- L’interconnexion des aires protégées est l’une des solutions à la protection de la planète, conformément aux objectifs 30x30 du Cadre mondial pour la biodiversité.
- Le rôle clé des communautés autochtones dans la protection de la biodiversité est reconnu par la Convention des Nations-Unies sur la diversité biologique (CBD).
- Les politiques d’extension des aires protégées, pour en faire des zones clés de conservation en Afrique, devraient tenir compte des pratiques ancestrales des communautés autochtones.
- La question du financement de la perte de la biodiversité continue de diviser les Parties signataires de la CBD.
La planète est confrontée à plusieurs crises environnementales, allant de la perte fulgurante de la biodiversité au changement climatique, en passant par la dégradation des terres. Au moins tous les deux ans, les États, les organisations de défense de l’environnement, les représentants des peuples, le secteur privé, se réunissent à l’occasion des Conférences des parties (COP), pour tenter de trouver des solutions à ces différentes crises.
Au sortir de la COP15 sur la biodiversité en 2015, il avait par exemple été décidé de la mise en place d’un Cadre mondial de la biodiversité, avec pour objectif de protéger au moins 30 % de la planète à l’horizon 2030, afin de réduire la perte de la biodiversité.
Cet objectif intègre un ensemble de paramètres à prendre en compte, notamment la mobilisation des financements, la définition des politiques de conservation intégrées impliquant les communautés locales et les peuples autochtones.
Lors de la COP16 sur la désertification ayant eu lieu du 2 au 13 décembre 2024 à Riyad en Arabie Saoudite, Mongabay s’est entretenu avec Charles Karangwa, Directeur des solutions fondées sur la nature à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), sur les options à explorer pour parvenir à une meilleure protection de la planète, alors que l’échéance de 2030 approche.
Pour lui, les peuples autochtones, en l’occurrence ceux du continent africain, ont un rôle clé à jouer pour l’atteinte de ces objectifs, malgré le contexte difficile de mobilisation des financements.

Mongabay : Est-ce que l’extension des aires protégées à travers le monde pourrait contribuer à une meilleure protection de la biodiversité ?
Charles Karangwa : L’extension des aires protégées, qui est faite sans tenir compte des autres critères, pourrait au contraire, aggraver la perte de la biodiversité si on ne fait pas attention. Surtout si ce n’est pas fait dans le cadre participatif en considérant les connaissances et les pratiques indigènes des peuples autochtones. Il ne s’agit pas d’une simple extension, ça devrait être fait en tenant compte des intérêts, pas seulement politiques, mais surtout des communautés, pour renforcer leur résilience aux autres crises climatiques.
Je salue les efforts des pays qui sont engagés dans les cibles de la CDB (Convention sur la diversité biologique). L’une des cibles, c’est exactement la protection et la conservation des terres 30×30, c’est-à-dire que 30 % des terres doivent être conservées et protégées. C’est une cible que nous saluons à l’UICN, parce que ça va renforcer, non seulement la protection des zones déjà protégées, mais être capable d’élargir aussi les aires. Mais nous insistons sur le fait que cela ne doit pas être fait au détriment des droits des peuples autochtones. Ça doit être fait dans leurs intérêts. Nous pensons qu’il faut qu’il y ait des cadres politiques clairs sur l’utilisation des terres. Il ne s’agit pas simplement de chasser les personnes de là où elles sont installées pour étendre l’aire protégée, mais il faut qu’il y ait vraiment un cadre national concerté, informé et participatif dans le processus d’extension des aires protégées. Cette participation pourra également renforcer l’appropriation et l’atteinte de cet objectif (30×30).
Mongabay : Les pays africains sont-ils suffisamment outillés pour pouvoir relever le défi de l’extension des aires protégées en intégrant les communautés locales et les peuples autochtones dans les politiques de conservation ?
