- Depuis 2016, en application aux recommandations de l’Accord de Paris signé à l’issue de la 21è Conférence des parties sur les changements climatiques, l’exploitation du bois de perche a été interdite sur l’ensemble du territoire camerounais.
- La décision a été prise pour permettre à ces arbustes, utilisés dans le coulage des dalles dans le bâtiment, de devenir des arbres pour la régénération des forêts et la pérennisation de certaines essences.
- Depuis lors, le bambou est ainsi utilisé à la place de ces jeunes arbres, mais il est plus plant pour contribuer à la restauration des terres dégradées et à la fertilisation des sols par la fixation de l’azote.
- Des chercheurs affirment que le bambou joue aussi un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique en séquestrant plus de gaz carbonique que les arbres et en libérant l’oxygène.
A Avebe, un village à environ 20 kilomètres de Mbalmayo, dans le département du Nyong-et-So’o, région du centre du Cameroun, Sébastien Tchebayou, ingénieur des Eaux et forêts à la retraite, s’est reconverti dans l’agriculture, il y a sept ans. Tout autour de son exploitation agricole de sept hectares, il plante le bambou depuis presque quatre ans.
Le 3 décembre 2024, Tchebayou, nous reçoit dans ses champs, au milieu des cris d’oiseaux. Il explique que la culture du bambou ne se limite pas à la production, mais contribue à la création d’un biotope diversifié. Ici, l’équilibre écologique est maintenu grâce à une faune variée, ce qui enrichit la biodiversité de la zone. « Ces bambous, une fois qu’ils ont poussé, créent un biotope très intéressant pour la nutrition des reptiles, en particulier les serpents attirés par la présence des proies. Les oiseaux aussi nichent à l’intérieur. Même si nous n’en avons pas ici, on sait que les Pandas également aiment bien se nourrir des bambous », explique-t-il.
A Avebe, des artisans et les populations utilisent le bambou pour confectionner des objets d’art et des meubles, comme bois de chauffe et pour la cuisson des aliments. « Les techniciens en bâtiment viennent d’ailleurs pour l’acheter et l’utiliser pour soutenir le mortier lors du coulage des dalles », a dit Tchebayou.
Selon Séverine Etounou, chercheure à l’Institut de recherche agricole pour le développement (IRAD), à Yaoundé, à la suite de l’interdiction depuis 2016 de l’usage des perches pour préserver la biodiversité des espèces ligneuses victimes d’une surexploitation, c’est le bambou qui a pris la relève. « Vous le verrez dans les projets de construction. Notamment pour le coulage des dalles, etc. Et il s’utilise même à titre décoratif », a dit Etounou.
A la faveur d’un mémorandum d’entente signé avec l’Organisation internationale pour le bambou et le rotin (INBAR, sigle en anglais), créée en 1997, l’ONG camerounaise Forêts et Développement rural (FODER), dans sa mission de lutte contre la déforestation illégale, coordonne le projet de vulgarisation du bambou, depuis 2017 sur les sites globalement affectés par le déboisement à outrance. Des cultivateurs des villages Avebe, Ekali I et bien d’autres sont alors des bénéficiaires de ce projet.
Toutefois, malgré la croissance de la demande du bambou dans le bâtiment et les arts, la filière attire moins à cause de certaines exigences et de la pénibilité dans le travail. « Je paye la main-d’œuvre, mais elle reste insuffisante parce que le bambou est dur et abime facilement le matériel », se plaint Tchebayou.
Tchamaké Mbappé, veuve depuis 26 ans, n’en est pas épargnée. Elle avait misé sur cette plante pour améliorer ses revenus, en suivant une formation sur sa production. « J’ai passé un mois de formation dispensée avec le concours de FODER sur comment faire la pépinière jusqu’à la pousse complète. A cinq centimètres, on enlève les jeunes plantes de bambou pour les repiquer dans le champ. Si c’est en saison sèche, il faut arroser matin et soir jusqu’à ce qu’elles grandissent », dit Tchamaké, habitante d’Avebe, qui doit trouver de l’eau dans un puits à plus de 200 mètres de son champ avec un arrosoir ou un pulvérisateur.

