- L’élevage d’insectes comestibles est souvent présenté comme une solution écologique prometteuse face aux ravages de la viande sur l’environnement.
- Mais une étude indique qu’en Occident, où la consommation de viande est la plus élevée, très peu de personnes acceptent de consommer les insectes, même quand ils sont transformés en poudre ou incorporés à des amuse-bouches.
- Les experts pensent que dans des pays où l’entomophagie est déjà culturellement acceptée, l’élevage d’insectes comestibles peut devenir un levier de transition écologique et alimentaire.
- Toutefois, il faut quantifier avec précision les émissions de carbone nécessaires pour produire des équivalents nutritionnels à la viande, afin de s'assurer que le problème est résolu et non simplement déplacé.
Une étude montre que, malgré leurs avantages environnementaux potentiels, tels qu’une moindre émission de gaz à effet de serre et une utilisation réduite des terres, les produits à base d’insectes ne constituent pas une alternative capable de réduire significativement la consommation de la viande. Leur adoption reste limitée, notamment en raison de leur faible acceptabilité par le grand public, particulièrement dans les sociétés occidentales.
Publiée en juin 2025, dans npj Sustainable Agriculture, une revue affiliée au groupe Nature, cette étude a été menée en réponse à l’empreinte écologique importante de la production de viande.
L’élevage est « le principal moteur de la déforestation mondiale, devant l’huile de palme. Il est responsable de 57 % de la pollution de l’eau à l’échelle globale, tout en ne fournissant que 37 % des protéines alimentaires mondiales », dit l’étude.
Les chercheurs d’Insect Institute des États-Unis, d’AgroParisTech-INRAE en France, de l’université de Washington Tacoma aux États-Unis et d’Animal Ask au Royaume-Uni, se sont interrogés sur le potentiel réel des aliments à base d’insectes pour remplacer la viande, en évaluant à la fois les avantages environnementaux et les nombreux obstacles à leur adoption par le grand public.
Ils ont procédé, entre août 2023 et mars 2024, à une revue de 91 articles scientifiques, de rapports d’industrie, ainsi que des données d’investissement, à travers des bases de données comme Google Scholar, Scopus, OpenAlex et ScienceDirect, avec des mots-clés tels que « insect farming », « consumer acceptance », « mealworm » ou « cricket ».
L’étude révèle que si l’on ne change rien à nos habitudes alimentaires, la consommation de viande à elle seule pourrait représenter près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre autorisées d’ici à 2030.
Les chercheurs recommandent la modification des régimes alimentaires en favorisant les produits à base d’insectes plutôt que d’animaux.

Le professeur Christophe Bring, directeur de la gestion et de la conservation des ressources au ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et du Développement durable (MINEPDED) du Cameroun, pense qu’il est pertinent de considérer la consommation d’insectes comme une alternative à la viande dans une optique environnementale, notamment pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Toutefois, cette approche, selon lui, doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur la durabilité des systèmes alimentaires. « Toute solution alimentaire doit rechercher un équilibre entre les bénéfices économiques, la satisfaction nutritionnelle et la préservation de l’environnement », a dit Bring à Mongabay. « Au plan nutritionnel, les insectes ne peuvent être considérés comme des substituts pertinents que s’ils permettent de répondre aux besoins alimentaires de manière équivalente à la viande. Si les insectes apportent les éléments nutritifs que l’on trouve dans la viande, on peut considérer que c’est une alternative », a-t-il précisé.
L’étude indique que le changement de comportement à grande échelle pour consommer plus d’insectes et moins de viande reste difficile. Elle identifie plusieurs freins à cette acceptabilité, notamment le fait que la viande soit perçue comme savoureuse, nourrissante et accessible, ce qui n’est pas le cas des insectes. Même transformée en poudre ou en barres, l’acceptation des insectes reste très faible, souvent inférieure à 30 %.
