- Selon une récente étude, la perte progressive des animaux dans les forêts tropicales, entraine une réduction des populations de disperseurs de graines clés, pour la croissance de certaines espèces d’arbres.
- Ces arbres ont une fonction essentielle dans le stockage du carbone, et la surexploitation de la faune a une incidence directe sur la composition de la flore des forêts tropicales.
- Le Conservationniste Davy Fonteyn soutient que la perte de certains mammifères, à l’instar des éléphants de forêt, accélère la dégradation des forêts et compromet, par conséquent, le processus de stockage du carbone.
Le lien entre la faune sauvage et le stockage de carbone, dans les forêts tropicales, est au centre d’une étude publiée en octobre 2024 dans la revue Conservation Biology. Elle révèle que les animaux jouent un rôle clé dans le cycle du carbone forestier, et que certains mammifères disperseurs de graines, sont indispensables dans la dynamique de croissance des forêts tropicales.
L’étude soutient la nécessité de mettre en place des systèmes de financement du carbone, pour lutter contre la surexploitation de la faune et de la flore des forêts tropicales, y compris en Afrique.
Carolina Milson, spécialiste en Biologie de la conservation, affiliée à l’université de Sheffield au Royaume Uni, et auteure principale de l’étude, s’explique à Mongabay par courriel : « Les arbres à gros fruits stockent généralement plus de carbone. Une réduction de l’abondance de la faune qui disperse les graines de ces gros fruits, comme les éléphants et les chimpanzés, entraîne une diminution des arbres qui stockent le plus de carbone ».
L’élimination des espèces sauvages de grande et moyenne taille limite donc une dispersion des graines, entrainant une diminution de la croissance des espèces d’arbres telles que le Balanites wilsonianaou l’arbre de Boko, présent à travers l’Afrique de l’Ouest et centrale, et qui a besoin des éléphants pour la dispersion des graines.

C’est aussi ce que soutient le Conservationniste Davy Fonteyn, chercheur associé au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de France, qui n’a pas contribué à l’étude. Il a dit à Mongabay, par courriel, qu’ « il existe en effet une tendance bien documentée montrant que les espèces d’arbres de grande taille, qui stockent plus de carbone, produisent des fruits et des graines de plus grande taille, nécessitant des mammifères de grande taille pour être dispersées efficacement ».
En conséquence, certaines espèces animales, appelées « ingénieurs de l’écosystème », modifient leur environnement physique de manière à en améliorer la fonction écologique. C’est le cas des éléphants, qui créent des sentiers en forêts ou en renversant des arbres, ouvrant la canopée et permettant à la lumière de pénétrer davantage au sol.

Au demeurant, les scientifiques indiquent qu’il est prévu que, jusqu’à 96 % des forêts d’Afrique centrale auront une composition et une structure d’espèces modifiées si la disparition des éléphants de forêt de la majeure partie de leur aire de répartition historique se poursuit ; ce qui signifie que le recrutement de grands arbres et les stocks de carbone seront compromis.
Les interactions entre les grands herbivores et la végétation des forêts tropicales sont complexes, mais dans l’ensemble, ces animaux ont des impacts positifs en matière d’atténuation et d’adaptation au climat sur la structure de la végétation et les stocks de carbone en surface et sous terre. Il existe également des carnivores civettes (Viverridae) et les loutres (Aonyx spp), qui ont une fonction positive dans le cycle du carbone et qui assurent les services vitaux de dispersion des graines. Leur perte pourrait affecter négativement les communautés végétales et la séquestration du carbone.
L’étude conduite par Milson est essentiellement un examen des études existantes dans la littérature, qui évalue le rôle de la faune dans le recrutement des arbres des forêts tropicales, et établit qu’elle est essentielle à la dynamique du carbone dans les forêts tropicales. Les auteurs de cette étude en concluent que la valeur financière émergente des services écosystémiques, fournis par la faune des forêts tropicales, souligne la nécessité d’inclure la protection de la faune dans les systèmes de paiement des services basés sur le carbone.
En clair, ils pensent que l’extinction des animaux représente une menace au potentiel de stockage du carbone. Les paiements basés sur le carbone au bénéfice des écosystèmes peuvent lutter contre la surexploitation et garantir que le stockage du carbone est maximisé pour peu de dépenses financières supplémentaires ou non, en garantissant le régime foncier des peuples autochtones, en aidant les communautés locales à gérer la chasse de manière durable, et en mettant davantage l’accent sur la régénération naturelle dans les projets de restauration.

