- Un soulèvement populaire, qui a démarré le 25 septembre 2025, à Antananarivo, sous l’impulsion de Gen Z, à l’image de celui du Népal dans le même mois, a conduit, dans un premier temps, le président Andry Rajoelina à dissoudre son gouvernement, avant de fuir le pays le 12 octobre dernier.
- Les manifestants violemment réprimés, surtout dans la capitale, n’ont pas fléchi. Une faction de l’armée malgache conduite par le colonel Michaël Randrianirina a pris le pouvoir à partir du 14 octobre en annonçant la constitution d’un Comité national de refondation.
- Trois jours plus tard, une audience solennelle au siège de la Haute Cour constitutionnelle à Antananarivo, a installé Randrianirina à la tête de la Présidence de la Refondation de la République de Madagascar en qualité de chef de l’État pour deux ans, le temps de tout remettre en ordre avant de nouvelles élections.
- Comme « chat échaudé craint l’eau froide », des centaines d’organisations écologistes et défenseurs des droits humains ont adressé, le 24 octobre, une lettre aux nouvelles autorités, et les ont invitées à faire de l’environnement et de la gouvernance des ressources naturelles un pilier majeur de la refondation nationale. « Ce n’est pas une option. C’est la condition de la survie et du développement du pays », disent-elles.
ANTANANARIVO, Madagascar — Le 24 octobre dernier, dans une lettre adressée aux nouvelles autorités, plus de 430 organisations écologistes et défenseures des droits humains reconnaissent que la refondation, à la suite du mouvement de la Gen Z, soutenu par l’ensemble des forces vives du pays, est un moment historique. Un redressement écologique est la condition de sa réussite, selon les signataires de la correspondance. « La destruction de nos forêts et le pillage systématique de nos ressources naturelles sapent les fondations même de notre avenir collectif », ont-ils écrit dans cette missive.
Les défenseurs de la nature ont mis l’accent sur un changement profond du rapport de l’État aux ressources naturelles, terrestres et marines de la nation comme gage de la paix sociale durable, de la stabilité politique et du développement socioéconomique.
Pour étayer leur argumentaire, elles ont rappelé que la Grande île a, depuis l’an 2000, perdu 30 % de sa couverture forestière. Le déséquilibre ainsi créé a affecté le cycle de l’eau avec des conséquences, notamment la rareté de l’or bleu, pourtant indispensable et vital pour l’ensemble de la population.
Pour l’un des pays les plus pauvres de la planète, la crise écologique est aussi au cœur de la pauvreté dans les campagnes. Les communautés, dépendantes du bois pour leurs besoins énergétiques, s’enfoncent dans un cercle vicieux de pauvreté et de dégradation écologique. « Les femmes, souvent premières victimes de ces crises, parcourent des kilomètres pour chercher de l’eau ou du bois, au détriment de leur santé et de l’éducation des enfants », disent les écologistes et les défenseurs des droits humains.
D’après eux, le secteur de l’environnement est le reflet d’autres drames qui frappent Madagascar : communautés livrées à elles-mêmes, corruption systémique, intimidations, pillage organisé des ressources naturelles. Des défenseurs de l’environnement et des journalistes sont régulièrement victimes de menaces, voire de violences, pour avoir dénoncé ces crimes. « La crise écologique à Madagascar se double d’une crise des droits humains, démontrant que justice environnementale et justice sociale sont indissociables l’une de l’autre », disent-ils.

Rompre définitivement avec la culture de l’impunité
Pour ces activistes, il est grand maintenant temps de rompre définitivement avec la culture de l’impunité. « Plusieurs responsables de crimes écologiques continuent à occuper des postes de responsabilité. Ceci est inacceptable. Nous vous appelons à rompre avec cette culture de la complaisance et du silence », disent-ils. En conséquence, ils demandent aux nouvelles autorités de tenir compte de plus d’une dizaine de priorités détaillées ci-après.
