- Les députés européens ont pris une décision demandant à l’Union européenne (UE) de suspendre un mémorandum d’entente sur l’achat des minerais très recherchés pour les technologies de la transition énergétique, lesquels minerais alimentaient les violences armées en RDC.
- Les parlementaires européens critiquent l’UE pour n’avoir pas pris des mesures appropriées pour résoudre la crise en RDC.
- D’après les experts de l’ONU, le Rwanda contamine les minerais tels que le coltan, en mélangeant ceux venus de la région de Rubaya contrôlée par le M23 aux siens.
- En RDC, des défenseurs de l’environnement pensent que la Chine devrait suivre l’initiative des eurodéputés et que Kinshasa doit lutter contre la corruption minière et renforcer sa gouvernance minière.
Jeudi 13 février 2025, le Parlement européen a voté, à une large majorité, la suspension de l’accord de coopération qui lie l’Union européenne (UE) au Rwanda autour des minerais de 3T (étain, tungstène, tantale), très recherchés pour les technologies soutenant la transition énergétique.
D’après le rapport du groupe d’experts de l’ONU de décembre 2024, ces minerais alimentent les violences dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). La dernière escalade en date, est l’occupation, depuis fin janvier 2025, des villes de Goma et de Bukavu par la rébellion congolaise du M23 contrôlant les mines de coltan, accusée d’être soutenu par le Rwanda.
« Le Parlement regrette que l’Union européenne n’ait pas pris de mesures appropriées pour résoudre la crise et faire pression sur le Rwanda pour qu’il cesse de soutenir le M23 », indique le communiqué du parlement, publié le 13 février. Ce dernier appelle la Commission et le Conseil de l’UE, organes de l’exécutif de l’union, « à suspendre immédiatement le Mémorandum d’entente de l’UE sur les chaînes de valeur des matières premières durables avec le Rwanda, jusqu’à ce que ce pays cesse toute ingérence en RDC, y compris l’exportation de minéraux extraits des zones contrôlées par le M23 ».
Selon l’eurodéputé français Thierry Mariani, qui compte parmi indignés par le lourd bilan de l’instabilité persistante en RDC sur fond de l’exploitation illicite des ressources naturelles ayant fait au moins 6 millions de morts, depuis près de 30 ans, la décision du parlement de l’UE requiert des actions concrètes de l’UE. « Ce n’est qu’une résolution ! Maintenant, elle doit être suivie d’actes concrets pris par la Commission Européenne…et ce n’est pas évident », a indiqué Mariani, rapporte le média congolais Actualité.cd.

Se saisir de la « pression » des eurodéputés
C’est également le point de vue du Congolais Jean-Claude Okende, activiste de la société civile, œuvrant, notamment pour la transparence de l’industrie minière. Bien que cette décision constitue pour lui « une avancée », Okende ne croit pas que l’UE renonce à son accord avec le Rwanda sur les minerais de 3T.
« Les circonstances qui ont conduit à la signature du MoU [Mémorandum d’entente, Ndlr] entre l’UE et le Rwanda étaient empreintes de beaucoup d’opacités et de manipulations. Je reste sceptique sur le fond : je ne vois pas la Commission suspendre ça. Mais, je sais que la pression est là pour aller vers la suspension de cet accord », indique Okende à Mongabay.
Toutefois, selon Emmanuel Umpula, responsable de l’ONG congolaise Afrewatch, cette décision parlementaire peut constituer une aubaine pour la RDC. Pour lui, ce pays devrait obtenir l’engagement d’autres pays tels que la Chine, le Japon et le Qatar pour « décourager le fait que les conflits soient un moyen pour avoir accès aux minerais ».
Sans cela, explique son compatriote Okende, le Rwanda continuera à recevoir les minerais issus des conflits en RDC. « Il faut que la Chine commence à s’approvisionner de manière responsable. Il faut avancer aussi [comme avec l’UE] avec la Chine. Il faut que la RDC demande quelles mesures la Chine va aussi prendre », dit Okende.

