- En République démocratique du Congo, la suspension de l’aide américaine au développement a secoué plusieurs activistes du secteur humanitaire et de la protection de l’environnement.
- Du lobbying à la lutte contre le braconnage, l’aide suspendue, au moins pour 90 jours, rend possibles diverses activités.
- Mais le coup du président Trump force plusieurs à réfléchir sur les financements locaux dans un pays où 73,5 % des habitants vivent avec moins de 2,15 dollars, par jour, selon la Banque mondiale.
Dans le territoire de Walikale au Nord Kivu où sévissent les groupes armés, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), l’ONG Forêt pour le Développement Intégral (FODI) s’occupe notamment de la conservation des Gorilles de Grauer (Gorilla beringei graueri).
Dans les forêts de la région, elle identifie notamment les pièges tendus contre ces primates, les démonte et défait les camps des braconniers, explique son coordonnateur Maurice Nsase. « Notre travail a contribué à l’attribution de 4 concessions forestières, d’une superficie globale de 120.533 hectares [soit 7 terrains de football] sous la gestion des communautés locales et des peuples autochtones pygmées ».
Des gorilles de Bauer et des buffles en augmentation
Les gorilles Bauer sont « l’unique population au monde » de l’espèce basée en RDC, selon le média onusien Radio Okapi. Leur habitat se situe entre les parcs nationaux de Kahuzi Biega, Maiko et Tayna, situés entre les provinces du Nord-Kivu et du Maniema. En février 2022, une aire protégée communautaire de 2 300 km2, « Nkuba conservation Area », a été créée pour protéger ces primates victimes de braconnage comme d’autres animaux de la région, où pullulent environ 200 groupes armés, d’après le Baromètre sécuritaire du Kivu.
L’ONG FODI accompagne également les paysans réunis en CFCL (Comités de forêts des communautés locales). Grâce à cet engagement, explique Nsase, « le buffle qui avait disparu est de retour dans l’une des 4 forêts locales, et la population des chimpanzés et des babouins augmente dans la région ».
FODI les a obtenus ces résultats notamment avec le financement américain qui a pris en charge la formation des paysans sur la gestion des ressources naturelles, ainsi que la consolidation de la gestion de l’ONG. La suspension de l’aide américaine risque de bloquer la planification d’un projet de foresterie de 120.259 ha (soit 7 terrains de football) et de toute la biodiversité qui s’y trouve et qui, à ce jour, est prêt.
Cette suspension « nous a plongés dans la désolation », explique Nsase pour qui, « les Fonds USAID étaient une opportunité de grande importance pour les communautés » qu’ils accompagnent.

Un travail de lobby et d’éveil des “Pygmées”
Pour JR Bowela Banatoli, Coordonnateur national de l’ONG congolaise IGED (Initiative pour la Gestion Durable de l’environnement et la Défense des Droits Humains), basée à Kinshasa, « l’aide américaine, à travers l’USAID, a contribué à réaliser certaines initiatives locales pour améliorer la gouvernance, lutter contre la criminalité environnementale et faunique ».
Cette aide a aussi contribué « à promouvoir la conservation communautaire, le leadership féminin et la défense des droits des communautés locales et peuples autochtones », explique Bowela.
L’ONG IGED est orientée vers le plaidoyer, un secteur important en RDC, pays où l’engagement en faveur de la conservation et du climat, nécessite encore plus de financements, dans un contexte de compensations attendues des politiques de conservations d’immenses massifs forestiers et de la faune.
D’après une note circulaire interne de l’USAID, que Mongabay a pu consulter et adressée aux organisations bénéficiaires de l’aide américaine, le fonds pourrait reprendre après ce délai de 90 jours. Mais il pourrait être requalifié, avec l’interdiction de financer certains projets tels que l’avortement.
Pour le Directeur général de l’ONG Innovation pour le Développement et la Protection de l’Environnement, Bantu Lukambo, qui n’est pas en soi bénéficiaire de l’aide américaine, la reprise de cette aide sera une bonne nouvelle. Puisque, dit-il, « il y a des acteurs qui intervenaient dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles, d’autres dans le reboisement, d’autres dans la traçabilité des minerais, d’autres dans la démobilisation des enfants soldats ». Sans aide, explique Bantu, ces activités pourraient s’arrêter ou être rendues difficiles.

Une aide très critiquée
Or, l’administration Trump qui entend limiter les gaspillages, cette initiative rappelle une critique récurrente depuis des années sur la pertinence de l’aide publique au développement dans plusieurs pays à travers le monde.
Une étude de Gilles Carbonnier, professeur en économie du développement à l’Institut de hautes études internationales et du développement (Genève) et vice-président du CICR depuis 2018, résume ainsi les critiques contre cette aide internationale : outil de domination perpétuant la dépendance, gaspillage et inefficacité, soutien aux régimes corrompus.
Parmi les solutions qu’elle propose, cette étude recommande une approche basée sur l’économie politique, c’est-à-dire centrée sur les intérêts variés des parties prenantes dans les pays donateurs et bénéficiaires, pour saisir les dysfonctionnements de l’aide publique au développement. L’auteur recommande aussi plus de transparence et de redevabilité.

« Aucun pays au monde ne peut être développé par des aides financières externes », reconnaît le Congolais Bowela. La suspension américaine, poursuit-il, nous apprend « à nous prendre en charge et compter sur nos propres moyens. Nous devons nous mobiliser pour être véritablement indépendants des appuis extérieurs ».
Son compatriote Joseph Bobia de l’ONG BVGNR (Bureau de Veille et de Gouvernance des Ressources Naturelles), établie à Kinshasa, analyse cette situation :
« Il est grand temps de repenser l’aide au développement pour ne pas éternellement tendre la main, puisque les contributions nationales au développement peuvent bien faire l’affaire si on s’y met. C’est une question de volonté. Qu’à cela ne tienne, tous ces financements extérieurs apportent tant bien que mal au quotidien du Congolais : la gestion de l’environnement, quelques appuis sanitaires là où il en faut, la contribution à l’éducation de base, l’appui aux petites infrastructures paysannes pour une agriculture durable, etc. ».
Le plus important, selon lui, c’est aussi de réaliser de vrais résultats, de grands impacts » sur le terrain, avec les financements reçus pour justifier de leur pertinence.
Image de bannière : Le Bureau conjoint des Nations unies aux Droits de l’Homme, ONUFemmes et les ONG membres du Groupe Thématique Genre du Nord Kivu, lors de la Journée de Solidarité avec les femmes détenues à la prison centrale de Goma. Image de la MONUSCO via Flickr (CC BY-SA 2.0)
Citation:
Carbonnier, G. (2010). « L’aide au développement une fois de plus sous le feu de la critique », International Development Policy | Revue internationale de politique de développement [Online], n°1. URL: http://journals.openedition.org/poldev/122.
Des ONG déterminées à restaurer les paysages dans les régions dévastées par les guerres en RDC
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