- Ces deux dernières années, deux projets d’élevage d’insectes ont vu le jour à Madagascar comme source précieuse de protéines et pour réduire la pression sur les lémuriens et autres animaux sauvages chassés pour leur viande.
- Un programme qui fait sa promotion sur un jeu de cartes, encourage les habitants de la forêt dans le nord-est, à élever le sakondry, un insecte endémique au goût de bacon.
- Un autre programme dans la capitale Antananarivo se concentre sur la production de grillons.
- Les deux projets sont sur le point de s’étendre à d’autres régions du pays.
Il y a tout juste deux ans, les habitants du village d’Ambodifohara sur la péninsule de Masoala dans le nord-est de Madagascar ne savaient pas grand-chose du sakondry, un petit insecte sauteur, si ce n’est qu’il avait bon goût. Les locaux le ramassaient quand ils tombaient dessus, et c’était tout. Un goûter trouvé au hasard dans la forêt. Avance rapide dans le temps jusqu’à 2020 et l’insecte est aujourd’hui essentiel. «Nous mangeons le sakondry régulièrement, pratiquement tous les jours durant la haute saison», nous confie BeNoel Razafindrapaoly, un habitant.
Ce changement de statut est le résultat du programme Sakondry, que Cortni Borgerson, une anthropologue de la Montclair State University dans le New Jersey, a développé en collaboration avec l’initiative «Sauvons nos espèces» (Save Our Species) de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’idée était de tester l’élevage de l’insecte et l’augmentation de sa consommation pour freiner la perte de biodiversité et réduire la malnutrition.
«Quand vous demandez aux gens pourquoi ils chassent le lémurien, la première raison est: ‘c’est là et c’est facile à attraper’,» explique Borgerson. «Et si vous leur dites simplement de ne pas chasser, vous augmentez l’insécurité alimentaire».
Selon Borgerson, pour que les habitants arrêtent de chasser le lémurien, ils doivent trouver une alternative qui remplisse le même rôle culturel que cette viande. «C’est exactement ce que fait le sakondry. Le sakondry et le lémurien sont des aliments «naturels» sauvages, ils sont gras, propres, peu chers, disponibles pendant les saisons de faible sécurité alimentaire, et traditionnellement consommés, et liés à l’identité locale».
Borgerson rapporte que l’idée d’élever le sakondry (Zanna tenebrosa) est venue des habitants eux-mêmes. «Quand nous avons demandé quelles viandes étaient présentes dans les régimes alimentaires et ce qu’ils préféraient, l’une des réponses qui est revenue le plus régulièrement était le sakondry. Nous devions simplement trouver un moyen d’augmenter sa disponibilité», dit-elle.
Le programme a encouragé les habitants de six communautés à cultiver la plante hôte du sakondry, une plante de haricot endémique appelée tsidimi (Phaseolus lunatus), pour attirer l’insecte. Les habitants d’Ambodifohara cultivent maintenant le tsidimi sur environ 2 hectares de terre. Chaque communauté a réussi à élever plus de 90 000 sakondry cette année. Selon Borgerson, cela a ajouté environ 450 000 kilocalories et 35 000 grammes de protéines à leur régimes, suffisamment pour à la fois remplacer la viande et pour surpasser la valeur nutritionnelle apportée par les lémuriens chassés.
L’apprentissage pour le programme fut intense: le cycle de vie de l’insecte était peu connu, ce qui a conduit Borgerson et son équipe à d’abord apprendre à distinguer les males des femelles puis les adultes des jeunes, et à repérer les femelles pondeuses, tout cela étant essentiel à une exploitation durable. Faire pousser le tsidimi a aussi présenté des défis. «Au village, les poules mangent les plants de tsidimi. les enfants aussi jouent avec et les détruisent. Dans la forêt, les escargots mangent les jeunes plants», rapporte Razafindrapaoly, le directeur du projet Sakondry.
Ces contretemps mis de côté, la culture de la plante et l’élevage des insectes ont été simples, ce qui explique que pratiquement toutes les familles du village s’y soient mises. Mais le plus important selon Borgerson, c’est que les chasseurs les plus actifs ont baissé de moitié leur total annuel de chasse, sauvant ainsi entre 25 et 50 lémuriens par communauté chaque année. Ils sont aussi devenus les éleveurs de sakondry les plus motivés. «Avec le sakondry, nous avons donné aux gens une activité plus aisée que l’activité originale», confie Borgerson en référence à la chasse.