Charles Karangwa : Nous voyons des cas qui ne sont pas forcément satisfaisants dans pas mal de pays où les communautés locales et les peuples autochtones sont chassés de leurs terres, dans le but d’étendre les aires protégées. Ce n’est pas ça qu’on souhaite. Ce n’est pas ce type de modèle qu’on veut. Je crois que c’est tout un processus qui doit être accompagné, pas seulement par les intérêts politiques, mais aussi la science. Il faut que la base des décisions soit vraiment guidée par la science, la participation des communautés, la participation de la société civile, etc. Deuxièmement, en termes de capacité, il ne faut pas que ce soit une politique qui s’imbrique dans les autres politiques d’utilisation des terres. Que cette extension soit intégrée dans les autres politiques nationales et que ça ne soit pas une décision politique, mais plutôt publique dans l’intérêt de la communauté et des parties prenantes dans le processus. C’est là où ça pourra être durable.
Mongabay : Une étude conduite par Rebecca Senior révèle que 58 % des espèces menacées d’extinction et classées sur la liste rouge de l’UICN, ne bénéficient pas suffisamment d’attention en matière de protection. Quelles sont, selon vous, les mesures essentielles pour assurer une meilleure protection des espèces menacées d’extinction ?
Charles Karangwa : C’est vrai qu’il n’y a pas assez de ressources pour financer la conservation et la protection de la biodiversité. À l’UICN, nous lançons un appel global pour qu’il y ait une mobilisation des ressources de toutes les parties prenantes (secteur privé, Etats, partenaires multilatéraux), afin que la conservation et la protection de la biodiversité soient intégrées dans le processus de développement. Ça ne doit pas être isolé, car ça ne sera pas facile pour l’Afrique qui a beaucoup de priorités. Mais, si jamais nous voyons la protection de la biodiversité comme la fondation du développement durable, ça change le narratif. Dès lors, ça sera facile de mobiliser les ressources. Ce que nous oublions souvent, c’est que la protection de la biodiversité bénéficie souvent au développement en termes de ses différents services écosystémiques à travers la production agricole, la sécurité en eau, la sécurité en moyens de subsistance, etc. Il ne faut pas isoler la conservation, mais il faut qu’on intègre tous ces secteurs dans le développement durable et que ce soit motivé par rapport au capital naturel que la biodiversité pourra nous apporter dans ce processus.

Ensuite, je pense qu’il faut aussi une coordination des financements. Il y a beaucoup de perte de financements avec des duplications au niveau des pays, due à une absence de planification, de leadership politique. Tout le monde vient et finance des petites initiatives ça et là, d’une façon non coordonnée. Il faut vraiment qu’il y ait des cadres de coordination de financements de la biodiversité au niveau national, à travers ce qu’on appelle les NBSAPs (National Biodiversity Strategies and Action Plans). Si jamais ces outils sont développés et que les bailleurs alignent leurs financements sur les NBSAPs, ça pourrait faciliter cette coordination de financements. Il faut aussi commencer à étudier, d’une façon détaillée, ce qu’on appelle les subsidies dans les autres secteurs. Il y a par exemple beaucoup de financements qui vont dans le secteur agricole et qui induisent la perte de la biodiversité. Or, on pourrait orienter ces subsidies dans la protection de la biodiversité. Et, il ne faut pas que ce soit seulement des appuis externes, mais aussi des financements au niveau national intégrés dans les budgets nationaux.
Mongabay : Au sortir de la COP16 sur la biodiversité à Cali (Colombie), il n’y a pas eu d’accord de financements au terme des négociations entre les pays du Sud global qui ont soutenu l’idée de la création d’un nouveau fonds, pour la mobilisation des ressources, pour la protection de la biodiversité, laquelle a été rejetée par les pays du Nord considérés comme principaux responsables de la perte de la biodiversité. Est-ce que cette divergence de vues peut constituer un frein dans l’atteinte de l’objectif de protection de la planète à l’horizon 2030 ?
