- Les peuples Rumbi, dans les villages de Basugo et Baliko 1, tentent le « Mapando », une technique de culture contre-saison agricoles pour faire face aux inondations et au fort ensoleillement qui détruisent les cultures.
- La technique consiste à cultiver avant et/ou après les saisons culturales régulières, pour permettre aux agriculteurs d'améliorer la production des cultures vivrières, principalement touchées par les effets du changement climatique.
- Pour les chercheurs, contactés par Mongabay à Kisangani, les études approfondies sur le climat dans la région pourraient davantage aider les agriculteurs à tenter ou à combiner différentes approches, pour faire face et s’adapter au changement climatique.
- Grâce à la foresterie communautaire et l’agriculture de conservation basée sur les us et coutumes (interdits, forêts sacrées, sacralisation de certains espaces forestiers pour permettre leur restauration), les peuples Rumbi protègent ainsi la forêt tropicale du Congo en favorisant sa restauration naturelle, ce qui fait revenir certaines espèces de la faune sauvage comme les antilopes.
« Avec un suivi régulier et un bon entretien du champ, ma production s’est nettement améliorée par rapport à d’autres années », raconte Lemakwa-Elena, une agricultrice de 51 ans, que Mongabay a rencontré dans le village de Basugo, dans le territoire de Bafwasende, situé à 138 kilomètres de la ville de Kisangani, dans la province de la Tshopo, au centre de la République démocratique du Congo (RDC).
Cet après-midi du mardi 23 septembre 2025, Lemakwa-Elena, machette en main, coiffée d’un foulard gris assorti d’une chemise noire, emprunte un chemin étroit donnant sur la forêt la forêt Bafwasende, un écosystème forestier crucial dans la lutte contre le changement climatique dans le monde.
Les longs arbres, au feuillage verdoyant, se dressent de part et d’autre du chemin jusqu’à engloutir le soleil, qui laisse place à un spectacle vert, sous les applaudissements des cris des oiseaux. A quelques mètres de la Route nationale numéro 4 vers Bafwasende, un groupe de six cultivateurs, muni d’outils champêtres, suit Lemakwa-Elena, qui se laisse absorber peu à peu, par ces gros arbres dégageant de l’air frais.
« Ici, nous commençons déjà à préparer le terrain pour la saison agricole A, parce que si nous attendons la période normale pour penser à cultiver, les pluies vont nous perturber. Et, pour les cultures comme les arachides, les maniocs et les haricots, qui ne demandent pas beaucoup d’eau, ça sera une perte », dit Lemakwa, qui craint que la saison des pluies freine le défrichage pour les cultures vivrières.

Selon le calendrier agricole, les saisons culturales se divisent en saison A et en saison B : la saison A va du mois de mars à juillet et la saison B d’août à novembre. Mais, au cours de ces dix dernières années, constatent les agriculteurs de Bafwasende, le calendrier agricole connaît des perturbations climatiques causées par des précipitations abondantes, la sécheresse prolongée et la chaleur détruisant les champs.
« On n’attend plus les saisons régulières pour commencer à cultiver, parce qu’il pleut abondamment et le soleil est très fort. Si l’on suit le calendrier normal, il est presqu’impossible d’avoir des récoltes », poursuit Lemakwa, qui commence à labourer son champ en pleine forêt équatoriale, pendant que la chaleur bat son plein cet après-midi.
Résister face au changement climatique
Entre les années 2015 et 2019, les agriculteurs de Basugo et Baliko 1 se sont retrouvés frappés par un phénomène climatique qu’ils n’ont pas compris toute de suite. Ce phénomène résulte des inondations régulières détruisant les pâturages, les insectes ravageurs ou encore les invasions de mauvaises herbes.
D’après Godefroid Monde, professeur de pathologie et biotechnologie végétale à l’Institut facultaire des sciences agronomiques de Yangambi (IFA) en RDC, lorsque le phénomène a été constaté dans la région, les paysans ont enregistré une baisse de la production agricole, avec des répercussions sur la sécurité alimentaire des populations.
« Quand c’est arrivé, nous avons enregistré un faible rendement et beaucoup de nos cultures ont disparu, et d’autres agriculteurs ont abandonné les champs, parce que cultiver pour nourrir sa famille ne rapportait plus d’argent ; donc beaucoup se sont tournés vers l’exploitation du bois », dit Bernard Zambi-Falay, un agriculteur de 55 ans, qui montre son champ de cacaoyer à Baliko 1, à 126 km de Kisangani, dans le territoire de Bafwasende.