Jeanne Mathilde Randriamanetsy, une autre habitante du village, nous dit que «les gens ne sont plus enclins à chasser les animaux sauvages. Ils se sentent de plus en plus concernés par la protection de l’environnement». En tant que porte d’entrée pour le parc national du Masoala (Masoala National Park), Ambodifohara accueille quelque milliers de touristes chaque année, et ses résidents sont très conscients du potentiel économique de leurs forêts. Avant que la pandémie n’arrête le tourisme, les habitants avaient même commencé à vendre des kebabs au sakondry aux visiteurs. Ils explorent maintenant les opportunités de vente des insectes à Maroantsetra, la plus grande ville de la région, à quatre heures de distance en canoé à moteur.
Mais Borgerson prévient que «les choses ne sont pas aussi simples que de dire «mangez des insectes et arrêtez de manger des lémuriens», parce que les systèmes d’alimentation solides dépendent aussi de la diversité. Le sakondry n’est qu’une seule partie de la création d’un système d’alimentation durable et nécessaire pour mettre fin la chasse au lémurien».
Malgré son délicieux goût de bacon quand il est frit, le sakondry n’est pas considéré comme un substitut direct de la viande. «Nous le mangeons comme un en-cas, nous ne le mangeons pas avec du riz», reconnait Razafindrapaoly en référence au grain essentiel et omniprésent à Madagascar. Randriamanetsy acquiesce. «Le sakondry ne remplace pas vraiment la viande. Celle-ci a meilleur goût».
Mais la popularité de l’insecte comme aliment est indéniable et trois autres communautés voisines ont déjà commencé à planter leurs tsidimis. Grâce au modèle d’élevage piloté par le programme Sakondry, Borgerson estime que les communautés éloignées pourraient désormais avoir une population établie d’insectes d’ici à trois mois; une aubaine en tout temps, mais surtout au moment où les chaines d’approvisionnement alimentaire sont perturbées par la pandémie de COVID-19.
Borgerson prévoit maintenant de déployer le programme Sakondry dans tous les lieux adéquats à travers Madagascar. «Ce serait idéal pour les régions où se combineraient une biodiversité importante avec une faible sécurité alimentaire», a-t-elle déclaré. Borgerson effectue actuellement des recherches pour adapter ce qui fonctionne dans les forêts du nord-est au kaléidoscope des habitats de Madagascar. Il y a de nombreuses espèces de Zanna dans le pays, et l’anthropologue tente d’identifier les meilleures plantes hôtes et écosystèmes pour répliquer leur modèle d’exploitation. «Notre espoir est de parvenir à supprimer certaines barrières comme le manque de réserves de graines ou le manque de connaissances pour la production, pour que cela devienne une option viable».
Borgerson travaille à la mise en place de chaînes d’approvisionnement pour fournir le stock initial de graines de tsidimi aux nouvelles communautés. Pour répondre au déficit de connaissances, elle a conçu un manuel inhabituel: un jeu de cartes. Les malgaches aiment jouer aux cartes, et pour avoir passé la majeure partie de ces quinze dernières années à Madagascar, la chercheuse sait que tout autre support papier aurait fini par servir d’autres fins, tandis que les cartes elles, seront chéries et partagées. Les jeux, qui comprennent tout, depuis la façon de prendre soin des graines de tsidimi (carte n°9) jusqu’à la composition nutritionnelle du sakondry (carte n°4), en passant par les illustrations de la femelle (Queen), du mâle (King) et des oeufs (Ace), seront prêts en décembre de cette année.
À Madagascar, le programme Sakondry n’est pas l’unique initiative qui se penche sur le rôle des insectes dans la conservation. À Antananarivo, la capitale, la ferme Valala (Valala Farms) élève des grillons qui sont ensuite réduits en poudre pour servir de suppléments nutritionnels aux populations vulnérables. La ferme est sur le point de s’agrandir: elle vient d’inaugurer une nouvelle installation de 3000 mètres carrés, ce qui représente un agrandissement significatif par rapport à ses locaux actuels de 100 mètres carrés.
