- Comme la plupart des pays africains, le Bénin est un pays à risques climatiques. Vagues d’inondations, vents forts, vagues de chaleur, épisodes de sècheresse, risques de submersion marine et les phénomènes associés, tels que les invasions des criquets et les éboulements, autant d’éléments qui confirment cette réalité.
- Les pays en développement, en particulier, ceux les moins avancés, payent le plus lourd tribut pour assurer les réparations, la remise en état ou la restauration, après les dégâts causés par les extrêmes météorologiques. Bien évidemment, cela absorbe des ressources importantes qui auraient pu être consacrées au développement socioéconomique. L’exemple du Bénin, en 2010, est assez illustratif. En deux mille dix, ce pays a été frappé par une inondation de grande ampleur avec des pertes humaines
- Pour sauver des vies humaines et prévenir les catastrophes, il sied que les pays vulnérables au réchauffement climatique mettent en place, là où il le faut, des stratégies adéquates ou s’appuient sur leurs savoirs endogènes pour se préparer aux phénomènes dangereux, réagir face à ceux-ci et en limiter leurs conséquences. Dans ce cas, le Fâ se révèle comme un moyen infaillible de prévention, notamment des risques climatiques. Retour sur ce qui s’était passé en 2010 au Bénin.
« Les Béninois ne sont pas des grenouilles pour vivre les pieds dans l’eau ». Cette plaisanterie du Président Nicephore Dieudonné Soglo, qui a dirigé le Bénin de 1991 à 1996, n’était pas, à l’époque, au goût de tout le monde. Néanmoins, elle est restée, des décennies durant, la boutade qui caricaturait un état de fait : les inondations récurrentes à chaque saison des pluies dans les grandes villes du pays, particulièrement à Cotonou, la capitale économique du Bénin. Mis à part les pertes post-récolte, la présence de l’eau dans les maisons, dans les écoles et commerces, dont le Président Soglo chaussait les bottes pour aller mesurer l’ampleur, lui-même, ses successeurs et les populations étaient loin d’imaginer que le pire arrivait devant.
Puis, vint les inondations de 2010, la pire catastrophe documentée connue par le Bénin, petit pays d’Afrique de l’Ouest (114760 km2), de près de treize (13) millions d’habitants, logé sur la façade atlantique et ayant comme voisins le Togo, le Niger, le Burkina-Faso et le Nigéria.
Les rapports consacrés à cette catastrophe indiquent qu’il est tombé, en quelques jours, la pluie de toute une saison s . En l’absence de dispositif de rétention et d’évacuation du trop-plein d’eau et d’un système d’alerte précoce efficace, le risque d’inondation était absolument inévitable. Aucune des cinquante-et-cinq (55) communes à risque du Bénin n’avait échappé au danger.
Emmanuel Agnidé Lawin, Docteur en hydrométéorologie et Professeur à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin), s’en souvient. « 2010 a été une année malheureuse pour toutes les Béninoises et tous les Béninois, parce que, au plan des catastrophes, les inondations de 2010 sont restées gravées dans la mémoire, lorsqu’on regarde l’intensité et l’étendue des impacts et des conséquences en cette année-là. C’était une année excédentaire au plan pluviométrique. Le nombre de jours de pluie a varié entre 95 et 122 sur la bande sud du pays avec un cumul annuel atteignant 2006 millimètres de pluie à Cotonou, la capitale économique du Bénin ».

Un drame qui aurait pu être évité
Le bilan fait état de 90 morts. Les dégâts économiques furent estimés à 127 milliards de francs CFA (199 535 144,79 USD), 55 communes touchées sur les 77 que compte le Bénin, 100 mille sans-abris. Curieusement, la science et les autres dispositifs modernes de prévention des risques n’ont pas vu venir la catastrophe ; contrairement au Fâ, une science comme les autres à la différence qu’elle n’utilise pas les mêmes méthodes (ordinateurs, calculs mathématiques et autres).
Inscrit en 2008 sur la liste de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le Fâ est une phénoménologie de l’ontologie, souligne Mahougnon KaKpo, enseignant à l’université d’Abomey-Calavi, Directeur du Laboratoire d’études africaines et de recherche sur le Fâ.
Cela veut dire que le Fâ apporte une solution à tous les problèmes de l’humain, à son environnement et à tout l’univers. « Lorsque le Fâ identifie un problème, explique l’enseignant, il propose en même temps une solution, et cette solution, il y a une démarche pour l’exécuter ou la réaliser. Le Fâ admet et exige, ensuite, une méthode de vérification de sa part. C’est ce qui résulte de la consultation divinatoire annuelle dénommée « Bénin Toffa ».
Une sorte de rituel ou savoir ancestral, organisé par les dignitaires et les prêtes Fâ, à la veille de chaque nouvelle année. Cette consultation consiste à avoir des informations sérieuses sur les évènements néfastes et situations douloureuses qui pourraient subvenir au cours de la nouvelle année.

