Madagascar : Menacés par la déforestation et les feux, les apiculteurs d’Anjozorobe persistent

« Je suis convaincu par le projet, même si c’est difficile. Mais si la forêt continue à disparaître, on aura travaillé si dur pour rien », dit Lovasoa Rakotanaivo, ou Ralova pour ses connaissances, l’un des nouveaux apiculteurs locaux.

Les apiculteurs et les techniciens se réunissent autour d’une ruche pour examiner les cadres. Crédit photo: Valisoa Rasolofomboahangy.

Le corridor forestier d’Anjozorobe Angavo, bordé par le village de Dobolalina, s’étend sur 100 kilomètres (62 miles) à travers les régions d’Alaotra Mangoro et d’Analamanga. C’est l’un des derniers vestiges des forêts primaires des Hautes Terres centrales de Madagascar. Pour contribuer à sa sauvegarde, une ONG et une entreprise ont co-développé un projet d’apiculture dans les limites d’une aire protégée. L’aire protégée d’Anjozorobe Angavo couvre 52.000 hectares (128.000 acres), une petite partie du corridor forestier du même nom. Activité génératrice de revenus pour les populations locales et en même temps sans danger pour la forêt, l’apiculture est menacée par la déforestation qui fait des ravages dans la zone.

The Bee Keeper (TBK), une initiative franco-malgache de la Compagnie du Miel basée à Paris, travaille depuis un an avec l’association française Amitié Madagascar Île-de-France (AMIF) pour former des paysans d’Anjozorobe à l’apiculture. Leur approche est basée sur l’autonomisation économique des populations locales afin de réduire leur dépendance et leur pression sur les forêts. Ciblant les zones rurales où les revenus sont équivalents ou inférieurs à $2 par jour, l’AMIF fournit le matériel nécessaire et TBK forme et accompagne gratuitement les paysans. Ils démarrent ensuite le projet en identifiant les personnes motivées pour être formées. TBK a réussi avec ce modèle dans trois communautés rurales ailleurs dans le pays, exportant leur miel en Europe, au Moyen Orient et au Japon à des prix élevés en tant que produit éthique et durable.

Selon leur modèle et leurs estimations, avec 20 ruches un apiculteur pourrait vivre au dessus du seuil de pauvreté, et avec 50 ruches il pourrait entrer dans la classe moyenne. 12 villageois participent alors au projet à Dobolalina. Ils étaient 14 au départ mais deux ont abandonné, selon Christian Randrianavosoa, Responsable technique de TBK.

Essaim sauvage d’Apis mellifera unicolor, une espèce endemique de Madagascar qu’on cultive a Dobolalina. Crédit Photo © Nirina Rakotonanahary.

Le déclin inquiétant d’une forêt primaire unique

Les limites de l’aire protégée d’Anjozorobe Angavo sont bordées par des plantations d’eucalyptus, arbres étrangers destinées à l’exploitation du bois et du charbon. Cependant, il faut encore s’enfoncer loin dans les montagnes de Dobolalina pour avoir la chance d’apercevoir des morceaux de forêt primaire. En effet, les exploitants clandestins ne se contentent pas du bois d’eucalyptus et attaquent chaque année des hectares de forêts primaires. La forêt est également défrichée en raison de la culture sur brûlis et des petites mines clandestines. En outre, les feux provenant de la fabrication du charbon ou de cultures sur brûlis peuvent se propager sur des hectares et des hectares. Selon l’ONG Fanamby, gestionnaire officiel de l’aire protégée, de 2011 à 2020, les pertes s’élèvent à 900 ha (2.224 acres) par an en moyenne, le feu en étant la principale cause.

Avec 76% d’endémicité (chiffre de Fanamby), la zone abrite une faune et une flore exceptionnelles qui sont dangereusement menacées par la perte frénétique de leur habitat. Selon une étude publiée par le gouvernement en 2007, la forêt du département d’Andranomay, où se trouve Dobolalina, abrite une faune de petits mammifères plus riche que n’importe quel autre site des Hautes Terres centrales. Le rat herbivore (Voalavo antsahabensis), endémique du site, y a été découvert.