Charles Karangwa : Exactement ! Le manque de consensus peut constituer un effet néfaste sur l’atteinte des objectifs de la CDB. Et il y a plusieurs raisons : premièrement, parce que le manque du cadre de financements, est un enjeu qui pourrait continuer à ne pas faciliter la coordination. Les mécanismes de financements sont très importants parce qu’ils facilitent la coordination. Il y a des moyens clairs de mobilisation de ressources. Mais aussi, il faut qu’on commence à réfléchir si on a vraiment besoin de nouveaux instruments de financements, ou alors on renforce ce qui existe. Nous savons qu’aujourd’hui, il y a le Fonds vert climat (FVC) au niveau global, le Fonds sur le Ocean damage ; le Global Environment Facility (GEF), et bien d’autres. Est-ce que continuer à morceler ces instruments va nous aider à avancer avec la mobilisation des ressources ? Je ne pense pas. J’ai l’impression que, plus nous augmentons les mécanismes de financements, plus les financements ne seront pas consolidés, y compris au niveau national. Mais il faut pousser très fort pour qu’on réalise le lien entre la crise du changement climatique sur la biodiversité et la crise de la biodiversité dans le changement climatique, mais aussi la désertification. Pour moi, je crois qu’il faut des synergies entre les trois conventions (Climat, Biodiversité et Désertification), parce que ce sont des enjeux qui sont intégrés et l’un n’exclut pas l’autre.
Deuxièmement, il faut aussi que les financements soient alignés aux objectifs communs. Si on peut mobiliser les financements pour l’adaptation aux changements climatiques, il faut que ça contribue aux objectifs de la résilience de la biodiversité. C’est en cela que je trouve les concepts comme les solutions fondées sur la nature très pertinents, parce que ça aide à conjuguer les efforts entre les différentes crises, et essayer de voir comment on pourrait adresser ces défis d’une façon harmonisée.
Mongabay : Quels types de solutions basées sur la nature préconisez-vous à l’IUCN pour lutter contre les changements climatiques, la dégradation des terres et la perte de la biodiversité ?
Charles Karangwa : Nous avons eu une session à l’IUCN (Side event, le 7 décembre 2024 à Riyad, Ndlr), où on a discuté de la restauration écologique des paysages forestiers, des paysages agricoles, des paysages pastoraux. La restauration peut se faire en considérant tous les bénéfices de la biodiversité, mais aussi l’adaptation aux changements climatiques, je pense que ce sont les solutions fondées sur la nature, qui pourront également renforcer la biodiversité et la résilience au climat, mais aussi la lutte contre la désertification. Nous avons discuté aussi des mangroves, qui sont des écosystèmes très critiques pour la protection de la biodiversité marine, souterraine et même terrestre ; tout ce qui est des enjeux sur la transformation du système agricole, avec des méthodes traditionnelles.
Mongabay : Que rôle peut jouer l’Afrique dans l’atteinte des objectifs cibles du Cadre mondial de la biodiversité pour contribuer à la protection de 30 % de la planète à l’horizon 2030 ?
Charles Karangwa : L’Afrique est un continent très riche en termes de biodiversité. Nous avons des écosystèmes très significatifs dont le bassin du Congo, y compris en Afrique de l’Ouest. Pour l’Afrique, la première contribution, c’est de travailler sur les enjeux de réduction de la perte des écosystèmes. Il faut aussi voir qu’il y a une perte accélérée de la nature du fait de l’agriculture, de l’urbanisation, du changement climatique, etc.
Deuxièmement, il faut continuer à investir dans la conservation-protection et dans la gestion durable des écosystèmes que nous avons, surtout les écosystèmes à Haute Valeur de Conservation (HVC). C’est très pertinent de les conserver, pas seulement parce que ce sont des biens communs qu’on partage avec les autres continents, mais parce que ça ramène le capital naturel des écosystèmes que nous défendons (l’eau, le carbone, l’écotourisme, etc.). Je pense aussi qu’il y a pas mal de bonnes pratiques qui viennent du continent, que les autres continents pourraient apprendre pour ensemble travailler dans l’atteinte de l’objectif de protection de 30 % de la nature d’ici à 2030. Il y a par exemple le travail avec les communautés autochtones pour gérer ensemble des écosystèmes intégrés. Ce sont des pratiques qui sont déjà connues dans pas mal pays en Afrique, et il y a aussi des partenariats innovants, qui pourraient inspirer les autres continents. En Afrique, il y a par exemple la gestion interconnectée des aires protégées transfrontalières entre les pays.
Image de bannière : Charles Karangwa, Directeur des solutions fondées sur la nature à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Image de Yannick Kénné pr Mongabay.
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