Le rétablissement de l’état de droit dans la gouvernance des ressources naturelles, en mettant fin à la corruption, au pillage organisé des ressources et à l’impunité des auteurs de crimes environnementaux, vient en premier. À ce titre, ils demandent le replacement en prison d’un député condamné pour trafic d’espèces protégées, mais remis en liberté en dépit du verdict de la justice.
Exigeant la fin de la culture de l’impunité, ils demandent également d’ouvrir une enquête sur les actes des personnalités trempées dans des crimes environnementaux, en les nommant publiquement. La lettre adressée aux nouvelles autorités cite alors le nom d’un ancien ministre, dans l’opposition sous le régime du président déchu (2019-2025), ceux d’une ancienne ministre et d’une députée parmi les fervents supporters du président en exil – tous les trois ont été fortement soupçonnés de trafic de bois précieux – et celui du président en exercice de la Haute Cour constitutionnelle pris en flagrant délit de chasse illégale d’oiseaux protégés, des années auparavant.
Les nouvelles autorités de Madagascar sont priées de faire de la protection des forêts et de la reforestation de qualité à grande échelle des priorités nationales, avec des moyens conséquents, en impliquant les acteurs environnementaux et les communautés locales. La réussite de la restauration écologique relève avant tout d’une réelle volonté politique.

Préserver les avancées réalisées
Au plan structurel, la société civile est pour le maintien de l’autonomie du ministère de la Pêche et de l’économie bleue. Il formait auparavant un département avec l’Agriculture et l’Élevage.
Il est crucial de préserver les avancées réalisées, de protéger les 5 400 km de côtes malgaches. La bonne santé des mangroves, des lagons et des ressources halieutiques est essentielle et garantir la souveraineté nationale sur les ressources marines et la zone économique exclusive, qui s’étend jusqu’à 320 kilomètres de la côte. La bonne santé des mangroves, des lagons et des ressources halieutiques est essentielle pour les millions de citoyens qui en dépendent.
La société civile souhaite voir des femmes/hommes intègres, compétent-e-s et ouvert-e-s au dialogue à la tête des institutions clés en charge de l’environnement, de la pêche, de l’économie bleue et des mines. Dans l’ensemble, les signataires de la correspondance sont satisfaits de la nomination des ministres mis à la tête des départements visés dans le nouveau gouvernement présenté le 28 octobre. « Nous nous sentons écoutés. L’élévation du rang protocolaire des ministères de l’environnement, de la pêche et des mines a été une décision significative pour nous », a dit à Mongabay, au téléphone, Corrine Rahoeliarisoa, coordinatrice nationale de la Coalition nationale de plaidoyer environnemental, la principale initiatrice de la missive.
Au plan opérationnel, ces ministères ont besoin de moyens à la hauteur de leur mission. Pour l’heure, le ministère de l’Environnement et du développement durable reçoit à peine 0,9 % du budget national, celui de la Pêche et de l’économie bleue 0,6 % et celui des mines 0,2 %.
Pourtant, ils gèrent des ressources hautement stratégiques et génèrent des revenus colossaux pour l’État. « Nous demandons de plus une transparence totale sur les financements climatiques internationaux reçus par Madagascar, leur utilisation et leur impact », affirment les signataires de la lettre adressée au chef de l’État.
Ce dernier doit garantir le respect des droits des communautés locales gestionnaires de ressources naturelles, terrestres et marines, et assurer leur pleine participation effective aux décisions. Aucune décision d’exploitation, de concession minière ou forestière ne doit être prise sans la consultation libre, préalable et éclairée des communautés concernées.
Pour la société civile, il est nécessaire d’adopter sans délai la loi sur la protection des défenseurs des droits humains et des lanceurs d’alerte. Elle est attendue depuis plusieurs années pour mettre fin au vide juridique qui expose ces activistes à des représailles.