De plus, contrairement au sushi, un plat traditionnel japonais dans lequel on retrouve du poisson cru, les insectes ne s’intègrent pas facilement à une tradition culinaire locale ou valorisée, et leur production reste marginale, coûteuse et peu soutenue par les investissements.
L’étude indique qu’« en 2022, 95 % des financements de l’industrie des insectes en Occident étaient destinés à l’alimentation animale », tandis que « seulement 5 % étaient destinés à l’alimentation humaine ».
L’étude parle également des raisons institutionnelles qui favorisent la consommation de viande. « Les industries de la viande disposent d’un pouvoir économique et politique considérable, influençant les politiques publiques et les perceptions sociales », indique-t-elle. Par exemple, « les lobbies de la viande ont dépensé 190 fois plus que ceux des viandes alternatives aux États-Unis, et les éleveurs ont reçu 1200 fois plus d’aides publiques dans l’Union européenne ».

Un potentiel stratégique pour l’Afrique
Tout au long de l’étude, les chercheurs démontrent que les aliments à base d’insectes ne sont pas susceptibles de réduire de manière significative la consommation de viande, parce que la population occidentale n’accepte pas cette alternative.
Cependant, Mongabay constate que la consommation d’insectes est intégrée à de nombreuses cultures africaines et asiatiques depuis des siècles.
Une étude, publiée en 2020, dans la revue Nutrients, indique, par exemple, que « les insectes comestibles jouent, non seulement un rôle important dans les régimes alimentaires, mais ils constituent également une excellente source de protéines dans les plats traditionnels en Afrique ».
L’étude recense 212 insectes consommés en Afrique, parmi lesquels les Lepidoptera (famille de papillons), les Orthoptera (famille de criquets), les Coleoptera (famille de scarabées et de charançons) ou encore les Blattodea (famille de termites).
En République démocratique du Congo, les chenilles sont largement consommées et sont offertes comme cadeau symbolique en signe de bienvenue à des étrangers. À Madagascar, certains insectes sont tellement prisés que les communautés les élèvent, pour augmenter leur disponibilité.
Déjà, en 2013, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), indiquait que la consommation des insectes est une pratique courante dans de nombreuses cultures d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, où les insectes sont consommés depuis des siècles. De plus, ils complètent le régime alimentaire de quelque 2 milliards de personnes, soit presque un tiers de la population mondiale, à l’époque.
Mongabay a demandé aux auteurs de l’étude les raisons pour lesquelles ils n’ont pas inclus cette population consommant déjà naturellement les insectes. « Cette étude se concentre principalement sur les problèmes d’acceptation par les consommateurs en Occident, où la consommation de viande est la plus élevée et où le remplacement de la viande est donc le plus urgent », explique Dustin Crummett, coauteur et directeur exécutif de The Insect Institute, une organisation non gouvernementale américaine, qui fournit des recommandations concernant l’élevage d’insectes destinés à l’alimentation humaine et animale. « Mais nous avons brièvement mentionné le problème de l’adéquation culturelle dans l’article, lorsque nous avons déclaré que les espèces d’insectes produites par les fermes industrialisées occidentales sont rarement les mêmes que celles consommées par les populations pratiquant l’entomophagie, et ne s’appuient pas sur les pratiques des cultures et de la cuisine établies. Par exemple, les vers de farine, l’une des espèces les plus couramment élevées en Europe, sont perçus comme répugnants par certains pratiquants thaïlandais de l’entomophagie, car ils sont souvent associés à des matières en décomposition », ajoute-t-il.
L’autre raison évoquée par Crummett est que l’article se concentre spécifiquement sur les insectes d’élevage. Si certaines cultures ont pour tradition de consommer des insectes, ceux-ci sont généralement capturés dans la nature.
En revanche, dit-il, la dernière décennie a vu l’essor de grandes exploitations industrielles qui élèvent collectivement des milliards d’insectes par an. Les insectes produits par ces entreprises ont tendance à être beaucoup plus chers et ne s’inscrivent généralement pas dans les traditions culturelles et culinaires existantes.
