- En République démocratique du Congo, le Botswana a rapatrié du cobalt parti de la ville de Kolwezi en mai 2024 pour raison de radioactivité au-dessus de la normale.
- Mongabay a interrogé des experts sur les risques d’exposition des populations à ces minerais transportés par la route, ainsi que pour les mineurs et les employés des mines.
- Il s’avère que si les mines de cobalt et de cuivre ne sont pas foncièrement uranifères, ces minéraux peuvent contenir de faibles doses de radioactivité mais inquiétantes.
- Selon les experts, même à faibles doses, l’exposition prolongée à la radioactivité, est dangereuse.
Le 22 avril 2024, l’entreprise Compagnie Minière de Musonoïe (COMMUS), filiale de la chinoise Zijin Mining Group Ltd (72 % d’actifs) et de la société publique congolaise Générale des carrières et des mines (Gécamines, 28 %), est forcée de sortir du silence près de deux semaines après le renvoie depuis le Botswana de sa cargaison de cobalt. Elle dénonce des rumeurs sur des minerais très radioactifs sortis de ses usines de Kolwezi, capitale de la province du Lualaba, au nord-ouest de Lubumbashi. Le 12 avril, le gouvernement congolais avait suspendu ses activités de production de cuivre et de cobalt pour des raisons d’enquêtes. On n’en saura rien avant la reprise de la production, un mois plus tard.
Dans un communiqué, COMMUS a assuré, que sa cargaison retournée à Kolwezi a suivi les contrôles conformément à la réglementation en vigueur. Or, au Botswana, les agents douaniers ont relevé « une surcharge de radiation », rapporte le site d’informations Mediacongo.
A peu près une dizaine au total, le nombre exact n’ayant pas été communiqué, les camions retournés du Botswana transportaient de l’hydroxyde de cobalt, minerai recherché pour son importance dans la fabrication des batteries électriques. COMMUS en produit entre 2 200 et 3 000 tonnes l’an, d’après diverses sources. C’est sur ce minerai produit et raffiné (jusqu’à 25 %) en RDC que portent les soupçons de dépassement des normes de radioactivité.
Quel est le seuil de dangerosité de la radioactivité de ces métaux pour la population ?
Mongabay a interrogé trois spécialistes : deux experts du nucléaire et un géologue dont les recherches portent sur l’uranium. Tous s’accordent sur un fait : il y a moins de risques directs pour la population durant le convoyage des minerais, et plus à craindre pour les mineurs.
Le cuivre et le cobalt congolais sont-ils uranifères ?
Le cuivre et le cobalt congolais sont effectivement radioactifs, « mais pas foncièrement », insiste la zambienne Queenter Osoro, présidente de l’Association d’Afrique de l’Est pour la radioprotection (EAARP). Sa radioactivité résulte des conditions, qui ont conduit à leur minéralisation, il y a très longtemps, dans cette région tectonique lufirienne, la copperberlt ou ceinture du cuivre, qui va du nord-ouest au sud-est de Lubumbashi, jusqu’en Zambie voisine.
D’après le géologue Claver Kanzundu de la Faculté des sciences de l’université de Lubumbashi dont les recherches portent sur l’uranium depuis plus de 4 décennies, « partout où il y a plus de concentration de cobalt, l’uranium est présent ». Kanzundu décrit 4 types de gisements avec deux qui sont radioactifs et deux autres exempts de traces d’uranium.
Les quatre zones donnent les variations cuprifères dans lesquelles le cuivre est mêlé au cobalt, à l’uranium et au nickel en même temps ; où cuivre et cobalt se mélangent ou pas du tout. Les grands gisements comme ceux de Kamoto, à Kolwezi, Kalukuluku à Lubumbashi ou encore ceux de Fungurume, contiennent du cobalt à des doses plus élevées que dans les autres gisements de la région. Ils constituent l’étendue des gisements de cuivre et cobalt la plus importante et partent de Kalongwe dans les environs de Lubumbashi, à Kamoto près de Kolwezi, selon Kanzundu.
Il s’agit donc des présences anormale d’uranium qui n’a rien à voir avec les gisements essentiellement uranifères à l’instar de celui de Shinkolobwe près de Likasi, à mi-chemin entre les villes de Kolwezi et de Lubumbashi, dans le sud-est de la RDC, selon Jacob Patrick, un expert français en nucléaire qui a préféré garder l’anonymat.
Pourquoi retourner les minerais chez le producteur ?
Pour le séparer de l’uranium, le cobalt exige un traitement par des procédés chimiques spécifiques. L’hydroxyde de cobalt, exporté sous forme de poudre grise, nécessite un raffinage en Chine notamment, principale destination du cobalt congolais, avant son utilisation finale dans l’industrie des batteries électriques. S’il contient encore de la radioactivité, même à de faibles doses, « cela devient un problème pour le raffineur », dit Patrick à Mongabay. Puisque le raffinage « va laisser derrière lui des résidus qui contiendront en particulier du radium issu de la chaîne de décroissance radioactive de l’uranium, lequel est toxique et radiotoxique par ingestion. De même, la présence d’U [uranium, Ndlr] génère du radon en amont de cette chaîne de décroissance, lequel est lui aussi délétère pour les alvéoles pulmonaires de celui qui en respire en quantité », explique la même source.
Il s’ensuit que, même à faibles degrés de radioactivité, selon le professeur Claver Kanzundu, l’exposition prolongée à un tel environnement a des effets néfastes sur la santé. Puisque, comme l’indique Osoro, « les éléments créés dans les chaînes de désintégration de l’uranium et du thorium sont hautement radioactifs, des demi-vies plus courtes indiquant une radioactivité plus élevée ».