Et bien que la plupart des habitants soient des agriculteurs et éleveurs, la croissance démographique rapide signifie que le besoin de revenus supplémentaires est vital. « On est agriculteurs mais nos terres datent de nos arrières grands parents », dit Randrianosolo, un homme d’une soixantaine d’années, qui est l’aîné du groupe d’apiculteurs participant au projet. « Maintenant qu’on est plus nombreux avec nos arrières petits enfants, ça ne nous suffit plus pour vivre. »

Randrianosolo, qui n’a pas de prénom, dit s’être tourné vers l’apiculture parce qu’il avait besoin d’un revenu complémentaire à ce qu’il tire de la culture du riz, de haricots et de patates douces. En attendant la récolte qui suffit à peine à nourrir sa famille, il fait des petits boulots dans les champs, payés peu chaque jour. Les conditions de vies sont fragiles et les communautés se tournent vers ce qu’elles peuvent trouver à court terme, au détriment de la forêt primaire. « Les aires protégées où il y a des communautés qui y habitent sont les plus menacées par le feu. » dit Valentinah Randriamihaja, Coordinatrice de projet chez Fanamby.

Petites communautés éparses de Dobolalina, aux abords de la forêt primaire d’Anjozorobe Angavo. Crédit Photo © Nirina Rakotonanahary et Alain Razafindravony.
Les ruches du petit groupe d’apiculteurs de Dobolalina. Crédit Photo © Nirina Rakotonanahary et Alain Razafindravony.

La forêt est exploitée illégalement par les communautés locales mais aussi par les trafiquants ou les charbonniers de passage. Selon Fanamby, la pandémie de Covid-19 a encore augmenté la pression sur l’aire protégée en raison de l’absence de touristes — un sort commun aux aires protégées de Madagascar. « Au chômage, ceux qui vivaient du tourisme se sont tournés vers la coupe de bois. » dit Randriamihaja.

Il y a aussi une migration de réfugiés climatiques du Sud en voie de désertification qui arrivent un peu partout à Madagascar. Sans travail, ils exercent une pression sur les forêts et les aires protégées.

Par ailleurs, selon Randriamihaja, le charbonnage est d’autant plus tentant que la demande croît considérablement à Antananarivo, la capitale. À Madagascar, même dans les grandes villes, les sources d’énergie en dehors du charbon restent onéreuses voire un luxe pour la majorité de la population. « Même ceux qui ne faisaient pas de charbon avant en font. Ils sont pauvres et il y a de l’argent rapide et facile à gagner, même s’ils savent que ce n’est pas bien », dit-elle. Sur la piste secondaire menant aux abords de l’aire protégée, les traces de pneus frais des camions de charbons sont monnaie courante.

D’autre part, la région riche en bois précieux, en minerais et en pierres semi-précieuses est un aimant pour l’exploitation forestière et minière illégale. « Il est difficile de concilier les besoins des ruraux avec la protection de la forêt car ça concerne des milliers de personnes », dit Benja Mialison, Responsable des projets d’élevage à l’AMIF. « Et pour l’instant, notre projet ne touche que 12 personnes.»

La forêt abrite également des espèces très rares comme le serpentaire de Madagascar (Eutriorchis astur) considéré comme menacé par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Et selon l’étude de 2007, Anjozorobe Angavo contient plus d’espèces de lémuriens par rapport aux autres blocs forestiers du centre ouest, comme les réserves spéciales d’Ambohitantely et d’Analamaitso Tampoketsa. Il s’agit notamment des babakotos ou indris (Indri indri) et des propithèques à diadèmes (Propithecus diadema), qui sont tous deux en danger critique d’extinction, selon l’UICN. Ces grands lémuriens sont devenus farouches à cause de la chasse et du manque de couverture forestière.

« On ne voit plus de lémuriens qui arrivent jusqu’ici parce que les portions de forêts ne sont pas assez épaisses », raconte à Dobolalina Victorine Raoliarimanana, l’épouse de Ralova. « Mais on peut entendre des chants de babakoto vers mi-septembre. » Les cris du babakoto peuvent porter jusqu’à 4 km (2.5 miles) à la ronde.

Vue aérienne de la forêt primaire d’Anjozorobe Angavo. Crédit Photo © Fanamby.
Des morceaux de forêt primaire sont encore défrichés illégalement à Dobolalina. Crédit photo: Valisoa Rasolofomboahangy.

Le miel des forêts primaires, un défi à long terme

Selon TBK, toutes les conditions étaient réunies pour obtenir du miel de forêt primaire. En même temps un argument marketing pour pouvoir vendre un produit unique, ce miel pourrait aussi à long terme générer des revenus stables pour les communautés d’Anjozorobe tout en sauvant la forêt. Mais le projet est actuellement confronté à de nombreux défis qui décourageraient de nombreuses personnes.

