- Au Cameroun, les peuples autochtones Baka sont progressivement intégrés dans la vie moderne.
- Ils ont été chassés de la forêt, vivent sur des terres qui ne leur sont pas légalement reconnues, et dépendent encore des chefferies non Baka.
- Mobilisés au sein de l’Association Sanguia Baka Buma’a Kpodé (ASBABUK), ils luttent depuis de nombreuses années, pour faire reconnaitre leurs droits, et être plus représentatifs dans les instances de décision.
Au Cameroun, les peuples autochtones Baka vivent dans des hameaux aménagés le long des routes enclavées, dans les régions du Sud et de l’Est du pays. Ils sont intrinsèquement liés à la forêt, d’où ils tirent l’essentiel des ressources pour leur bien-être.
S’ils étaient autrefois interdits d’accès dans des forêts classées par l’administration des forêts et de la faune, le narratif a évolué au fil du temps, au prix de négociations multiples grâce aux plaidoyers des organisations de la société civile.
Ces peuples forestiers ont désormais le droit d’accéder à la forêt, qu’ils considèrent comme leur patrimoine, au gré d’un mémorandum d’entente – signé en 2019 avec le gouvernement camerounais et renouvelé en 2023 – qui leur permet d’exercer la chasse aux moyens d’outils traditionnels dans les aires protégées, ou encore de collecter les Produits forestiers non ligneux (PFNL).
Les Baka sont désormais partie prenante dans l’élaboration des politiques de gestion des aires protégées, et aident considérablement le gouvernement à une meilleure protection de la biodiversité.
Le chemin vers cette collaboration n’a pas été facile pour les Baka, entre préjugés sur leur mode de vie, car longtemps incompris par les ethnies non Baka, et les violences subies de la part de l’administration des Forêts. Une nouvelle génération de Baka, plus proche de la modernité, mais jalouse de sa culture, émerge pour faire entendre la voix des Bantou dans les instances de prises de décisions.
Celle-ci est incarnée par Joseph Bibi, actuel président de l’association Sanguia Baka Buma’a Kpodé (ASBABUK), avec qui Mongabay Afrique s’est entretenu début juin 2025, dans son village Yenga-Tengué, l’une des localités situées aux confins du Parc national de la Lobéké, au Sud-est du Cameroun.
Il retrace ce chemin parsemé d’embuches et évoque les aspirations qu’il nourrit pour sa communauté, laquelle lutte sans relâche pour faire reconnaitre l’entière légalité de son existence auprès du gouvernement camerounais.

Mongabay : Comment décrivez-vous les peuples autochtones Baka du Cameroun ?
Joseph Bibi : Les Baka sont un peuple qui vivait dans la forêt. Dans les années 1950, ils ont quitté cette forêt pour s’installer en bordure de route. C’est un peuple qui vit essentiellement de la chasse et de la cueillette, et désormais de l’agriculture.
Mongabay : Les autres ethnies au Cameroun ont du mal à comprendre votre mode de vie. Pourquoi êtes-vous incompris, selon-vous ?
Joseph Bibi : Les gens comprennent mal les Baka à cause des historiens qui ont écrit leur histoire. Ils ne se sont pas rapprochés de nous pour vivre notre réalité. Ce sont les occidentaux qui ont écrit ces textes, sans se rapprocher des Baka pour mieux les comprendre, car pour mieux comprendre un peuple, il faut vivre avec lui pour voir la manière dont il se comporte. On disait avant que nous sommes des hommes de petite taille, mais aujourd’hui, on peut trouver des Baka avec une taille de 1m70 ou 1m75, alors que dans leurs livres, c’est écrit que nous sommes des hommes de petite taille. Pour comprendre un peuple, il faut mener des études profondes, afin de comprendre sa réalité.
Mongabay : Certains écrits, puisque vous en parlez, révèlent que les Baka ont quitté les forêts par contrainte, harcelés par les colons. Qu’en dites-vous ?
Joseph Bibi : Nos grands-parents vivaient dans la forêt. Il n’y avait pas une ville, encore moins une route qui conduisait à des villages. Ils arrivaient à un endroit dans la forêt, ils y passaient leur séjour, ils menaient leurs activités, et lorsqu’ils constataient que les ressources avaient diminué à cet endroit, ils se déportaient de cet endroit à un autre. Dans les années 1950 donc, il y avait déjà les routes qui passaient et on a estimé que ceux qui vivaient dans les forêts devaient venir vivre en bordure de route et créer leurs villages ou leurs communautés. Nous vivons aujourd’hui dans les communautés. On n’a pas de villages, parce que nous les Baka, n’avons pas encore de chefferies traditionnelles reconnues. C’est pour ça qu’on parle encore de communauté. Nous vivons encore sous la tutelle des chefferies bantoues.
