- Le Couloir Vert Kivu-Kinshasa (CVKK), lancé en janvier 2025, prévoit la création d’une aire protégée communautaire de 544 270 km² reliant le Nord-Kivu à Kinshasa. La gestion a été confiée à la Fondation Virunga, dans le cadre d’un partenariat public-privé, dont les détails demeurent inaccessibles au public.
- Des organisations congolaises, comme La Lucha, dénoncent un manque d’impacts concrets des projets de la Fondation Virunga sur les communautés locales, malgré d’importants financements. Elles pointent du doigt une gestion jugée opaque et peu participative.
- La Fondation met en avant pour le CVKK la création d’emplois et le développement d’infrastructures électriques, grâce à des barrages hydroélectriques et à la vente de crédits carbone. Mais lors de la gestion du Parc national des Virunga, peu d’habitants semblent avoir bénéficié de l’électricité générée par le parc, parfois utilisée pour le minage de crypto-monnaies.
- Pour Rainforest Foundation UK, la dépendance aux marchés du carbone pose problème dans un pays, où les chevauchements de projets REDD+ et les défaillances de gouvernance, fragilisent la conservation. Elles prônent des alternatives considérées durables, comme les forêts communautaires productrices de cacao.
« Non-violence, réduction de la pauvreté et non destruction des écosystèmes naturels ». Ce sont les trois objectifs affichés du Couloir Vert Kivu-Kinshasa (CVKK), selon Emmanuel de Mérode, prince belge et directeur du parc national des Virunga.
En mai 2025, dans le cadre d’un partenariat public/privé, dont les contours ne sont pas accessibles au grand public, l’Institut congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN), a confié la gestion du Couloir vert à la Fondation Virunga, qu’il dirige.
« La Fondation Virunga a été sollicitée par le gouvernement de la RDC (République démocratique du Congo, ancienne colonie belge, Ndlr) pour faciliter le développement d’un corridor vert entre Virunga et Kinshasa, dans le but de créer des emplois à grande échelle tout en protégeant les ressources environnementales. Cela vise à s’appuyer sur le modèle et le succès de l’Alliance Virunga, qui est un programme à grande échelle dans l’Est du Congo, pour exploiter de manière durable et efficace l’énorme potentiel de développement économique du Parc national des Virunga, en étroite collaboration avec la société civile, le secteur privé et d’autres agences publiques », décrit, dans un communiqué envoyé à Mongabay, le chargé de communication de la Fondation.
Lancé en janvier 2025, le Couloir Vert Kivu-Kinshasa prévoit d’être une aire protégée communautaire de 544 270 km² en République démocratique du Congo, soit ¼ de la superficie du pays, partant de la province du Nord-Kivu en proie à des conflits, jusqu’à la capitale congolaise, le tout, suivant le tracé du fleuve Congo. D’après son décret de lancement, il vise à protéger plus de 100 000 km2 de forêts primaires, mais aussi de créer un corridor socio-économique, afin de créer des emplois et développer l’agriculture.
Du côté d’une partie de la société civile, c’est l’étonnement. « Alliance Virunga est fondée sur des ambitions tout à fait bonnes mais sur le terrain, leurs projets ne semblent ne pas avoir un impact significatif sur les communautés locales », dit François Kamate, membre de La Lucha (lutte pour le changement), un collectif de défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement qui a vu le jour à Goma, non loin du Parc national des Virunga. « Ils reçoivent énormément de financements, mais quand vous interrogez les communautés locales, elles n’ont pas d’exemples concrets de ce que fait l’Alliance Virunga. Où va l’argent ? Le nombre d’emplois créés est dérisoire, les travailleurs sont des journaliers précaires et les communautés sont très peu impliquées dans la conservation. Donner un projet comme le couloir vert à la Fondation Virunga, pour moi, c’est un peu injuste, parce que Virunga n’a pas fait preuve de bonne gestion ».

Un projet colossal aux contours flous
Début octobre, la prise en charge de ce projet par la Fondation a été officialisée par la ministre de l’Environnement, à l’occasion d’un atelier de trois jours ayant réuni autorités publiques, société civile, représentants des peuples autochtones et partenaires internationaux. L’ONG britannique Rainforest Foundation UK (RFUK) y a participé. « C’était un premier pas, mais un bon premier pas. Je pense que c’était nécessaire de se réunir pour que tout le monde puisse vraiment comprendre de quoi il s’agit, puisse trouver des réponses à leurs questions », dit son directeur exécutif, Joe Eisen.
Une déclaration finale a été adoptée à la fin de ces trois jours visant à jeter les bases d’une gouvernance du corridor, en veillant à ce que les communautés locales et les populations autochtones soient impliquées dans les décisions. « De notre point de vue, nous aimerions voir des mesures concrètes prises pour en faire une véritable réserve communautaire, ce qui signifie soutenir des initiatives telles que les forêts communautaires. Cela signifie également restreindre certaines industries extractives, comme le pétrole. Et tout cela doit s’inscrire dans un système d’aménagement du territoire qui respecte les droits fonciers coutumiers et les droits des peuples autochtones », explique Eisen.
Pour le moment, aucun programme officiel de fonctionnement et de gestion du CVKK n’est disponible, mais sur le site internet de François-Xavier de Donnea, membre du conseil d’administration de la Fondation Virunga et ancien ministre belge de la Défense, une ébauche de feuille de route est disponible.
Parmi les mesures concrètes, il y a le développement de la finance carbone à travers la vente de crédits carbone, la mise en place d’une électricité renouvelable, à travers l’énergie solaire, mais aussi la construction de plusieurs barrages hydroélectriques le long du fleuve Congo, le développement de voies de transports et de l’agriculture. A première vue, aucun lien avec la création d’emploi, mais plutôt des objectifs de développement général du pays.
D’après l’Autorité de régulation de l’électricité (ARE) en RDC, moins de 10 % de la population congolaise dispose d’un accès à l’électricité, 35 % dans les zones urbaines (50 % à Kinshasa), et moins de 1 % dans les zones rurales. Pourtant, le pays a un potentiel hydroélectrique de 100 000 MW et entre 3500 et 6750 Wh/m² d’énergie solaire. D’après l’ARE, le potentiel hydroélectrique du pays constituerait 13 % du potentiel mondial et suffirait à électrifier l’Afrique entière.

