- Les communautés de l’ethnie Toupouri sont opposées à l’existence du Parc national de Ma Mbed Mbed, situé dans l’Extrême-nord du pays.
- Elles disent n’avoir pas été préalablement consultées lors de la création du parc, et redoutent d’être définitivement déguerpies et de perdre leurs terres.
- L’administration locale des Forêts et de la faune dénonce la création de nouveaux villages dans l’enceinte du parc et alerte sur le pillage des ressources fauniques en cas de déclassement.
- Le Parc de Ma Mbed Mbed, créé en 2020, est contigu à la réserve de Binder Léré au Tchad; il facilite les mouvements migratoires des éléphants au sein des deux aires protégées.
À Guidiguis, une localité située dans la partie nord du Cameroun, à la frontière avec le Tchad, les communautés de l’ethnie Toupouri sont fermement opposées à l’implantation du Parc national de Ma Mbed Mbed dans leur arrondissement.
Depuis le début de l’année 2025, elles ont manifesté à plusieurs reprises pour protester contre leur déguerpissement envisagé par les autorités camerounaises, de cette aire protégée de 12 000 hectares (29 653 acres), créée par un décret du Premier ministre, Joseph Dion Ngute, le 7 janvier 2020.
Certains membres et élites de cette communauté ont confié à Mongabay que les Toupouri vivent dans cet espace, depuis plus d’un demi-siècle, où ils mènent essentiellement des activités agricoles pour satisfaire leurs besoins de subsistance.
Bello Pierre Ngoussandou, Coordonnateur national de l’Association nationale culturelle Toupouri, a dit à Mongabay, au téléphone : « Sur le site, il y a des villages qui existent depuis 1955. Les gens sont nés là-bas, ils ont enterré leurs parents et leurs grands-parents sur le site ». « L’État lui-même y a créé des écoles, des centres de santé, des lycées, des forages au bénéfice des populations. On ne comprend donc pas comment, aujourd’hui, l’État, qui a fait tout ça pour ses populations, leur demande de déguerpir pour laisser place aux éléphants ».

Ce leader associatif laisse également entendre que les membres de la vingtaine de villages installés dans le parc n’ont pas été consultés préalablement lors de la procédure de sa création.
Cette allégation est battue en brèche par le Délégué de l’administration des Forêts et de la faune, Jean Nyemeg, que Mongabay a également joint au téléphone. Il dit que la procédure de classement du Parc de Ma Mbed Mbed a débuté au milieu des années 80, suivie de l’étape de réservation en 2004, avant que le décret ne soit signé par le Premier ministre en 2020 pour officialiser la création du parc.
« Pendant cette procédure, toutes les étapes ont été respectées, à savoir les séances d’information, de sensibilisation, de communication et les audiences publiques. Il n’y avait pas de villages dans cette aire protégée au départ. L’État avait voulu classer 18 000 hectares au départ. Lors des audiences publiques, l’État a eu des échanges avec les populations et est parti de 18 000 à 12 000 hectares, en dégageant deux enclaves (espaces potentiellement réservés pour l’agriculture) pour les populations », explique Nyemeg.

Cinq ans après la création du Parc de Ma Mbed Mbed, les communautés qui y vivent, estimées à plus de 30 000 âmes, exigent le déclassement de cette aire protégée. Elles sont soutenues dans cette lutte par l’ONG américaine Greenpeace, qui a publié un communiqué, mercredi dernier, pour demander au gouvernement camerounais d’annuler le décret de création du parc.
« Greenpeace Afrique reste une organisation centrée sur l’être humain, qui donne la priorité à l’implication totale des communautés dans le développement et la mise en œuvre de solutions. En plus de respecter les zones tampons et d’assurer la pleine application des lois pour la gestion durable du parc, nous insistons sur l’importance de l’engagement des communautés dans le processus de prise de décision », a dit Fabrice Lamfu, Chargé de campagne Forêt chez Greenpeace Afrique, à Mongabay.
Conservation transfrontalière des éléphants
Le Parc national de Ma Mbed Mbed a été créé pour maintenir les couloirs de migration des éléphants en provenance de la Réserve de Binder Léré au Tchad et renforcer la conservation transfrontalière de ces espèces menacées de disparition entre les deux pays; et surtout réduire les conflits homme-éléphant dans les localités riveraines et favoriser la sécurité des personnes et des biens.
En plus des éléphants (Loxodonta africana), le parc abrite d’autres espèces à l’instar des hyènes (Hyaenidae), des phacochères (Phacochoerus), des gazelles (Gazella), etc., selon un mémoire de master soutenu en 2021 par Tchidémé Batmaï, à l’université de Dschang, à l’ouest du pays.
Nyemeg redoute une disparition totale et un braconnage systématique de ces espèces, si jamais le gouvernement camerounais venait à reculer face à la grogne des communautés, dans un contexte où le service de la conservation du parc éprouve déjà beaucoup de difficultés à mener les activités dans le parc, en bravant régulièrement l’hostilité des villageois.
« En fermant ce parc, on risquerait d’aller vers une catastrophe écologique. Cette faune n’aura plus d’orientation, plus d’encadrement et va disparaitre du parc. On va assister à un braconnage exponentiel, soit une recrudescence des conflits entre l’homme et la faune », indique le Délégué régional des Forêts et de la faune.

Les conflits entre les humains et les pachydermes sont fréquents dans la région, et conduisent souvent à des pertes en vies humaines, non sans compter la destruction des plantations villageoises et de nombreux dégâts matériels. La localité de Kalfou, située à 40 kilomètres du Parc national de Ma Mbed Mbed, a été victime des ravages de ces animaux au cours des dernières semaines, au point où les autorités de la région ont autorisé la battue d’un éléphant. Les couloirs de migration de ces éléphants entre le Parc national de Waza et la réserve forestière de Kalfou, seraient obstrués et ne favoriseraient pas les mouvements des animaux dans leurs espaces naturels.
L’Environnementaliste Gilbert Haïwa, enseignant à l’université de Maroua dans le nord du pays, pense que les conflits entre l’homme et l’éléphant sont exacerbés dans la région, parce que les animaux ne sont pas épanouis dans leur milieu naturel, en raison de nombreux facteurs dus aux changements climatiques en l’occurrence.
« La végétation est inexistante dans ce parc. C’est un désert. Les animaux ont de la peine à s’alimenter dans cet espace. Ils divaguent de part et d’autre, parce qu’ils n’ont rien à manger, il n’y a pas d’eau, et c’est pour cette raison qu’ils détruisent les plantations villageoises », dit-il au téléphone à Mongabay au téléphone.
Au cours des derniers jours, le gouvernement a tenu plusieurs réunions de crise avec les leaders communautaires et certains représentants locaux des localités concernées par le parc pour trouver des solutions aux exigences des communautés.
Image de bannière : L’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) est le plus grand animal terrestre vivant. Image par Mongabay.
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