Il donne l’exemple des mouches soldats noires qui, selon lui, ne sont consommées nulle part. « Par conséquent, les insectes élevés industriellement ne sont pas utilisés dans une large mesure, comme alimentation humaine, même dans les cultures, où la consommation d’insectes est traditionnelle. Ils sont plutôt utilisés comme aliments haut de gamme pour animaux de compagnie ou comme aliments pour animaux d’élevage. Nos recherches montrent que ces utilisations ne sont généralement ni durables, ni compétitives sur le plan économique, ce qui remet en question l’avenir de l’élevage d’insectes », ajoute Crummett.
« La majeure partie des financements destinés au secteur de l’élevage d’insectes a été allouée aux pays occidentaux. Sur les deux milliards d’euros [environ 2,34 milliards USD] investis dans cette industrie, environ la moitié a été consacrée à la France seule. Parmi les 20 premières entreprises en termes de financement, seules deux sont basées en Asie, hors Israël. Une seule entreprise africaine figurait dans ce classement, mais elle a fait faillite en 2021 », complète Corentin Biteau, coauteur de l’étude.
Mongabay a effectué des recherches et trouvé que la plupart des élevages documentés en Afrique sont de petite taille, généralement des serres, des structures domestiques ou de petits abris. Elles servent pour la plupart à l’alimentation animale, comme l’a dit Biteau.

Une étude de 2023, publiée par des chercheurs de l’International Centre of Insect Physiology and Ecology (Icipe) au Kenya, dresse un état des lieux de l’industrie émergente de l’élevage d’insectes comestibles en Afrique.
Les résultats de cette étude basée sur une revue systématique de 41 articles scientifiques, ainsi que des enquêtes et entretiens auprès d’acteurs de la filière, pour cartographier les fermes, montrent l’existence d’environ 2 300 fermes, majoritairement de petite taille, élevant une quinzaine d’espèces, dont la mouche soldat noire, le charançon du palmier africain (African palm weevil larvae) ou encore le ver à soie domestique (Bombyx mori). Plus de 80 % de la production est destinée à l’alimentation animale, 15 % à l’alimentation humaine et 5 % à un double usage. La production annuelle est estimée à près de 20 000 tonnes de larves séchées avec un potentiel de plusieurs millions de tonnes. Les principaux pays identifiés sont le Kenya et l’Ouganda, suivis de l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie et Madagascar. D’autres pays comme le Nigeria, le Togo, la République démocratique du Congo, l’Angola, le Bénin et le Burkina Faso sont aussi concernés.
« L’élevage d’insectes comestibles offre un potentiel stratégique majeur pour les pays africains, où leur consommation est déjà culturellement acceptée. Contrairement à l’Occident, l’obstacle de l’acceptabilité sociale est ici franchi, ce qui facilite leur intégration dans les systèmes alimentaires. Les insectes ne remplaceront pas la viande conventionnelle, mais ils peuvent en réduire notre dépendance et contribuer à limiter les impacts environnementaux de l’élevage traditionnel », dit Bring.
Il ajoute : « Pour que ce potentiel soit exploité durablement, il faut surmonter plusieurs défis, notamment mettre en place des cadres réglementaires clairs, pour encadrer la production et garantir la sécurité sanitaire, développer des normes de qualité pour faciliter l’intégration sur les marchés locaux et internationaux ». « Il faut aussi investir dans la recherche appliquée pour améliorer les rendements, la biosécurité et la durabilité des substrats d’élevage, c’est-à-dire trouver et maintenir des sources écologiques, économiques et sûres pour nourrir les insectes, afin que l’élevage puisse se développer à grande échelle sans générer de nouveaux problèmes environnementaux ou alimentaires », précise-t-il.

Pas d’alternative sans évaluation complète
L’étude révèle aussi que les substituts de viande à base de plantes sont déjà mieux acceptés dans les sociétés occidentales que les produits à base d’insectes. Ils sont aussi plus disponibles dans les supermarchés et chaînes de restauration, moins chers et perçus comme plus durables, car les végétaux ont une « empreinte carbone généralement inférieure à celle des insectes ».
