L’un des derniers rhinocéros de Java photographié par une caméra piège à Ujung Kulon. WWF, la Fondation Internationale de Défense des Rhinocéros et la Fondation Aspinall ont fourni au parc plus de 100 caméras pièges. Capture de vidéo offerte par le Parc National d’Ujung Kulon.
27 Août 1883. Ce jour a été appelé « le jour où le monde a explosé ». Il y a cent trente ans, le volcan de l’ile de Krakatoa (Krakatoa) a été secoué par une éruption. Quelques jours auparavant, les colonnes de fumées avaient averties les habitants de Java et de Sumatra, les grandes îles les plus proches, mais personne n’aurait pu imaginer l’intensité de l’éruption et la dévastation qui s’en est suivie.
Plusieurs kilomètres cubes de roches et de cendres – correspondant à plus de la moitié de l’île – ont été propulsés dans l’atmosphère. L’énergie développée par l’explosion était équivalente à 10.000 bombes d’ Hiroshima et était d’une ampleur plus puissante que l’éruption du Mont Saint Helens. Sa sonorité était audible jusqu’en Inde et en Australie. Plus de 150 villes et villages ont été détruits et près de 40 000 personnes ont perdu la vie. Des tsunamis de plus de 30 mètres de hauteur se sont abattus sur les habitats côtiers, inondant les forêts des basses terres et éradiquant la faune sauvage.
Anak Krakatau de nos jours. Photo prise par Inov, Contact Indonésien de l’IRF |
A l’ouest de Java, la péninsule d’Ujung Kulon se situe au sud de Krakatoa, dans le détroit de la Sonde. Tous ses habitants ont péri à la suite de l’éruption, tout comme deux espèces de mammifères les plus rares du monde – le tigre de Java et le rhinocéros de Java. Leur seul refuge aurait été la montagne de Gunung Payung située à l’extrême ouest de la péninsule ou à l’est, sur les hauts plateaux de Gunung Honje, mais les survivants auraient été peu nombreux.
Un siècle plus tard, l’Indonésie a déclaré Ujung Kulon en tant que Parc National. Les humains ne se sont jamais réinstallés dans la péninsule, contrairement aux tigres et aux rhinocéros. Le braconnage a néanmoins conduit à l’extinction du tigre de Java. Cependant, les Rhinocéros ont toutefois réussi à survivre. Grâce aux efforts intenses pour les protéger, environ 50 animaux sont aujourd’hui présents, mais ce sont les derniers rhinocéros de Java sur la planète. Une espèce qui, autrefois, s’étendait des contreforts de l’Himalaya, au continent Asie du Sud-Est et jusqu’aux îles de Sumatra et de Java, une répartition couvrant près de 5000 kilomètres. Cette espèce serait désormais disparue à jamais en Inde, au Bangladesh, au Myanmar, au Laos, en Thaïlande, en Malaisie, au Cambodge, en Chine et au Vietnam.
Entre temps, un nouveau volcan insidieux s’est développé à partir des restes de l’ancien. Anak Krakatau (Enfant du Krakatoa) a émergé par le fond océanique peu de temps après l’éruption historique et a fait surface à la fin des années 1920. Son sommet s’élève maintenant à plus de 300 mètres et ce nouveau volcan croît de plus de 4 mètres chaque année. Oh, et oui, Anak Krakatau est actif et pourrait aussi entrer en éruption, tout comme son papa l’a fait. N’est-il pas ironique que le seul endroit sur Terre restant aux rhinocéros de Java soit également le lieu le plus menacé dans lequel ils ont toujours vécu ?
Habitat côtier des rhinocéros de Java |
Cette créature a certainement mérité le statut de Critique d’Extinction qui lui a été attribué grâce à la Liste Rouge des Espèces Menacées de l’UICN. Pourtant, tout n’est pas nécessairement morose. Le nombre de rhinocéros d’Ujung Kulon semble s’être stabilisé entre 40 et 50. En fait, de récentes investigations des caméras pièges confirment la présence de 35 animaux distincts, dont au moins quatre veaux qui sont toujours en compagnie de leurs mères. Il y a cinquante ans, les défenseurs de la faune sauvage n’auraient pas prédit ces chiffres. À l’époque, les estimations de rhinocéros de Java vivants sur Ujung Kulon étaient de deux à trois douzaines tout au plus et le pronostic de survie était infime. Selon Eugen Schuhmaker, zoologiste et cinéaste allemand, qui a visité la région en 1967 et produit à la fois un livre et un documentaire intitulé « Les Derniers Paradis: Sur la Piste des Animaux Rares », a déclaré: «À mon avis, la gestion actuelle de cette réserve naturelle est totalement inappropriée. Un garde forestier, qui réside loin, vient visiter seulement occasionnellement, il n’y a aucune station d’observation permanente ou de garde forestier résidant dans la réserve. Les quelques installations construites par les Néerlandais sont tombées en ruine, de même que tout ce qui a autrefois été fourni par l’homme pour la protection des animaux ». L’aviateur renommé Charles Lindbergh a également visité la région en 1967 et a écrit ceci au rédacteur en chef du magazine La Vie : « le Kulon Udjong, géographiquement suspendu par un fil à la pointe ouest de Java, symbolise le désespoir de nombreux animaux de notre planète. La lutte pour la survie d’une espèce distincte de rhinocéros est maintenant menée ». Au cours de leur visite, ni Schuhmaker, ni Lindbergh n’ont pu observer de rhinocéros de Java. Suite à la lettre de Lindbergh, le magazine La Vie a envoyé l’écrivain-photographe Eliot Elisofon en mission, celle-ci a également été infructueuse malgré avoir passé trois mois à la recherche de rhinocéros. Cependant, ils ont tous les trois permis d’attirer l’attention sur le sort de cette espèce autrefois très répandue.