David Coffi Aza est un prête du Fâ et un dignitaire du culte vodoun, il est l’un de ceux qui ont pris part à ce rituel. Rencontré à son cabinet à Godomey, un quartier situé à la périphérie de Cotonou, la capitale économique du Bénin, il se souvient bien des signes issus de cette consultation. « Comme d’habitude, il y a toujours trois signes lors des consultations du Fâ. Le signe principal, à l’époque, était le « Sa-Tula », celui de la gauche, le « Losso-Tula et le troisième signe à la droite le Woli-Godo ». Au dire du prête du Fâ, le signe principale affiche le contexte et une vue globale sur le présent. Celui de la gauche donne des informations sur le passé et la droite oriente vers le futur. Dans l’interprétation des signes, c’est ce dernier, le signe Woli-Godo qui a alerté sur les crues, le débordement des lacs et des fleuves, voire de l’océan. Malheureusement, le rapport édité et déposé sur la table du gouvernement n’avait pas été exploité à l’effet des dispositions à prendre pour conjurer le mauvais sort ; ce qui doit arriver, arriva.
Le dignitaire du Fâ se réjouit de l’implication, ces dernières années, des dirigeants actuels. La consultation de l’année dernière a été d’ailleurs faite en présence du Chef de l’Etat qui a ordonné le financement des sacrifices recommandés. Les prédictions de 2025 ont eu lieu le 10 janvier dernier, à l’occasion de la célébration de la fête annuelle des religions traditionnelles, sous le signe Fu gbidi yeku, qui appelle des sacrifices à certains vodun (minon nan, Dan, les défunts et les jumeaux), pour une année prospère.
Les accessoires pour la cérémonie de consultation du Fâ. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.
Le Fâ et les défis existentiels de l’humanité.
Le Fâ ne doit pas être tenu à l’écart de différends combats que mène l’humanité pour sa survie. Si on se réfère à l’histoire, racontée par le prête du Fâ, cette science divinatoire est arrivée au Dahomey d’alors, actuel Bénin, le quinze novembre mille-sept-cent-quinze (15 novembre 1715), suite à un bouleversement climatique.
Le royaume du Danxomè avait connu, en effet, une longue sècheresse provoquée, après un différend au sein du royaume. Trois ans sans une goutte de pluie avec des conséquences sur la production agricole. Le royaume du Danxomè sombrait pratiquement à cause de la famine et son cortège de misère. Le souverain de l’époque, le roi Dossou Agadja, à la recherche de solution, fit venir du Nigéria le prête du Fâ. Ce dernier identifia le problème et ordonna des sacrifices. La pluie vint immédiatement après. A celui qui a fait ce miracle, le roi attribua le nom « Djissa » qui signifie vendeur de pluie et lui offrit également une place de choix dans le royaume, conservée jusqu’au aujourd’hui par ses descendants.
Aza, le prête du Fâ, dira, par la suite que « le Fâ peut être utile dans la lutte contre les risques climatiques au Bénin, et peut aussi contribuer à la lutte contre les effets du réchauffement climatique, à condition que les peuples et les acteurs, à travers le monde, fédèrent leurs efforts, tant sur le plan spirituel que métaphysique en associant la science moderne et la technologie, dans l’intérêt des sociétés modernes ».
L’un des combats de Mahougnon KaKpo, est de proposer l’enseignement du Fâ dans les programmes scolaires. « Il faut parler du Fâ aux plus jeunes, leur donner des éléments de fonctionnement et d’attribut du Fâ, pour qu’ils pussent savoir que le Fâ est un domaine de connaissance », justifie, l’enseignant-chercheur. Une école pour le Fâ pourrait voir le jour très prochainement au Bénin.

Le Fâ n’est plus une question de choix
A une certaine époque, c’est en catimini qu’on se rend chez le prête du Fâ, cette “science’’ divinatoire étant considérée comme l’incarnation du diable. Aujourd’hui, les regards ont changé.
Le département du Zou, au centre du Bénin, est l’un des greniers de production agricole au Bénin. Le « Tofâ Bénin 2025 », est déjà fait dans son département, annonce le Préfet du Zou, Firmin kouton, interrogé en direct. Les pertes post-récoltes, la mauvaise saison, l’absence de pluie et la menace de l’invasion acridienne, peuvent avoir des impacts sur la production et conduire à la perte de l’investissement du paysan et du crédit qu’il a obtenu. C’est pour ça, indique le préfet, que les prédictions du Fâ et les sacrifices y afférents sont utiles aux paysans pour connaitre la couleur de la saison à venir.
Lorsqu’un problème se pose, confie Kakpo, l’universitaire, il faut avoir recours au Fâ qui vous propose des solutions et ces solutions vous permettent de prendre une décision par rapport à cette préoccupation. C’est ce qui est fait pour l’instant, selon le Préfet Kouton. Il n’y a pas, aujourd’hui, une planification en tant que telle pour intégrer le Fâ dans toutes les politiques et programmes du département, fait-il observer, cependant, l’autorité préfectorale accompagne tout ce qui peut concourir au-bien-être des populations.
Au ministère de l’agriculture, par contre, il n’y a pas à ce jour un dispositif qui intègre le Fâ dans la planification des activités agricoles, assure Gaston Dossouhoui, ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la Pêche. II explique que ce n’est pas dans la tradition de s’interroger sur l’issue de la campagne agricole. II y a une entité qui s’en occupe et des efforts sont faits par les uns et les autres pour que la production soit bonne à chaque saison. A cela, répond l’universitaire Kakpo, « le Fâ intervenant à tout propos ou proposant des solutions pour toutes les préoccupons, par conséquent, on peut appliquer à tous les domaines d’activités qui existent les connaissances du Fâ ».
De toutes les façons, Dâah Kpéyi, de son nom de prête du Fâ et Edmond Agbassè, de son nom à l’état civil est catégorique, au cours d’un entretien en direct dans son temple du Fâ, à Glo Djigbé, une localité à la périphérie de la commune d’Abomey-Calavi, au Nord de Cotonou: « le Fâ prédit toujours le présent et le futur, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est consulté ».
Au stade actuel de l’évolution de l’humanité, l’homme a besoin d’être rassuré, de savoir pour agir, et le Fâ est aujourd’hui la seule source divinatoire, pour révéler l’avenir, tout en se proposant d’aider l’homme à y faire face par des moyens appropriés.
Image de bannière : Ecole de divination au Bénin. Image par Casten Ten Brink via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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