- Dans le bassin agricole de Masereka, en territoire de Lubero, à l’Est de la RDC, les agricultrices ne se contentent plus de subir les caprices du changement climatique. Face aux perturbations des saisons, à l’appauvrissement des sols et aux récoltes incertaines, elles choisissent de résister et de s’adapter en appliquant des pratiques agroécologiques leur permettant de continuer à produire.
- Sans grandes machines ni équipement sophistiqué, elles pratiquent le compostage, le paillage, des haies vives, les courbes de niveau avec des ressources locales disponibles.
- Des pratiques artisanales simples, mais efficaces, qui permettent de nourrir des communautés, tout en respectant la terre.
La zone agricole de Masereka, incluant les vallées de Magherya, Luotu, Kitsuku et Lukanga, situé dans la partie nord du territoire de Lubero, en province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, a longtemps été reconnue pour sa fertilité, la hissant parmi les principaux centres agricoles de la province. On y cultive principalement la pomme de terre, le riz et le maïs, des cultures vivrières essentielles qui nourrissent les familles et soutiennent l’économie locale. D’autres produits agricoles comme le haricot, le blé, l’oignon et les choux y sont également cultivés.
Mais, pour Marguerite Katungu Kalwere, cultivatrice depuis plus de 25 ans, qui nous fait visiter son champ de pomme de terre, cette générosité du sol s’est déjà érodée. Sur le chemin, vêtue d’une blouse bleue par-dessus un pagne noué autour de la taille, un petit sachet en plastique en main, elle raconte qu’un jour, il y a quelques années, elle s’est lancée dans la culture de la pomme de terre avec 20 kilogrammes de semences qu’elle a plantés à la main dans un champ qu’elle connaissait depuis l’enfance. « J’avais l’habitude de semer entre 20 et 40 kg comme on n’avait pas un champ tellement grand… Mais on récolait même plus que le triple… », explique-t-elle.
Mais, cette fois, la récolte fut un choc : seulement 10 kg sont sortis de terre. Moins que ce qu’elle avait semé. « Je m’y attendais déjà, car les pluies étaient devenues rares et parfois mal reparties et le sol devenait rude… ». Le changement climatique s’est invité dans son champ et le sol est devenu pauvre.
Kalwere n’est pas un cas isolé dans cette zone agricole dont la principale main d’œuvre agricole est constituée par des femmes. Comme elle, de nombreuses autres femmes que nous avons rencontrées à Masereka ont vu leur récolte baissés, saison après saison, suite à la perturbation des saisons culturales, suivi de la dégradation du sol.

Dans un autre champ situé à Kitsuku, à quelques 5 kilomètres de Masereka, Jacqueline Kavira raconte avoir subi ces effets dans le champ de maïs qu’elle cultive depuis bientôt 9 ans. « Avant, avec un champ de 25 mètres sur 30, je récoltais au moins 180 kg de maïs. L’année passée, avec le même champ, je n’ai eu que 50 kg. Il avait plu au moment de la floraison, ce qui a fait tomber beaucoup d’épis avant qu’ils ne mûrissent complètement ».
Plus de terres, mais moins de récoltes
Le Bureau territorial du service de l’agriculture de Lubero confirme cette baisse de la production agricole dans cette zone. D’après l’agronome Cleophas Malikidogo, chef de la cellule agricole de Lubero, entre 2021 et 2023, la production du maïs a baissé d’environ 11 %.

D’après lui, on note la diminution de la productivité agricole malgré l’augmentation des surfaces cultivées. Ces rendements sont également très faibles même en comparaison avec la norme qui est de 1 à 3 tonnes par hectares.
Les données du service de l’agriculture de Lubero indiquent que d’autres cultures comme la pomme de terre, le haricot, le riz, ont connu la même situation dans ce territoire.
Toutefois, plutôt que de céder au découragement, beaucoup d’agricultrices ont choisi de s’adapter, d’apprendre et de transformer leurs pratiques agricoles pour redonner vie à leurs champs dans cette zone.
Grâce à leur association, dénommée « Wa Mama Tuendeleye », réunissant des productrices, elles ont créé un espace de solidarité et d’apprentissage. « Ensemble, nous partageons les expériences, nous discutons des réussites comme des échecs de nos cultures et faisons parfois appel à un agronome locale pour nous édifier sur diverses matières agricoles », explique Kavugho Kavendivwa, Présidente de cette association.
C’est dans ce cadre que beaucoup d’agricultrices, comme Katungu et Kavira ont découvert des méthodes simples, mais efficaces, pour fertiliser leurs champs, malgré un climat de plus en plus capricieux.