Mongabay : Comment se passe la cohabitation entre les peuples autochtones Baka et les communautés locales Bantou ?
Joseph Bibi : Du temps où nos grands-parents vivaient en forêt, ce sont les Bantou qui faisaient la découverte des Baka en forêt, et les incitaient à venir vivre en communauté en bordure de route. Dans certaines communautés Baka, on entend certains Bantou dire : voici mes Baka ! Ils le disent parce que ce sont eux qui ont permis que les Baka partent de la forêt pour vivre en bordure de route.
Mongabay : Une sorte de relation contremaitre et esclave, c’est bien cela ? Est-ce que les Bantou considèrent les Baka comme leurs administrés ?
Joseph Bibi : (Rires). Ils nous considèrent comme des frères, puisque nous sommes tous des humains. On ne peut pas dire que nous sommes des esclaves ou des administrés des Bantou.
Mongabay : Quid de la problématique des chefferies Baka que vous revendiquez ? Qui dit chefferie, dit territoire, et il est évident que vous ne disposez pas de territoire au sens légal du terme, non ?
Joseph Bibi : La question des chefferies est plutôt adressée au gouvernement et non aux Bantou. Si nous décidons de désigner un chef Baka, le gouvernement ne va pas prendre cette décision en compte. Il y a des étapes pour faire reconnaitre une chefferie par le gouvernement camerounais.
Mongabay : Et la question d’accès à la terre qui reste un problème majeur pour les Baka ?
Joseph Bibi : Dans les villages qui ne sont pas encore assez développés, on a accès à la terre. Mais le problème se pose pour les communautés Baka qui vivent dans des villages qui sont déjà un peu plus développés. Dans l’ensemble, on n’a pas trop de problèmes de terres.
Mongabay : Est-ce que vous avez accès aux services sociaux de base tels que les écoles et les hôpitaux ?
Joseph Bibi : Ce n’est pas le gouvernement qui doit éduquer les enfants à notre place. Nous devons faire les efforts pour éduquer nos enfants. Le gouvernement a déjà construit les écoles, et maintenant, nous parents, devons faire des efforts pour envoyer nos enfants à l’école. Nous avons aussi accès à la santé.
Mongabay : Est-ce que vous voulez dire que les parents refusent d’envoyer les enfants à l’école ?
Joseph Bibi : Les parents s’intéressent à l’école. Nous ne pouvons plus vivre seulement dans la forêt. Nous sommes déjà en bordure de route. Notre ambition, est d’être représenté dans les grandes instances de prises de décisions. Et pour cela, il faut savoir lire et écrire. Il ne suffit pas juste d’être Baka pour prétendre qu’on doit être là-bas.
Mongabay : Le quotidien des Baka est toujours décrit sous le prisme de la pauvreté, de la misère. Mais, pour vous, c’est quoi la définition du bien-être ?
Joseph Bibi : La pauvreté dépend de comment chacun la perçoit. Nous ne sommes pas nés pauvres. Chacun sait comment s’orienter pour sortir de la pauvreté. Nous ne sommes pas pauvres, puisque dans notre forêt, on a plein de richesses. On a des Produits forestiers non-ligneux (PFNL), et le terme « pauvreté » ne doit pas être utilisé pour nous qualifier. Il est vrai que certains Baka ont encore la mentalité d’avant, c’est-à-dire de vivre au jour le jour sans penser à demain. C’est à ce niveau qu’on doit voir comment amener ces Baka à quitter leur pauvreté plutôt mentale.
Mongabay : Quel est lien qui existe entre les Baka et la nature ?
Joseph Bibi : Je dois d’abord préciser que je ne suis pas né dans la forêt. Nous sommes de la jeune génération. Quand nous étions plus jeunes, nous accompagnions nos parents en forêt pendant la période d’abondance de la mangue sauvage. On y passait un à deux mois en forêt. Ils nous apprenaient la vie en forêt, à cueillir le miel, ramasser les chenilles, aider les mamans à faire la pêche, etc.
Mongabay : D’aucuns pensent que vous voulez quitter les zones forestières pour vous moderniser dans les grandes villes. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Joseph Bibi : C’est bien de se moderniser. Mais il faut qu’on garde vraiment notre culture. Pour nous qui sommes en bordure de route, nous devons faire deux écoles à la fois : l’école moderne et l’école traditionnelle. Quand tu vas à l’école moderne, pendant les vacances, il faut aussi faire l’école traditionnelle au village.
