- Au cœur de la guerre civile déclenchée en 1993, le Burundi a conclu un protocole d’accord d’expédition de ses chimpanzés au Kenya pour les protéger. Ce protocole a été signé entre l'Institut national pour l'environnement et la conservation de la nature du Burundi, l'Institut Jane Goodall, et la réserve d’Ol Pejeta située au nord du Kenya.
- Depuis 2010, des contacts sont en cours pour rapatrier ces primates au Burundi, conformément à ce protocole, afin d’accélérer le développement du secteur touristique, et créer davantage d’emploi dans les zones rurales du pays.
- Cependant, même si le rapatriement est salué par beaucoup, le processus de transfert suscite des polémiques, en raison des préoccupations concernant l’effectif des chimpanzés embarqués, à destination du Kenya, leur nombre actuel, et les revenus touristiques qu’ils ont générés pendant plus de 30 ans. Les défenseurs de l’environnement disent que le terrain d’accueil de ces primates refugiés de guerre n’est pas préparé.
- Pourtant, les autorités burundaises, apaisent la population sur le retour des primates dans de bonnes conditions dans le respect des engagements et des obligations internationales relatives au transfert des animaux sauvages.
En 1995, en pleine guerre civile au Burundi, un protocole d’accord a été signé entre l’Institut Jane Goodall du Kenya et les autorités burundaises, avec pour objectif de transférer temporairement des chimpanzés (Pan troglodytes) vers un lieu plus sûr. L’objectif était de leur offrir un cadre adapté à leurs besoins physiques et psychologiques.
Ces primates ont depuis été pris en charge dans le sanctuaire de Sweetwaters, situé au cœur de la réserve d’Ol Pejeta, dans le comté de Laikipia, au nord du Kenya. Ce sanctuaire est géré par le Jane Goodall Institute USA (JGI-USA), une organisation spécialisée dans la protection des grands singes.
Ce transfert a été rendu nécessaire par l’insécurité grandissante dans le pays à l’époque. Les chimpanzés, qui vivaient dans des conditions précaires, notamment dans de petites cages à Bujumbura, étaient exposés à de multiples dangers (manque de nourriture, suivi médical insuffisant, tueries, manque de liberté et d’autres besoins nécessaires pour la vie des chimpanzés).
Le Centre de transition temporaire à Bujumbura, dirigé par JGI-USA, n’était plus en mesure d’assurer leur bien-être et leur sécurité, d’où la décision conjointe de les envoyer au Kenya.
Selon le Professeur Gaspard Ntakimazi, zoologiste de l’université du Burundi, et ancien collaborateur de Jane Goodall, certains de ces chimpanzés venaient du Burundi à la retraite. Ils avaient été récupérés auprès de particuliers étrangers quittant le pays dans la tourmente. D’autres spécimens auraient été amenés depuis des pays voisins comme la République démocratique du Congo (RDC).
Un protocole clair, mais sujet à interprétation
Le protocole d’accord conclu en 1995, dont Mongabay a consulté, concernait dix chimpanzés adultes. Il engageait plusieurs institutions : le JGI-USA, les responsables du sanctuaire Sweetwaters, les autorités kenyanes de la réserve d’Ol Pejeta et l’Institut nationale pour l’environnement et la conservation de la nature (INECN) du Burundi.
Il y était stipulé que JGI-USA serait responsable des soins, de la sécurité et de l’entretien des chimpanzés tout au long de leur séjour au sanctuaire. En contrepartie, l’INECN se réservait le droit de rapatrier les chimpanzés à tout moment, y compris leur descendance née sur place. Le texte soulignait également que ce transfert temporaire ne saurait porter atteinte à la souveraineté du Burundi sur ces primates, considérés comme partie intégrante de son patrimoine faunique.
L’accord précisait aussi que le sanctuaire de Sweetwaters accueillerait d’autres chimpanzés en provenance d’Afrique de l’Ouest et centrale, orphelins, victimes de mauvais traitements ou confrontés à des traumatismes, afin de leur offrir un refuge sécurisé et des conditions propices à leur réhabilitation.