Des pratiques agricoles écologiques efficaces
Afin de mieux comprendre ce que font concrètement ces agricultrices pour protéger leurs champs et booster la production, malgré les caprices du climat, il faut visiter certains de leur champ se trouvant dans les vallées de Masereka, Magherya, Kitsuku, Luotu, qui témoignent d’une adaptation ingénieuse.
Pour renforcer la résilience de leurs champs face aux effets du changement climatique, elles adoptent de plus en plus des pratiques artisanales de conservation des sols simples, mais efficaces telles que le paillage, les cultures associées, l’usage de compost naturel, les haies vives pour lutter contre l’érosion, les courbes de niveau, etc…
L’une des techniques les plus répandues est « le compostage ». Longtemps perçu comme une méthode difficile, cette technique devient peu à peu une pratique courante, grâce à des formations locales initiées par des ONG rurales. D’après Kavendivwa, « cette technique consiste à transformer les déchets organiques tels que des restes de nourriture, le fumier, les déchets, la cendre, etc.), en engrais naturels appelés compost, qui permet de faire face à l’appauvrissement du sol », explique-t-elle.
L’ingénieur Dénise Saambili, agronome du Syndicat de défense des intérêts paysans (SYDIP), explique que cette technique a un triple avantage. Elle permet de lutter contre la pollution de l’atmosphère, favorise la protection de l’environnement et rend le sol fertile et résistant à la sècheresse. « Lorsque les déchets sont jetés à la poubelle ou brulés, ils produisent du méthane ou le dioxyde de carbone, qui sont des gaz nocifs très puissants. Le compostage permet de réduire l’émission de ces gaz. Ensuite, le compost enrichi naturellement le sol. Ce qui empêche le recours à des engrais chimiques ou à des nouvelles terres et prévenir ainsi la déforestation. En même temps, en rendant le sol fertile et résistant, il permet aux agriculteurs de s’adapter aux conditions climatiques comme la sécheresse ou même les pluies intenses… ».

Lors des périodes les plus sèches, Kahindo affirme qu’elle pratique « le paillage », qui consiste à recouvrir le sol de résidus de culture ou de feuilles mortes avant la semi, pour conserver l’humidité et enrichir la terre en matière organique. Des agronomes affirment que cette pratique favorise aussi la protection de l’environnement, en évitant les brûlis pour « nettoyer » un champ avant les semis.
Par ailleurs, dans les zones vallonnées et soumises à des pluies fortes et souvent imprévisibles, comme Masereka, l’érosion est une menace pour la fertilité des champs. Conscientes de ce danger, grâce aux formations qu’elles reçoivent des organisations rurales, des agricultrices adoptent plusieurs « pratiques antiérosives » pour prévenir et freiner cette perte de terre arable.
Dans ce sens, des pratiques, comme des haies vives suggèrent qu’il faut planter les arbres en lignes en travers de la pente pour retenir le sol. Ces méthodes sont visibles dans des champs de l’association précités.
D’autres agricultrices comme Kalwere utilisent aussi « les courbes de niveau », qui, d’après elle, est une technique consistant à labourer ou planter selon les lignes de niveau, permettent de ralentir l’eau, qui circule alors horizontalement plutôt que d’emporter les pentes. Cela évite la formation de rigoles érosives, affirme l’agronome Roger Mukosa.

Un levier pour les politiques climatiques
Ces méthodes, bien que manuelles et exigeantes en termes de main d’œuvre, témoignent d’une maîtrise paysanne du climat et traduisent aussi la volonté des femmes de sécuriser leurs moyens de subsistance, tout en préservant leur environnement.
Pour Lydie Kawalina, chercheuse spécialiste en genre et environnement au Laboratoire interdisciplinaire de développement en science sociale (LAIDES), un centre de recherche basé à Goma, ces pratiques développées à Masereka ne doivent pas être considérées comme des gestes isolés ou de simples tentatives de réponses à la crise climatique.
Mais elles représentent un levier stratégique pour l’intégration du genre dans les politiques climatiques et environnementales. « En tant qu’élément moteur dans la production agricole locale, les agricultrices doivent normalement être prise en compte dans l’élaboration des politiques d’adaptation climatique, environnementale et agricoles au niveau local. Je pense que c’est parmi les combats que les organisations féminines doivent mener pour la reconnaissance du rôle stratégique des femmes dans la sécurité alimentaire et l’adaptation climatique… ».
Elle ajoute qu’en choisissant des techniques agro-écologiques basées sur les savoirs locaux et les ressources disponibles, ces femmes montrent qu’elles sont capables de résilience, d’innovations et de transmission. Mais leur action reste limitée par un manque criard des services de l’État.

Par ailleurs, des organisations comme Ligue des organisations des femmes paysannes (LOFEPACO), la Coopérative d’épargne et de crédit agricole des femmes paysannes (CECAFEP) et le SYDIP s’activent de plus en plus pour apporter leur soutien sur divers plans.
D’après Berkia Kasereka Muhongya, l’un des agronomes au sein de la LOFEPACO, cette structure expérimente déjà certaines de ces pratiques agroécologiques sur des grandes surfaces, afin d’évaluer leur efficacité pour mieux appuyer les agricultrices. « Au cours de nos expérimentations à la Lofepaco, nous avons testé plusieurs pratiques dont l’utilisation du fumier de chèvre, nous avons constaté des rendements allant de 5 à 7 tonnes de maïs par hectare, alors qu’habituellement la production se limite à une tonne par hectare… ».
En outre, la Coopérative d’épargne et de crédit (CECAFEP), se positionne comme un acteur clé dans l’accompagnement des agricultrices en leur offrant un appui financier adapté pour leur permettre de faire face aux effets du changement climatique, indique Charles Mukulukulu, chargée des Opérations au sein de la CECAFEP.
Selon Kawalina, « tant que leurs actions ne sont pas appuyées de manière structurelle, leur potentiel restera sous-exploité, alors que l’on peut faire de leur expérience un pilier de l’adaptation climatique durable dans les territoires agricoles comme celui de Lubero ».
Elle appelle à renforcer les mécanismes institutionnels permettant à ces femmes de pleinement jouer leur rôle d’actrices du changement.
Image de bannière : À Masereka, une agricultrice traversant son champ de maïs sévèrement touché par la sécheresse. Les épis clairsemés témoignent d’une récolte compromise, conséquence directe du dérèglement climatique. Image de Jérémie Kyaswekera pour Mongabay.
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