Le Parc National d’Ujung Kulon |
Question: De quoi un animal pesant une à deux tonnes doit-il se protéger ? Réponse: Des mêmes braconniers qui ont pourchassés et tués les derniers tigres de Java pour leurs peaux, la viande, les os, les griffes et les moustaches.
Cependant, les braconniers ne tuent pas les rhinocéros pour différentes parties du corps. Ils les tuent presque exclusivement pour leurs cornes et pour les masses de cheveux agglutinées au sommet du museau du rhinocéros qui peuvent atteindre des sommes énormes sur les marchés asiatiques pour être utilisé en tant que médicament traditionnel contre la fièvre ou simplement en tant que symbole de statut social. La corne du rhinocéros de Java est la plus petite de l’ensemble des cinq espèces vivantes, la moyenne est inférieure à 30 centimètre et seuls les mâles adultes en possèdent. Nous aurions toutefois tort de supposer que le braconnage ne constitue pas une menace importante à la survie. Même s’il est vrai que la perte de l’habitat a probablement autant, sinon plus, contribué au déclin de l’ensemble des rhinocéros de Java, le braconnage pourrait facilement assener un coup fatal à cette espèce.
Des gardes de l’UPR patrouillent la rivière Cigunter
Heureusement, à la fin du siècle dernier, d’importants efforts de protection ont été mis en place à Ujung Kulon. Les Unités de Protection des Rhinocéros (RPU), financées par le secteur privé, ont rejoint les équipes nationales de gardes forestiers du Ministère des Forêts, qui travaillent sous la supervision de Mohammad Haryono, actuel Directeur du parc. Les équipes des RPU sont gérées par la Fondation Indonésienne de Défense des Rhinocéros (Yayasan Badak Indonesia ou YABI), tandis que la majeure partie du financement pour leur salaire, l’équipement et la logistique provient de la Fondation Internationale de Défense des Rhinocéros (IRF). L’IRF dépend de subventions et de contributions, provenant de sources très diverses, pour maintenir les programmes RPU dans trois parcs nationaux Indonésiens – Ujung Kulon, Bukit Barisan Selatan et Kambas Way. Ces deux derniers parcs protégés sont cruciaux pour la survie du rhinocéros de Sumatra, dont plus d’une centaine est soupçonnée exister.
Bill Konstant devant une statue de rhinocéros de Java
En juillet dernier, j’ai passé un peu plus d’une semaine à Ujung Kulon, dans l’espoir d’observer un rhinocéros de Java sauvage. J’étais dirigé par Inov, un contact indonésien de l’IRF, qui a étudié cette espèce durant ces 10 dernières années, et par Sorhim, un membre de l’équipe RPU, qui a protégé ces créatures pendant une période encore plus longue. Sorhim et son équipe travaillent sur le terrain deux à trois semaines par mois pour rechercher des collets et des pièges, ainsi que des traces de rhinocéros – les empreintes, les bauges, les crottins, l’urine, les jeunes arbres effondrés, les feuilles grignotées et les observations directes extrêmement occasionnelles. Au cours de notre randonnée dans la péninsule, nous n’avons ni vu, ni entendu de rhinocéros, mais nous avons trouvé des signes qui semblaient provenir de huit individus distincts. Ce qui constituerait à peu près 20% de la population estimée, je me suis donc demandé comment ces bêtes volumineuses pouvaient rester cachées. Ma seule consolation: ce n’était pas personnel. Les rapports stipulent que quatre équipes RPU du parc national d’Ujung Kulon – correspondant à 16 hommes – ont patrouillés en 2012 un total collectif de près de 3650 kilomètres – à peu près l’équivalent d’une randonnée de New York à Las Vegas, au Nevada – et, durant toute une année, aucun n’a pu espionner de rhinocéros vivant.