Le projet d’autoroute de discorde et de concorde et la déforestation
Le cas du projet d’autoroute, de discorde et de concorde, est aussi dans le viseur. La future infrastructure, dont la première tranche de 80 km à partir de la banlieue nord d’Antananarivo, est en construction depuis avril 2024, devrait relier la capitale à la ville portuaire de Toamasina, sur la côte orientale, sur 260 km, à raison de 4 millions USD le kilomètre.
Le hic est que son tracé initial traverse des zones sensibles et importantes pour la conservation de la biodiversité malgache, avec des répercussions sur les moyens de subsistance des communautés riveraines. Les alternatives identifiées doivent être prises en considération. Une concertation de toutes les forces vives devrait se tenir en novembre prochain, suivant un accord commun établi l’an passé.
En outre, les écologistes et défenseurs des droits humains exhortent les nouvelles autorités à mettre fin à toute forme d’accaparement foncier privant les communautés et les citoyens malgaches de leurs droits et menaçant les écosystèmes fragiles. Le gouvernement déchu a lancé des initiatives ayant provoqué des grognes dans différentes régions.
Quant au secteur extractif en particulier, la société civile préconise sa réforme en profondeur dans le but d’en finir avec la spéculation sur les permis miniers et demande de s’assurer que les grands investissements miniers bénéficient réellement au budget de l’Etat et à la population. Elle souhaite un processus participatif à ce propos.
Certes, le processus de création de zones d’encadrement minier pour l’exploitation artisanale au profit de la communauté et des écosystèmes, souvent à la merci de la voracité des élites locales ou administratives, a été enclenché. Mais l’envergure des efforts déployés jusqu’ici reste encore faible.

Engagement et assurance de coopération
La société civile saute sur l’occasion pour attirer l’attention sur le besoin impérieux de mise en place du Conseil économique, social et environnemental, tel que stipulé par la Constitution. Il s’agit d’instaurer un espace institutionnel de dialogue et de veille citoyenne faisant office d’organe indépendant, doté d’une composante environnementale forte, d’une représentation équilibrée des jeunes, des femmes, des communautés locales et de la société civile. Cette structure sera appelée à collaborer avec les plateformes existantes pour construire ensemble les orientations stratégiques de la refondation.
Vers la fin de leur lettre, les organisations signataires ont alerté les autorités sur l’explosion des feux de forêts, des trafics et activités minières illégales et des crimes environnementaux, comme lors de précédentes périodes d’instabilité politique dans le pays. « Eu égard aux circonstances, nous vous demandons d’annoncer une mobilisation nationale d’urgence et de donner des directives très fermes pour prévenir ces dérives », disent-elles.
De leur côté, elles s’engagent volontiers à contribuer collectivement à la mise en œuvre des priorités énumérées ci-dessus, par une participation active aux réflexions stratégiques, pour un développement durable et équitable.
Elles donnent leur parole, quant à la pleine coopération avec toutes les institutions et tous les acteurs de bonne foi pour bâtir un pays, où la transparence, la responsabilité et la participation citoyenne deviennent des réalités. « Un développement inclusif et écologique de Madagascar est possible. Mais cet immense défi ne peut être relevé que par un travail collectif, dans l’écoute et le respect mutuels », affirment-elles.
Elles espèrent que leur appel a été entendu par le Chef de l’État installé depuis le 18 octobre dernier, et originaire d’Ambovombe Androy, dans l’extrême Sud de l’île, l’une des régions les plus durement touchées par le changement climatique, avec plus d’un million de victimes, poussées, pour la plupart, à des migrations forcées dans d’autres régions de l’île.
Image de bannière : État du déclin environnemental dans le district d’Ambobombe Androy, dans le Sud malgache, dont le Chef de l’État, le colonel Michaël Randrianirina, est originaire. Image de Rivonala Razafison prise le 13 novembre 2022.
Un vaste réseau de trafiquants de tortues démantelé à Madagascar
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