Impact sur la fertilité du sol
Certains agriculteurs pensent que le bambou a un impact négatif sur la fertilité du sol. « Je ne peux pas dire de manière certaine que le bambou a un impact positif, mais je constate que rien ne pousse en dessous », dit-il Tchebayou, avec toute la prudence nécessaire. Il indique que cela pourrait être dû à l’ombre dense que le bambou projette ou à un effet inhibiteur sur d’autres espèces.
Par contre, selon Sévérine Etounou « le bambou permet d’améliorer la fertilité du sol, par les feuilles qui tombent et qui constituent une matière organique très riche en azote. L’expérience a démontré que les feuilles de bambou sont très riches en azote et continuent à améliorer la fertilité des sols où ils se trouvent. Utiliser le bambou, dans le système de culture, permet de fertiliser le sol », dit-elle. « Les bambous appartiennent à la famille des poaceae et on sait généralement que les poaceae sont des graminées qui sont très riches en azote et, par conséquent, contribuent à fertiliser le sol. L’azote constitue un des macroéléments importants dans la nutrition en eau minérale de la plante. Ça, c’est au niveau de la restauration et de la fertilisation du sol », a renchérit Etounou.
Selon elle, le bambou a aussi un rôle important dans l’environnement. « Il contribue à réduire l’excès de CO2 contenu dans l’atmosphère et, par conséquent, de réduire le réchauffement climatique par sa forte capacité de séquestration du gaz carbonique en peu de temps ». « L’avantage du bambou dans la séquestration est qu’il est une plante à croissance rapide. Plus il grandit, plus il séquestre mieux. Or, pour que le bois atteigne une certaine densité, il faut des décennies, et la densité du bois est équivalente aussi à la quantité de CO2 qu’il absorbe. C’est pour cela que, généralement, l’arbre prend plus de temps à séquestrer le carbone et à se densifier, contrairement au bambou qui, en très peu de temps, séquestre le carbone et se densifie », précise-t-elle.
« Le bambou procure également de la fraîcheur là où il pousse, en absorbant le CO2 qui est un gaz chaud, pour rejeter l’oxygène. Les gens peuvent aller se recréer là où il y a les touffes de bambou. Ça, c’est sur le plan environnemental », dit-elle.

Etounou explique que dans les projets de lutte contre les changements climatiques, le bambou est maintenant beaucoup utilisé et sert à plusieurs usages comme à la fabrication des savons, des boissons alcoolisées. Selon elle, la plante se retrouve aussi dans le traitement du paludisme, de la fièvre typhoïde et même dans la cicatrisation des plaies ; faisant, du coup, tout ce que le bois peut faire du point de vue technique.
Engagement de Bonn
Le Cameroun compte plus de 1,2 million d’hectares de bambou et 240.000 Camerounais dépendent déjà du bambou et du rotin. Dans le cadre de ses engagements internationaux pour la restauration des terres dégradées, le pays compte restaurer 12 millions d’hectares de terres dégradées, d’ici à 2030.
A cet effet, le bambou est parmi les solutions à cette dégradation des terres. Et la sous-Directrice de la biodiversité et de biosécurité au ministère camerounais de l’Environnement de la Protection de la nature et du Développement durable (Minepded), Angèle Wadou a expliqué à Mongabay au téléphone, que le Cameroun a choisi d’utiliser le bambou pour restaurer ses terres dégradées parce que cette plante « fait partie d’une série d’options pour régénérer rapidement les terres dégradées, réduire l’érosion des sols et fournir des avantages pour les moyens de subsistance ».
« C’est une ressource à croissance plus rapide que les espèces forestières traditionnelles. Elle a une maturité rapide, une productivité élevée, régénère de manière naturelle et a la capacité à se développer sur des sols très improductifs en restaurant les zones dégradées. Le bambou aide également à réduire la profondeur des nappes, contribue aux revenus annuels des paysans et favorise le retour des espèces de faune. La ressource peut pousser sur des sols à faible fertilité, des terres en pente et nécessite moins d’entretien ».

Wadou signale que le bambou est présent dans les dix régions du Cameroun et sa répartition sur le territoire national couvre une superficie de 1,215 milliard d’hectares. Cette dernière explique, que grâce au budget de l’État et à l’aide des partenaires, de nombreux projets de plantations de bambou ont été déjà mis en œuvre ou sont en cours.
Elle cite, entre autres, le projet pilote de restauration des berges du fleuve Bénoué, à travers l’utilisation des espèces de bambou sur la période 2018-2020.
Dans le cadre de ce projet, selon elle, les communes de Lagdo, Pitoa, Garoua 2 et Garoua 3 ont reçu une enveloppe de 45 millions de francs CFA, (82.000 USD) en 2022 pour planter le bambou. « Il y a aussi le projet d’appui à la restauration des paysages dégradés (projet TRI) par l’utilisation durable des espèces locales (bambou et autres produits forestiers non-ligneux) pour la conservation de la biodiversité, les moyens de subsistance durable et la réduction des émissions des gaz à effet de serre au Cameroun », dit-elle.
Il s’agit d’un projet financé par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) avec l’agence de mise en œuvre Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et l’agence d’exécution (INBAR). Il couvre les localités de Mbalmayo, Douala, Edéa, Bakossi-Bayambo et Waza et fait partie du programme « The Restauration Initiative » mis en œuvre dans 10 pays au niveau international.
A ces projets, Wadou ajoute le programme interafricain pour le renforcement des moyens de subsistance des petits exploitants de bambou, financé par le FIDA et développé au Cameroun, au Ghana, à Madagascar et en Ethiopie.
Le gouvernement camerounais compte poursuivre dans la même lancée pour faire du bambou l’une des ressources pour la restauration des terres dégradées dans le pays.
Image de bannière : Sébastien Tchebayou, l’ingénieur des Eaux et forêts à la retraite tenant une feuille de bambou dans son champ, à Avebe au Cameroun. Image d’Adrienne Engono Moussang pour Mongabay.
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