Électricité, entre promesses de développement et réalités locales
L’électricité est un des chevaux de batailles de la Fondation Virunga, comme le rappelle son chargé de communication : « La Fondation Virunga a supervisé le développement du vaste réseau hydroélectrique du Parc national des Virunga, qui a vu un investissement de 200 millions USD, au cours des dix dernières années, avec une capacité de 40 MW désormais en ligne et 14 MW supplémentaires en construction – exploitant de manière durable les ressources naturelles du parc pour fournir de l’électricité aux entreprises et aux consommateurs locaux, y compris à la ville voisine de Goma, ainsi qu’un éclairage public gratuit aux écoles, aux hôpitaux et autres entités sociales ».
Le réseau hydroélectrique a été mis en place par Virunga énergies, une filiale de la Fondation Virunga et a bénéficié de fonds de l’Union européenne, de la Schmidt Family Foundation, du bureau de consultance britannique « The World We Want » (le monde que nous voulons, Ndlr) et de l’institution de financement du développement du gouvernement britannique, British International Investment. Pourtant sur le terrain, certains acteurs peinent à voir les résultats. « Avant que ce projet ne soit mis en œuvre, les responsables passaient dans les villages et disaient que l’électricité allait permettre aux habitants de ne plus envahir le Parc national de Virunga à la recherche du bois de chauffage, mais aujourd’hui, on constate que ces populations n’ont pas d’énergie. Ils vivent dans le noir. Les gens qui sont dans les villages vivent dans une pauvreté extrême ; du coup, ils n’ont pas les moyens de payer leur abonnement, donc rien ne les empêche d’envahir le Parc national de Virunga », souligne François Kamate.
Cette électricité, originellement prévue pour la population a finalement été utilisée pour le minage de bitcoin, comme le révèle l’investigation du média néerlandais, Follow the money. Une utilisation que la Fondation justifie auprès de Mongabay comme étant « un moyen d’utiliser l’excédent d’électricité propre généré par les centrales hydroélectriques du parc, comme une source de revenus supplémentaire pour le parc, suite à la fermeture des activités touristiques et à la perte substantielle de revenus qui en a résulté ». Mais peut-on parler d’excédent quand la population supposée bénéficier de l’électricité n’en bénéficie pas ?
Nous avons contacté l’ICCN pour en savoir plus, mais nous n’avons pas reçu de réponse.

Vente de crédits carbone
Un autre point semble poser question dans le programme. Celui du développement de la finance carbone. La RDC, avec ses 152 millions d’hectares, les plus vastes d’Afrique et ses tourbières, joue un rôle crucial dans l’équation climatique mondiale.
En effet, la déforestation contribue à près de 12 % des émissions annuelles de dioxyde de carbone, ce qui aggrave le changement climatique. Le monde a donc tout intérêt à ce que la RDC préserve ses forêts. Une action dont la Fondation Virunga espère tirer profits à travers la vente de crédits carbone, des paiements pour des projets de préservation de la forêt dans le Couloir Vert.
Ils précisent que l’argent généré pourra ensuite être « réinvesti dans le Couloir pour soutenir la mise en œuvre et les dépenses courantes de ces projets ou d’autres projets de conservation et de développement ». Une manière de s’auto-financer en somme.
D’ailleurs, le document de la Fondation Virunga met en exergue la province du Mai Ndombe pour la mise en place de projets REDD+. Il faut rappeler que la totalité de la province a fait l’objet d’un projet REDD+ en partenariat avec le Forest Carbon Partnership Facility de la Banque mondiale, qui n’a pas été renouvelé en 2023, et dont une partie est toujours exploitée par l’ONG Wildlife Works et fait l’objet de controverses.
Mais pour Eisen, la finance carbone en RDC ne constitue pas une solution viable. RFUK a récemment publié un rapport mettant en lumière des problèmes de gouvernance et d’aménagement de territoires, avec des projets qui se superposent les uns aux autres, ce qui les rendaient caduques. « Nous ne pensons pas que le financement carbone soit nécessairement le moyen le plus durable de financer la protection des forêts. Le corridor aura certainement besoin de financements et de soutien pour mettre en œuvre ses objectifs, mais nous mettons en garde contre une dépendance excessive aux marchés du carbone comme mécanisme de financement. Nous pensons qu’il existe des sources de financement beaucoup plus durables, telles que les forêts communautaires. Par exemple, en aidant à construire des chaînes de valeur du cacao dans les forêts communautaires, au bout d’un moment, les communautés finiront par devenir autonomes et n’auront plus besoin de financement extérieur. Nous espérons que cela permettra de créer des économies autonomes », dit-il.
Image de bannière : Un troupeau d’éléphants au Parc national de Virunga en RDC. Image de JUSCAR KARUBAMBA via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
RDC : Le marché carbone s’emballe, les projets couvrent deux tiers des forêts du pays
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.