« Les protéines végétales ne nécessitent pas de transformation animale, ce qui évite les pertes énergétiques liées à la conversion alimentaire », indique l’étude. Elle suggère que cette alternative est plus prometteuse que les insectes pour réduire la consommation de viande en Occident, en raison de sa meilleure acceptabilité, de son accessibilité, ainsi que de l’impact environnemental plus faible. Elle dit que les investissements devraient plutôt se concentrer sur les protéines végétales, car elles présentent plus d’avantages pour les consommateurs et pour l’environnement.
Bring pense qu’il est essentiel de ne pas idéaliser les alternatives végétales sans tenir compte de leur impact global. « Il faut prendre en compte plusieurs paramètres, dont le plus important est l’empreinte carbone. Les exigences de production des alternatifs végétaux peuvent nécessiter plus d’espace pour produire à grande échelle. Or, les terres les plus importantes sont généralement des terres forestières, c’est-à-dire qui portent des arbres. Il faudra certainement défricher. En défrichant, on libère le carbone et ce sont des émissions », dit-il.
Il ajoute : « Il faut déterminer quelle quantité d’espace est nécessaire pour la production végétale, afin de comparer son impact environnemental avec celui de la production de viande et d’évaluer l’approche la plus avantageuse. Il faut se rassurer qu’on ne soit pas en train de nous orienter vers les mêmes résultats qu’avec la production de viande ».
Les auteurs de l’étude concluent que « les aliments à base d’insectes ne remplaceront probablement pas la viande de manière significative ». À l’inverse, les substituts végétaux apparaissent comme des alternatives plus viables, car mieux acceptés, plus disponibles et écologiquement plus performants.
Bring rappelle que la production végétale, notamment dans le cas des cultures intensives, peut nécessiter des intrants agricoles tels que les engrais, qui alourdissent l’empreinte carbone du système. Il souligne également que l’utilisation potentielle d’organismes génétiquement modifiés, pour augmenter les rendements, pose des questions de biosécurité et de bioéthique, qui doivent être intégrées dans l’évaluation de ces alternatives. Il plaide pour le développement d’études comparatives rigoureuses entre différentes alternatives alimentaires.
Bring propose, par exemple, de comparer l’empreinte carbone d’un kilogramme de viande, d’un kilogramme d’insectes et d’un équivalent végétal. « Ces analyses pourraient être complétées par des évaluations médicales et éthiques, pour vérifier si ces options permettent réellement de nourrir les populations, tout en limitant les risques sanitaires et les émissions de gaz à effet de serre. Seule, une approche systémique et multidimensionnelle, intégrant nutrition, environnement, santé publique et éthique, permettra d’évaluer la viabilité de ces alternatives à la viande », conclut Bring.
Image de bannière : Préparer un sandwich avec des chenilles de karité frites à la gare routière de Boromo au Burkina Faso. Image de Rik Schuiling / TropCrop-TCS via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
Citations :
Biteau, C., Bry-Chevalier, T., Crummett, D., & al. (2025). Beyond the buzz: Insect-based foods are unlikely to significantly reduce meat consumption. npj Sustainable Agriculture, 3, Article 35. https://doi.org/10.1038/s44264-025-00075-z
Hlongwane, Z. T., Slotow, R., & Munyai, T. C. (2020). Nutritional Composition of Edible Insects Consumed in Africa: A Systematic Review. Nutrients, 12(9), 2786. https://doi.org/10.3390/nu12092786
Hlongwane, Z. T., Slotow, R., & Munyai, T. C. (2020). Nutritional Composition of Edible Insects Consumed in Africa: A Systematic Review. Nutrients, 12(9), 2786. https://www.mdpi.com/2072-6643/12/9/2786
La souveraineté alimentaire en Afrique passe par la conjugaison des modèles agricoles
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