Communautés et dynamique du carbone forestier
Les territoires autochtones sont essentiels dans les programmes de conservation, car ils représentent jusqu’à 25 % de la surface de la terre, et abritent 41 % des mammifères terrestres menacés de disparition, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Il est donc important de prendre un ensemble de mesures visant à protéger ces territoires dotés d’une richesse faunique exceptionnelle qui participe au cycle du carbone forestier. La sécurisation des territoires autochtones est primordiale, quoiqu’ils soient confrontés à de nombreuses pressions anthropiques extérieures, en l’occurrence l’exploitation non durable de ces ressources forestières ou encore l’excès de chasse.
Lorsque les forêts tropicales sont menacées par les activités anthropiques, les peuples autochtones et les communautés locales peuvent recevoir un soutien pour réduire la surexploitation par plusieurs moyens.
Par exemple, là où la chasse est localement importante et légale, le financement climatique pourrait aider les communautés locales à gérer la chasse dans des limites durables, notamment par le biais de la surveillance de la faune et d’évaluations de la durabilité spécifiques aux espèces.
Pour l’Écologiste Hadrien Vanthomme, par ailleurs coordonnateur du programme Sustainable Wildlife Management (SWM), un programme qui fait la promotion de la chasse durable au Gabon, « il est essentiel de replacer les communautés au cœur de la conservation. Cela implique de leur redonner des droits sur la faune en échange d’un engagement pour une exploitation durable ». « Les chasseurs doivent être reconnus comme les principaux acteurs de la préservation de leurs forêts. Les initiatives liées à l’objectif 30×30, visant à protéger 30 % des surfaces terrestres et aquatiques d’ici à 2030, encouragent également cette approche en reconnaissant et en renforçant le rôle des communautés dans la conservation de la biodiversité ».

Au sortir de la COP26 sur le climat à Glasgow en 2021, un financement de 1,7 milliard USD avait été promis pour garantir les droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales. Et pourtant, « l’octroi de titres légaux formels ne représente qu’une petite partie de la sécurité foncière. La reconnaissance juridique et institutionnelle, l’autonomisation, le respect et le soutien des droits des peuples autochtones et des communautés locales (en particulier les femmes), les relations positives avec les parties prenantes et la capacité à s’engager dans des moyens de subsistance durables sont souvent tout aussi importantes », indique l’étude conduite par Milson.
Habituellement, les terres autochtones et des communautés locales se trouvent dans des zones protégées ou dans de potentiels puits de carbone, et sont susceptibles de générer des conflits avec l’administration en raison des restrictions établies dans les politiques de conservation gouvernementales.
Les chercheurs pensent qu’il est nécessaire de financer et de promouvoir le recours à des mécanismes intermédiaires, tels que le Tenure Facility ou le Peoples Forest Partnership. Ces projets peuvent faciliter l’obtention des résultats qui profitent aux peuples autochtones et aux communautés locales, au carbone forestier et à la biodiversité, tout en permettant également aux communautés forestières de s’impliquer dans le financement climatique.
Image de bannière : Chimpanzés du Mikeno Lodge dans le Parc national des Virunga, en RDC. Image de Joseph King via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Milson, C. E., Lim, J. Y., Ingram, D. J., & Edwards, D. P. (2025). The need for carbon finance schemes to tackle overexploitation of tropical forest wildlife. Conservation Biology, 39, e14406. https://doi.org/10.1111/cobi.14406
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