Par ailleurs, il faut des millions à des milliards d’années, entre 660 millions et 4,5 milliards d’années respectivement pour que l’U235 (Uranium 23) et l’U238 (Uranium 238) arrivent en fin de vie. Même en se désintégrant, il produit de nouveaux minéraux et gaz dont la durée de vie varie entre quelques secondes et environ 80 ans. C’est pour cette raison que de nombreux « contrôles de la radioactivité » ont lieu en RDC et ailleurs aux frontières. Mais visiblement, comme l’indique l’incident botswanais de mai 2024, ce n’est parfois pas très suivi.
Au niveau international, les contrôles des produits radioactifs ou ionisants suivent des limitations à l’instar de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’Union européenne. La directive 2013/59/Euratom de l’UE, par exemple, établit la dose annuelle de radiation de 1 mSv (1 millisievert) pour le public et des limites spécifiques pour des radionucléides dans les matériaux. Cela veut dire, pour le public, pour quelqu’un qui ne travaille pas dans un environnement exposé aux radiations, l’exposition totale annuelle aux radiations artificielles (provenant d’activités humaines) ne devrait pas dépasser 1 mSv. Le sievert (Sv) est l’unité principale qui mesure l’impact des radiations sur le corps humain (1 mSv = 0,001 Sv).
Quels dangers pour les personnes exposées ?
Le cobalt est essentiel à la vie, notamment en tant que noyau de la vitamine B12 (Cyanocobalamine). Il est présent dans l’environnement, dans l’écorce terrestre. Cependant, même à de faibles doses, une longue exposition au cobalt ou au cuivre radioactif comporte des risques. Tout est donc question de teneur, d’après les experts consultés.
Dans le cas des camions retournés en RDC, l’absence des chiffres sur la radiation ne permet pas toute appréciation objective, note Patrick qui se veut plus réservé. Toutefois, en considérant les conditions de travail des miniers artisanaux, qui descendent à plusieurs dizaines de mètres sous la terre dans des conditions de faible aération, Patrick pense que les risques peuvent être importants. Au Katanga, « j’ai personnellement pu mesurer sur des stocks de minerais oxydés de Cu (malachite pour l’essentiel) des niveaux de radioactivité qui, s’ils n’étaient pas exceptionnels, étaient suffisants pour faire de ces minerais des minerais uranifères à basse teneur économique pour peu que les volumes eurent été conséquents », indique l’expert français .
Les artisanaux opèrent généralement sans la moindre protection et dans de longs tunnels à faible aération. Or, le radon qui se dégage de la désintégration de l’uranium se concentre dans un milieu confiné où sa dose augmente, explique professeur Kanzundu. Ingéré, « le radon peut se retrouver dans les organes reproductifs » ou dans les poumons et compliquer la procréation ou causer des cancers, poursuit ce dernier. Le radon « représente un risque important pour la santé en raison de ses propriétés radioactives et de son potentiel d’accumulation dans les espaces confinés », dit Osoro.
Et contrairement à la recommandation d’éloignement de toute source radioactive, les artisanaux passent le clair de leur temps de travail dans les gisements miniers et s’assoient sur des roches à radiation élevée durant leur transport à moto ou en camion jusqu’aux points de vente. Pourtant, certaines roches sont hautement radioactives, comme l’a démontré Kanzunda le 31 octobre 2024 à l’aide d’un appareil de mesure.
Des conditions de sécurité défaillantes
L’Etat assure, à travers ses services comme la Direction de l’environnement minier, les contrôles des rayonnements ionisants et de radioactivité. Le Code minier congolais révisé en 2018 exige à toute société minière, au préalable, un plan environnemental et sociétal qui requiert l’approbation de l’administration minière et environnementale.
Ce plan, conformément à l’article 404 bis du règlement minier, tient les entreprises minières pour responsable de la radioprotection sur l’ensemble de leurs activités. Chacune doit mesurer la radioprotection de ses employés « et éviter que ses activités minières ne soient sources de contamination radiologique de l’environnement », indique cette même disposition règlementaire. Cette dernière exige en plus à son article 13, de déterminer « les points radioactifs initiaux sur le plan général et signale [signaler] la radioactivité du gisement et de la roche mère ».
Le problème, c’est la mise en œuvre et le suivi de ces exigences clairement définies, comme le montre l’incident de COMMUS au Botswana. Avant ce dernier, en 2018, c’était la compagnie suisse Glencore (11 000 tonnes de cobalt attendues en 2018 et 34 000 l’année suivante) qui avait suspendu ses productions à Kamoto, près de Kolwezi, sa plus grande mine située dans le sud-est de la RDC. Glencore avait alors relevé trop de radioactivité dans son cobalt, à la surprise de l’Etat congolais qui avait ouvert une enquête. Certains congolais avaient soupçonné un subterfuge de Glencore visant à créer la rareté sur le marché mondial du cobalt.
Ces défaillances, dans la mise en œuvre de la règlementation en vigueur, peuvent avoir des conséquences au-delà des populations exposées directement aux mines. Dans l’eau, par pollution du fait des rejets dans les rivières par les industriels ou les artisanaux, les éléments radioactifs peuvent entrer dans la chaîne alimentaire, indique Queenter Osoro. La solution, selon elle, consiste à davantage surveiller les doses de radioactivités et de s’éloigner des sources de radiation.
Image de bannière : Une carrière minière de CHEMAF (Chemical of Africa). Mine de l’étoile, à Lubumbashi, en RDC. Image de Didier Makal pour Mongabay.
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