La volonté de rapatriement
Depuis 2010, le Burundi cherche à rapatrier ses chimpanzés dans le cadre d’un programme de relance du tourisme et de création d’emplois aux jeunes et aux femmes en milieu rural. En 2020, cette volonté a été renforcée sous la pression d’associations locales de défense de l’environnement, de parlementaires et de certains médias. L’enjeu est à la fois symbolique, économique et écologique : réhabiliter une part du patrimoine naturel national, et exploiter le potentiel touristique que représentent ces primates.
En 2021, Jean Marie Nibirantije, alors ministre en charge du tourisme et de l’environnement, répondait à une question orale au Sénat, en affirmant que le Burundi souhaitait récupérer ses chimpanzés, mais que plusieurs obstacles diplomatiques et protocolaires ralentissaient le processus. Il soulignait la nécessité d’une concertation bilatérale avec le Kenya, notamment sur la question du partage des revenus touristiques générés par ces animaux. Pour Mélanie Virtue, conseillère principale au sein du Projet de survie des grands singes de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), tout projet de rapatriement doit s’inscrire dans le strict respect des clauses de l’accord initial de 1995. « Une relocalisation hâtive, sans garantir les conditions nécessaires au bien-être des chimpanzés, serait une erreur », affirme-t-elle dans un échange avec Mongabay par courriel.
Flou sur les chiffres et les revenus
La question du nombre exact de chimpanzés concernés par le rapatriement fait débat dans le pays. Certaines sources officielles évoquent le chiffre de 20 individus transférés à l’époque, tandis que d’autres parlent de 12. Des activistes parlent de 30 chimpanzés retirés de la réserve naturelle de la Kibira, en deux vagues successives : dix, lors d’un premier transfert, puis vingt autres par la suite.
D’après les membres des associations burundaises de défense de l’environnement, certaines informations font état d’un effectif total de 98 chimpanzés burundais actuellement présents au sanctuaire, dont un seul serait décédé. Ils accusent les autorités burundaises de manquer de transparence, et même de vouloir dissimuler certaines vérités à des fins politiques ou financières.
Constat de la délégation burundaise au Kenya
En 2024, une mission conduite par Jacques Bigirimana, directeur du tourisme, s’est rendue au sanctuaire de Sweetwaters pour faire un état des lieux. Le rapport de mission, consulté par Mongabay, mentionne un total de 30 chimpanzés hébergés dans le sanctuaire, dont 10 seraient originaires du Burundi. Trois d’entre eux seraient décédés de maladies. Les cinq femelles restantes sont soumises à des contraceptifs, afin de limiter les naissances, en raison de la saturation du sanctuaire. Malgré cela, cinq naissances accidentelles ont été recensées, portant le nombre des chimpanzés burundais à 12.
Fait préoccupant : le nombre de chimpanzés a été communiqué de manière verbale, sans documentation officielle. Pire encore, des contradictions sont apparues. Le vétérinaire Stephen Ngulu du sanctuaire SWEETWATERS au Kenya parle de 30 chimpanzés dans le sanctuaire, alors que la chaîne officielle YouTube d’Ol Pejeta Conservancy en évoque 38. Un flou persistant qui alimente les soupçons de dissimulation du nombre de chimpanzés originaires du Burundi à rapatrier.

Des inquiétudes légitimes
Selon Albert Mbonerane, ancien ministre de l’Environnement et actuel représentant d’une organisation environnementale, le suivi des chimpanzés a été délaissé depuis leur transfert. « Le protocole prévoyait la visite trimestrielle d’un vétérinaire burundais, mais cela n’a jamais été respecté », dit-il.
Mbonerane met aussi en garde contre un retour précipité. Selon lui, les habitats naturels au Burundi, comme la forêt de la Kibira, ont été dégradés. Cette réserve a perdu plus de la moitié de sa superficie, — de 900 à 400 km² — en raison de l’expansion des plantations de thé. Mbonerane a averti que sans habitat adapté, les chimpanzés ne pourraient pas survivre.