A la mi-août, un incendie de cause inconnue a détruit une partie de la forêt d’Andranomay, en bordure de l’aire protegée, à environ 5km (3 miles) de Dobolalina. L’incendie a contribué à une série de retards qui ont repoussé la première collecte de miel de TBK, qui aurait dû avoir lieu en août. « Pour l’instant on galère parce que la forêt recule plus vite que les abeilles travaillent ! » dit Gaël Hankenne, co-fondateur de TBK et de la Compagnie du Miel. Les abeilles ont de moins en moins de fleurs à butiner à mesure que la forêt est détruite.

« Le jour de l’incendie, il y avait tellement de fumée qu’on dirait qu’il y avait du brouillard », raconte José Randria Andrinirina, l’un des apiculteurs. Et la fumée est nocive pour les abeilles. Les conditions climatiques dans la région d’Anjozorobe ont également été instables cette année. Selon le groupe de Dobolalina, il peut arriver qu’il pleuve cinq jours d’affilée. Et quand il ne pleut pas pendant plusieurs jours, il fait trop sec. Ce sont des conditions difficiles pour les abeilles.

Ces transformations météorologiques et autres, que les locaux attribuent au changement climatique, ont donc un impact majeur sur l’aire protégée et sur toutes les activités des communautés locales. Sur le plan de la conservation, le bloc forestier d’Anjozorobe sert de refuge à de nombreuses espèces rares car il est isolé des autres blocs forestiers du haut plateau. D’autre part, le recul de la forêt fragilise petit à petit l’équilibre du climat et de l’humidité de la zone. Il perturbe les calendriers d’agriculture et d’élevage des habitants. Et avec moins de productions, ils peuvent se tourner encore plus vers la coupe de bois et la chasse.

Par ailleurs, selon une thèse de doctorat réalisée en 2014 par Henriette Rasolofoarivao à l’Université de la Réunion, les abeilles tropicales ont une forte tendance à déserter leurs ruches. C’est un comportement hygiénique marqué chez l’abeille endémique malgache (Apis mellifera unicolor), l’espèce que cultivent les apiculteurs de Dobolalina. Et bien que les abeilles des hauts plateaux soient relativement dociles et faciles à élever, il arrive que, dans des conditions qu’elles trouvent trop rudes, les reines emmènent les essaims ailleurs. Les apiculteurs de Dobolalina ont du mal à garder leurs essaims, et tuent les reines dans leurs alvéoles afin qu’à la naissance des autres abeilles, elles ne les emmènent hors de la ruche. Il est même arrivé qu’une des 22 ruches du site soit complètement vidée.

Afin de garantir la réussite du projet, l’AMIF et TBK travaillent avec les villageois pour maintenir un total de 100 ruches à Anjozorobe. Certaines ruches ont donc été déplacées du côté de la forêt d’eucalyptus, en attendant que le projet de miel de forêt primaire aboutisse.

Malgré les défis, les participants persistent. « Si nous sommes encore là c’est qu’on y croit encore », dit Randrianasolo.

Les ruches du petit groupe d’apiculteurs de Dobolalina aux abords de la forêt primaire d’Anjozorobe Angavo. Crédit photo: Valisoa Rasolofomboahangy.
Bosquets d’eucalyptus, plantés pour l’exploitation de bois, bordent une rizière à environ 5km (3mi) avant d’atteindre Dobolalina. Crédit Photo © Nirina Rakotonanahary et Alain Razafindravony.

Citations :

Goodman, S. M., Raselimanana, A. P., Wilmé, L., Nationale, M. M., Madagascar. Ministère de la recherche scientifique, & Centre d’information et de documentation scientifique et technique. (2007). Inventaires de la faune et de la flore du couloir Forestier d’Anjozorobe-Asngavo.

Rasolofoarivao, H. (2014). Apis mellifera unicolor (Latreille 1804, Hymenoptera Apidae) et Varrroa destructor (Anderson and Trueman, 2000, Acari : Varroidae) à Madagascar : diversité génétique, impact et comportement hygiénique (Unpublished doctoral dissertation).

Image de la bannière : Le petit groupe d’apiculteurs de Dobolalina, chez Lovasoa Rakotanaivo et sa famille. Crédit photo: Valisoa Rasolofomboahangy. 

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