L’un des sous-produits les plus importants de l’élevage de grillons est son fumier; un engrais puissant. Bien que ce produit soit déjà disponible en Amérique du Nord comme engrais de jardin, il n’avait jamais été utilisé à Madagascar auparavant. La ferme Valala est en train de mener des essais pour tester son efficacité sur plusieurs types de cultures (légumes, arbres fruitiers, plantes de décoration, etc.), ainsi que pour le reboisement.
Madagascar a perdu jusqu’à 90% de sa couverture forestière d’origine, mais les tentatives de restauration de ses arbres endémiques n’ont pas donné de bons résultats. «Par rapport à l’Amérique du Sud, le reboisement n’a pas encore été démontré avec succès à l’échelle de Madagascar», déclare Chris Birkinshaw, chercheur au Missouri Botanical Garden (MBG) et superviseur des essais de reboisement sur quatre sites du pays. «Dans certains endroits, l’un des problèmes est la pauvre composition en nutriments des sols. Lorsque nous avons essayé de planter des espèces d’arbres endémiques, cela n’a pas bien réussi. Les engrais de grillons ne sont qu’une des expériences pour voir si cela peut donner mieux».
Les premiers résultats sont encourageants: six espèces d’arbres endémiques plantés sur des parcelles de terrain avec de l’engrais ont poussé entre deux et huit fois plus que les mêmes espèces sans engrais, et les résultats étaient encore meilleurs dans les parcelles avec moins d’engrais. «Ceci nous amène à nous demander jusqu’où est ce que nous pouvons réduire les quantités. L’engrais est un produit volumineux et c’est pourquoi nous sommes particulièrement intéressés par son utilisation en faibles concentrations», explique Birkinshaw. Mais les essais sont seulement en cours depuis six mois, et le chercheur estime que les résultats sur 12 mois donneront des réponses plus exhaustives.
Retour au département alimentaire où les insectes d’élevage pourraient aussi aider à résoudre le même problème de protéines que le sakondry semi-sauvage a aidé à résorber. Les insectes nécessitent proportionnellement moins de terre, moins d’eau et de nourriture que les autres viandes. Ils produisent aussi moins de gaz à effet de serre. Dans un pays où il y a pénurie de protéines, cela fait de l’élevage d’insectes une option attrayante et durable. Brian Fisher, entomologiste à l’Académie des sciences de Californie et l’un des fondateurs de la ferme Valala dit avoir été contacté par un certain nombre d’organisations de conservation de la nature à Madagascar, intéressées par l’établissement de fermes de grillons dans leurs zones d’opérations pour aider à freiner la consommation de viande d’animaux sauvages comme les lémuriens et les tortues, et à juguler la déforestation pour les terres agricoles.
Fisher, qui a travaillé avec Borgerson est enthousiaste mais dit vouloir faire les choses correctement. D’abord, des espèces d’insectes endémiques de chaque région doivent être trouvées pour garantir la durabilité de l’exploitation. Le grillon des régions montagneuses de la ferme Valala ne pourrait pas supporter les chaleurs intenses du sud sans air conditionné, ce qui rendrait le prix de l’élevage exorbitant. Ensuite, les grillons d’Antananarivo se nourrissent de maïs. Cela était nécessaire pour standardiser la production mais ce n’est pas durable. Selon Fisher, il faudrait une source d’alimentation pour les insectes qui soit gratuite et qui ne soit pas concurrente de l’alimentation humaine; c’est à dire des déchets très probablement agricoles.
«Nous devrions aborder les choses différemment», dit Fisher. «Nous devrions aller dans une zone, déterminer les déchets disponibles et choisir ensuite l’insecte qui pourra s’y développer. Parfois ce sera un scarabée, parfois une larve de mouche, parfois un grillon, et ensuite adapter la façon de l’utiliser : si c’est une larve de mouche, l’utiliser pour l’alimentation animale [poulets, porcs, aquaculture], si c’est un scarabée ou un grillon, l’utiliser pour l’alimentation humaine».
L’entomologiste reconnaît que cette approche prendra beaucoup plus de temps; il faudra peut-être deux ans pour trouver une solution adaptée à chaque région de Madagascar. Mais il est optimiste. «Il y a tellement de sources potentielles de déchets que nous savons que quelque chose va marcher».
Image de bannière : Jeune Sakondry sur une branche. Leur couche poussiéreuse est lavée avant cuisson. Photo de Brian Fisher.
Reportage complémentaire par Rivonala Razafison.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/11/bug-bites-edible-insect-production-ramps-up-quickly-in-madagascar/