Mongabay : Est-ce que vous avez le sentiment que les autres ethnies comprennent et respectent la culture Baka ?
Joseph Bibi : Il y en a qui résident dans la partie Sud-est du Cameroun, qui essayent de respecter notre culture. Mais ceux qui vivent dans les grandes villes se focalisent essentiellement sur l’histoire écrite par les Occidentaux. Mais, dans l’ensemble, il y a une évolution, la signature du Mémorandum d’entente avec le ministère des Forêts et de la faune est déjà un pas.
Mongabay : Avez-vous l’impression que les voix des Baka sont entendues dans les grands débats liés à la gestion des forêts au niveau national et international ?
Joseph Bibi : Pour le moment, je dirais non ! En effet, nous n’avons pas encore de représentants au niveau national ou sous-régional. Ici au Cameroun, on a tout de même des représentants de notre association ASBABUK, qui sont pris en compte dans la gestion des parcs et des zones périphériques. Mais nous ne sommes pas impliqués dans les grandes instances.

Mongabay : Vous avez signé un accord avec le gouvernement du Cameroun en 2019, qui a été renouvelé en 2023. Quel est le niveau de mise en œuvre de cet accord ?
Joseph Bibi : Les choses avancent en termes d’engagements pour les deux parties. Tout ou presque tout est respecté. Il reste tout de même un petit problème à notre niveau. C’est notre rite qu’on appelle l’« Ejengui » (rite d’initiation des jeunes Baka à la maitrise de l’esprit de la forêt). Avant que l’Ejengui ne sorte pour initier les enfants, il faut abattre un éléphant. Mais on n’indexe pas le ministère. La faute, c’est à nous, parce qu’on n’a pas encore décidé de la tenue de ce rite. C’est la seule chose qui nous reste à mettre en œuvre dans l’accord. Nous n’avons pas de problèmes pour entrer dans les parcs et les safaris pour mener nos activités traditionnelles (pêche, cueillette, le ramassage des chenilles, etc.).
Mongabay : Avant la signature de l’accord, comment se passait la collaboration avec l’administration des forêts et de la faune ?
Joseph Bibi : Avant, il y avait les écogardes qui faisaient les patrouilles et débarquaient dans les communautés pour menacer. On s’est dit que la forêt, c’est là où on vivait, mais le gouvernement a décidé de les transformer en aires protégées. La forêt, c’est notre milieu de vie. Alors, l’ASBABUK a décidé, avec les organisations de la société civile, que, pour mettre fin à cette situation, il fallait faire pression sur le gouvernement pour signer un document, qui va nous permettre de circuler dans la forêt, pour mener aisément nos activités. Nous avons donc accès aux parcs, aux Unités forestières d’aménagement (UFA), aux Zones d’intérêt cynégétique (ZIC), etc.
Mongabay : L’accord a donc contribué à baisser les tensions entre les Baka et les autorités chargées de la gestion des parcs ?
Joseph Bibi : Tout à fait ! Nous sommes déjà impliqués dans la gestion des parcs. Avant d’élaborer un Plan de travail annuel, le parc nous invite aux réflexions, et, séance tenante, si nos communautés, ont des besoins à faire figurer dans ce plan, on en discute.
Mongabay : Est-ce que vous pensez que l’accord entre les Baka et le gouvernement camerounais peut servir de modèle, pour d’autres communautés autochtones dans le bassin du Congo ?
Joseph Bibi : Évidemment, je pense que c’est un modèle qui peut être implémenté ailleurs. Quand vous arrivez autour des autres aires protégées, ici au Cameroun, la présence humaine est strictement interdite, or avec le partenariat, on peut désormais circuler et mener nos activités. Si on transpose ce modèle dans d’autres pays du bassin du Congo, je pense que ça va vraiment bénéficier à ces peuples, qui ont de la peine à mener leurs activités dans les aires protégées et à la périphérie.
Mongabay : Le renouvellement de l’accord est logiquement prévu l’année prochaine, en 2026. Quels sont les points à améliorer dans le contenu du nouveau document à renégocier avec le gouvernement camerounais ?
Joseph Bibi : Pour le moment, il est difficile de donner une réponse. Avant la révision, il y a une équipe qui va descendre sur le terrain pour la consultation et l’écoute des communautés. Ça sera une sorte d’évaluation de ce qui a marché, et de ce qui n’a pas marché. Et c’est en fonction de ça que sera renouvelé l’accord.
Image de bannière : Joseph Bibi, membre de la communauté autochtone Baka du Cameroun et Président de l’association Sanguia Baka Buma’a Kpodé (ASBABUK), en lutte depuis des années, pour faire reconnaître les droits des Baka. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.
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