Pour le Professeur Ntakimazi, il est impératif de garantir un environnement forestier riche en fruits, feuilles et arbres spécifiques pour assurer leur alimentation. Il propose d’aménager des zones de nourrissage, de mettre un terme au braconnage et de sensibiliser les communautés locales.
La situation est d’autant plus urgente que, depuis septembre 2023, 24 gorilles ont été tués dans la Kibira, et 10 autres vendus illégalement. Certains bébés auraient même été capturés. Des sources internes affirment que certains gardes forestiers seraient impliqués.
Malheureusement, Berchimans Hatungimana, directeur de l’Office burundais pour la protection de l’environnement, ancien INECN, minimise ces faits, parlant d’« actes isolés de braconnage ».
Le cadre financier : une opacité persistante
Le protocole d’accord de 1995 ne prévoit pas explicitement le versement de recettes touristiques au gouvernement burundais. Il stipule que les revenus générés par les billets d’entrée à Sweetwaters, pour voir les chimpanzés, doivent être affectés à l’amélioration des conditions de vie des chimpanzés, la rémunération du personnel, l’entretien de la réserve, et la prise en charge d’autres chimpanzés en détresse.
Il est également précisé que JGI-USA doit rembourser les investissements consentis pour la construction et la maintenance du sanctuaire. Concernant la participation du Burundi, il est prévu que les frais de mission de deux représentants de l’INECN, soient pris en charge annuellement pour inspecter les lieux.
En retour, JGI-USA s’engage à transmettre à l’INECN un décompte détaillé des dépenses et un audit externe annuel de la gestion des fonds. Toutefois, aucune de ces données n’a été communiquée depuis plusieurs années, selon plusieurs ONG burundaises.

Des engagements pour l’avenir
Malgré les zones d’ombre, les autorités burundaises se veulent rassurantes. Emmanuel Ndorimana, secrétaire permanent au ministère de l’Environnement, affirme que le partenariat avec JGI-USA est conforme à la loi burundaise. « L’INECN n’a vendu aucun chimpanzé comme certains le disent. Il s’agit d’un transfert encadré et conforme à la législation en vigueur », dit-il.
Selon Bigirimana, toutes les dispositions du protocole de 1995 seront respectées. Le rapatriement devrait suivre une procédure rigoureuse de préparation, de transport et de suivi, en accord avec les standards de conservation et de bien-être animal.
Le Jane Goodall Institute s’est engagé à construire, au Burundi, un sanctuaire permanent, sur le modèle de Sweetwaters, dans un environnement aussi naturel que possible. Il est prévu qu’il fournisse également les matériaux nécessaires à la construction des autres infrastructures nécessaires, de façon à rendre le milieu favorable à la vie des chimpanzés.
Une fois le sanctuaire achevé, toutes les parties devront s’accorder pour valider le retour effectif des chimpanzés. JGI-USA prendra alors en charge leur rapatriement dans les meilleures conditions, conformément au protocole.
De quoi réconforté Bigirimana, qui promet par ailleurs que toutes les zones d’ombre seront vidées lors des prochaines consultations prévues à Nairobi, en août 2025.
Il appelle le gouvernement burundais à mobiliser un budget conséquent pour soutenir ce projet, notamment pour la formation d’un personnel qualifié : deux vétérinaires et six soigneurs spécialisés seraient nécessaires à plein temps.
Contacté par courriel, Erastus Kanga, directeur général du sanctuaire de Sweetwaters, se montre ouvert. « Le rapatriement est tout à fait envisageable et ne fait l’objet d’aucun différend ».
Image de bannière : Les chimpanzés de la réserve naturelle de la Kibira, membres de la famille de ceux transférés au Kenya en 1995, actuellement hébergés dans le sanctuaire de SWEETWATERS. Image fournie par Jean Kakunze, ex-employé de l’Institut nationale pour l’environnement et la conservation de la nature (INCEN) avec son aimable autorisation.
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