du rapport de l’EIA, le ‘Kevazingogate‘ éclate. Il s’agit d’un scandale sur un vaste trafic de Kevazingo, un bois sacré et précieux alors interdit à l’exploitation. Les douanes et le ministère des Eaux et forêts étaient impliquées. Très vite, le vice-président gabonais et le ministre des Forêts et de l’environnement ont été limogés. A l’époque, la zone de Nkok n’a pas été impliquée dans le scandale mais elle a vu ses prérogatives en termes de contrôle et de traçabilité augmenter. En mai 2022, le directeur général des Forêts du Gabon, membre du ministère des Eaux et forêts, a été incarcéré pour corruption et faux et usage de faux, vol et exploitation illégale d’un permis forestier.
« La chance que nous avons c’est que nous avons 2 millions d’habitants. Plus de 80% vivent dans des zones urbaines. Du coup, il n’ y a pas de pression de la population sur la forêt. C’est pour cela qu’elle est préservée, mais pour ne pas que ça change, il faut encadrer les activités », dit Ona.
Image de bannière : Des grumes en voie de transformation dans la zone d’investissement spéciale de Nkok. Image fournie par GSEZ