Dans le village de Basugo, Lindua-Kitwanga, un autre agriculteur, ajoute : « Il n’y avait plus de rendement. C’était seulement des échecs ; pourtant on cultivait mais les résultats ne suivaient plus, c’était compliqué, aucune méthode n’a fonctionné pendant ce temps-là ».
Face à ces aléas climatiques, les agriculteurs de Bafwasende, dans les deux villages, que Mongabay a visités fin septembre 2025, tentent le « Mapando » [En Swahili, ce terme désigne simplement l’action de semer ou de cultiver, Ndlr] pour résister face aux effets du changement climatique sur leurs cultures.
« Cultiver en contre-saison leur permet de s’adapter et d’être résilients face aux effets du changement climatique, principalement le fort ensoleillement et les pluies incessantes. Maintenant, pour éviter cela, ils s’arrangent pour cultiver, soit avant les saisons dans le calendrier agricole ou après les saisons respectives », explique Ben Israe Lufukaribu, expert forestier chez Tropenbos RDC, une organisation internationale pour la protection des forêts, accompagnant les peuples Rumbi dans la mise en oeuvre de la foresterie communautaire à Bafwasende.
Le « Mapando », une solution résiliente
Dans son champ de maniocs, Lemakwa s’attèle à enlever les mauvaises herbes avec sa machette. Le sol, humide, facilite le travail ;« L’entretien est nécessaire pour avoir des résultats », explique-t-elle. « Lorsqu’on respecte le temps de semence en suivant le mouvement de la pluie, et y veillant pendant la sécheresse, on parvient à faire de bonnes récoltes et à subvenir aux besoins de nos familles ».
Selon Zambi-Falay qui est aussi chef de groupement des Barumbi, le « Mapando » sert au peuple Rumbi à promouvoir une agriculture de conservation, pour trouver des moyens de la pérenniser face aux effets du changement climatique visible la région. « Nos ancêtres faisaient les champs en suivant le calendrier normal, mais cela n’est plus possible à cause du changement qu’il y a ici ; donc maintenant, nous nous adaptons, parce que ce qui se faisait avant, ne se fait plus », dit-il. « Il n’y a pas d’autres approches à tenter, puisque cela va demander plus, mais pour l’instant, nous nourrissons l’espoir d’abord sur cette technique, qui nous aide à faire des bénéfices, pour envoyer des enfants à l’école, même si l’adaptation n’est pas toujours facile à faire », poursuit-il.

Le « Mapando » consiste à entamer les activités agricoles avant les saisons normales, en réponse aux effets de la chaleur et des inondations, qui nuisent à la croissance des cultures. Les agriculteurs de Bafwasende adoptent cette technique en 2020, lorsqu’ils décident de sécuriser leurs espaces de forêt avec la foresterie communautaire.
Pour Godefroid, professeur à l’IFA, « ce type de mécanisme de résilience développé par les agriculteurs est à encourager ». Il estime, par contre, que les scientifiques devraient songer à accompagner les agriculteurs de Bafwasende dans la mise en œuvre de la technique de contre-saison, afin de la rendre encore plus efficace contre les effets du changement climatique sur les cultures.
Défis persistants
« Par rapport au changement climatique, le centre de recherche agricole doit mettre à la disposition des agriculteurs les semences résilientes, qui puissent résister au stress biotique et au stress abiotique, à de faibles précipitations et aux fortes précipitations », souligne Godefroid, qui évoque des défis climatiques auxquels les agriculteurs font face malgré la technique de contre-saison.
Parmi les défis, figurent les perturbations de la période de récolte à cause des précipitations abondantes, explique Godefroid : « Les activités de récolte se font lorsqu’il y a baisse de la période des pluies pour avoir de bonnes récoltes, mais lorsque le calendrier agricole est perturbé, vous avez des fruits, des graines que vous récoltez et qui sont très humides, avec des champignons dessus. Ça affecte les activités post culture ».
Pour les agriculteurs de Bafwasende, le manque de formation et le manque de financement, demeurent des défis à relever également : « Nous avons besoin d’être formés pour savoir comment calculer les saisons, afin d’adapter des techniques. Il faut également la formation pour savoir comment ça fonctionne par rapport au changement qu’il y a ici, parce que jusque-là, on est en train de tenter la technique, on ne sait pas comment ça va se passer dans cinq ans ou dix ans ; il faut alors des formations pour savoir mieux s’adapter face au changement », dit Lindua-Kitwanga.

La coutume pour protéger la forêt du Congo
Grâce au programme de foresterie communautaire, l’agroforesterie tente d’allier agriculture et conservation de la forêt, dans une région où l’exploitation du bois prospère, détruisant la forêt. D’après les agriculteurs rencontrés dans les deux villages, la foresterie communautaire permet de promouvoir une agriculture au service de la conservation.
« Pour restaurer la forêt, on peut imposer aux agriculteurs de ne pas aller cultiver dans une partie donnée de la forêt. Ces interdits peuvent aller jusqu’à 5 ou 10 ans, selon que la coutume le veut. Maintenant, celui qui, de son propre chef, s’aventure dans la zone interdite pour cultiver ou couper du bois, le châtiment peut aller jusqu’à la mort », dit Lindua-Kitwanga, un agriculteur, la cinquantaine révolue.
Les peuples Rumbi recourent ainsi au savoir ancestral pour protéger la forêt tropicale du bassin du Congo. Dans la coutume, les peuples Rumbi érigent certaines parties de la forêt en espace sacré, où seuls les initiés ont accès, ce qui fait revenir certaines espèces de la faune sauvage comme les antilopes.
« Le fait que ces espaces sont sacrés et ne peuvent être accédés que par les initiés, que ces espaces sont préservés et les essences y prospèrent, puisqu’il n’y a pas de menaces. Les initiés y accèdent avec des règles strictes », dit le Professeur Alphonse Maindo, coordonnateur national de Tropenbos en RDC, qui révèle que 70 % de la superficie des communautés forestières sont consacrés à la conservation dans la région de Bafwasende.
Pour Maindo, les « savoirs locaux doivent être mobilisés au service du climat. C’est cela qui permettrait une appropriation de cette lutte contre les changements climatiques ».
À Basugo, Lemakwa-Elena fait sortir de terre des tubercules de manioc cet après-midi, du 23 septembre, mais la pluie menace de pleuvoir : « C’est le quotidien que nous vivons maintenant, les pluies devenues courantes et voilà tout ce qui nous perturbe », dit cette agricultrice, qui se dirige vers la sortie de son champ à quelques pas de la Route nationale numéro 4.
Image de bannière : Un agriculteur présente un lot de cacao récolté dans le village de Baliko 1. Image de Saibe Kabila pour Mongabay.
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