Ces 10 dernières années, Inov a visité plusieurs fois par an le parc national d’Ujung Kulon et il a repéré un rhinocéros de Java qu’une seule fois. Ses recherches portent sur les plantes mangées, ou non, par les rhinocéros. Les rhinocéros de Java consomment les feuilles, les rameaux et les fruits. Les biologistes ont identifié plus de 300 espèces différentes qui constituent leur alimentation. Une plante invasive, qui ne leur offre aucune nutrition, est un palmier portant le nom latin « Arenga obtusifolia » et appelé localement « langkap ». Malheureusement, il domine à présent le paysage d’Ujung Kulon et évince efficacement un nombre important de plantes alimentaires. En fait, c’est peut-être le principal facteur qui limite la capacité de l’habitat des rhinocéros de Java. Si de vastes étendues du palmier Arenga étaient remplacées par des carrés de végétation plus comestibles, la théorie actuelle est que les rhinocéros fréquenteraient de plus en plus les nouveaux «bars à salade” et leur nombre croîtrait. Cette hypothèse est actuellement testée dans un secteur forestier de 10.000 hectares relié par un isthme étroit de la péninsule d’Ujung Kulon. Ses forêts des basses terres entourent les contreforts de Gunung Honje (la Montagne Gingembre) et sont elles-mêmes bordées par des rizières et une paroi périphérique d’habitations humaines. La parcelle de terrain est connue en tant que Zone d’Étude et de Conservation du Rhinocéros de Java (JRSCA).
Une bauge de Rhinocéros de Java (à gauche), Défrichement des palmiers Arenga (en haut), Régénération de la végétation a posteriori (en bas).
Environ 100 hectares de parcelles expérimentales ont déjà été désobstrués des palmiers dans la Zone d’Étude et de Conservation du Rhinocéros de Java (JRSCA). Chaque hectare a été déblayé par des ouvriers locaux, beaucoup d’entre eux avaient dû quitter il y a quelques années leurs installations illégales dans le parc national. Ils utilisent des machettes et des haches pour abattre les arbres, les tranchent en morceaux gérables, puis les trainent et les empilent au bord de la forêt. Sans l’ombre dense des palmes de palmiers, la lumière du soleil parvient au sol de la forêt et stimule la croissance des graines dormantes, des stolons et des racines. De nouvelles plantes apparaissent rapidement et la hauteur de certaines plantes peut atteindre le niveau de la taille, voire de la poitrine, en seulement quelques mois. Et ce qui est vraiment encourageant, c’est que plus de 90% des espèces qui recolonisent les terres défrichées sont des plantes alimentaires pour les rhinocéros de Java.
Widodo Ramono, Directeur Exécutif de la Fondation Indonésienne de Défense des Rhinocéros (YABI) |
Widodo Ramono, Directeur Exécutif de la Fondation Indonésienne de Défense des Rhinocéros (YABI), est responsable de la protection et des recherches portées sur le rhinocéros de Java. Il a également plus d’histoire avec cette créature que quiconque sur la planète. Widodo a guidé Charles Lindbergh lors de sa visite à Kulon Ujung en 1967 et a ensuite été nommé Directeur du parc national. Son nom est célèbre pour les plans de relance de cette espèce. Selon Widodo, la Zone d’Étude et de Conservation du Rhinocéros de Java (JRSCA) représente le meilleur espoir pour la survie du rhinocéros de Java. Il explique: «En élargissant la répartition du rhinocéros de Java, nous allons non seulement accroître sa population, mais nous serons également en mesure d’étudier cette espèce de plus près. Nous allons apprendre davantage sur son écologie et son comportement, ce qui nous aidera à trouver un domicile secondaire au sein de son territoire. Comme on dit, il n’est pas bon de mettre tous les œufs dans le même panier. La même chose est véridique pour le rhinocéros de Java. Si le parc national d’Ujung Kulon est le seul endroit pour qu’ils puissent vivre, il se pourrait que cette espèce ne puisse survivre. ”
Les efforts pour identifier un second site, qui pourrait assurer une population plus nombreuse de rhinocéros de Java, sont déjà en cours. Plusieurs autres forêts des basses terres de Java ont été évaluées, mais aucune ne semble être de taille appropriée. Étant donné que cette espèce existait autrefois sur Sumatra, plusieurs sites de cette île méritent d’être examinés. Une fois que le nombre de rhinocéros aura augmenté au parc national d’Ujung Kulon, les protecteurs de la faune sauvage espèrent identifier un deuxième domicile et planifient une réintroduction historique. Le fait que l’espèce a résisté aussi longtemps – pas plus de 50 animaux pendant près de 50 ans – témoigne de sa ténacité.
AUTEUR: Bill Konstant est responsable des programmes à la Fondation Internationale de Défense des Rhinocéros