Lutte contre la corruption et la pauvreté
Perçue comme une victoire symbolique, la décision des eurodéputés se présente également comme une critique contre la gouvernance minière et environnementale en RDC, pays de 2,43 millions de kilomètres carrés et 93 millions d’habitants, dont 73,5 % vivent avec moins de 2.15 USD par jour, selon la Banque mondiale. Or, les groupes armés prospèrent justement sur fond de pauvreté persistante dans les milieux ruraux, où les paysans sont facilement recrutés. En même temps, les ressources naturelles financent aisément les groupes armés.
A propos du M23, par exemple, le rapport du groupe des experts de l’ONU indique qu’en 2024, « la coalition AFC-M23 contrôlait des centres de négoce à Rubaya et Mushaki, ainsi que des routes de transport des minéraux de Rubaya au Rwanda, où ceux-ci étaient mélangés à la production rwandaise ». Rubaya constitue la principale réserve des minerais 3T des Grands lacs africains. « Il s’agit de la contamination la plus importante jamais enregistrée des chaînes d’approvisionnement par des minéraux « 3T » (étain, tantale et tungstène) non certifiés, dans la région des Grands Lacs, ces dix dernières années », indique le même rapport.
Selon Actualite.cd, citant la cheffe de la mission onusienne en RDC, Bintou Keita, à Rubaya, le M23 gagnerait 300 000 USD le mois grâce aux minerais 3T.
Mais le Rwanda a continué à nier toute implication dans le trafic illicite des minerais. A propos des sanctions extérieures, le président rwandais, Paul Kagame, qui considère que Kinshasa collabore avec des groupes qui menacent sa sécurité, a déclaré au magazine Jeune Afrique qu’entre une menace existentielle et le risque de sanction, il choisirait de « braquer ses armes sur la menace existentielle comme si l’autre n’existait pas ».
Pour sortir de ce cycle de violences autour des sites miniers, Emmanuel Umpula recommande d’améliorer la gouvernance des ressources naturelles et le renforcement de l’autorité de l’État sur le territoire national. Ce qui implique de « faire en sorte que l’exploitation des ressources naturelles de la RDC soit réalisée, et dans l’intérêt des populations. Il faut travailler pour améliorer les conditions sociales, parce que, très souvent, dans ces zones, où on exploite, on trouve la pauvreté ; donc il faut beaucoup investir dans ces milieux pour arrêter la spirale de conflits », indique Umpula.

Sites miniers rouges
C’est dans ce contexte que le 12 février 2025, le ministre des mines de la RDC a publié l’arrêté 00031 qui classe aux statuts « rouges » des sites miniers du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, pour une durée de 6 mois renouvelables. Il s’agit de « tous les sites miniers » du territoire de Masisi dans le secteur de Rubaya et du territoire de Kalehe, dans le secteur de Nyamibwe. Cette classification exige un contrôle rigoureux des minerais provenant de cette région, en termes de processus de certification des mineras 3T.
Pour Okende, il y a urgence d’améliorer la gouvernance manière. « La RDC doit optimiser cette classification en prenant des mesures internes pour faciliter l’exécution de sa décision qui classifie tous les sites miniers actuellement contrôlés par les rebelles. Il faut des mesures qui montrent à la communauté internationale que la RDC est un acteur responsable », explique Okende.
Le secteur minier, en RDC comme ailleurs sur le continent, notamment au Libéria par exemple, reste peu enclin à la transparence. Le pays s’est pourtant engagé dans le processus pour la transparence de l’industrie extractive, dont la norme consiste à publier les paiements reçus pour les pouvoirs publics, et les paiements effectués en ce qui concerne les miniers.
Mais comme le montre le magazine Africa intelligence, le lobby de transparence de l’ITIE peine à s’imposer en Afrique. C’est notamment du fait des pressions politiques sur le secteur, indique le magazine. Mais il y a sans doute aussi les liens complexes impliquant des acteurs nationaux et étrangers dans les mines, comme le montre le conflit entre la RDC et le Rwanda.
Image de bannière : Une carrière minière de CHEMAF (Chemical of Africa). Mine de l’étoile, à Lubumbashi, en RDC. Image de Didier Makal pour Mongabay.
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