- Le bois de la filière artisanale représente l’essentiel des productions de la République démocratique du Congo, jusqu’à 90 %.
- Ce chiffre est minimisé, selon les experts, puisque la situation se serait amplifiée, les industriels se cachant derrière les artisanaux.
- Les autorités nationales, à Kinshasa, essaient de mettre de l’ordre dans le secteur de l’artisanat que la loi a placé sous la compétence des provinces, dont l’administration s’avère lacunaire.
Une entreprise industrielle d’exploitation du bois déclare, auprès des autorités, une année de reconstitution des forêts. Pas d’exploitation, pas non plus de paiement de taxes durant cette période. En même temps, elle invite les exploitants artisanaux dans sa propre concession forestière, pour produire le bois, en définissant les « quotités » des artisanaux, qui l’aident à produire.
Voilà comment, en 2022, une exploitation industrielle a déjoué l’attention de l’Etat en recourant aux exploitants artisanaux dans le territoire de Beni, en RDC. C’est un officiel congolais qui rapporte ces faits dans l’anonymat complet.
Il n’y a donc pas de surprise qu’à 90 %, dans ce pays, le bois vienne de l’exploitation artisanale. Cela représente 3 à 4 millions de mètres cubes de bois. Les concessions industrielles, plus suivies par l’Etat, ne couvrent que 7,3 % des forêts du pays. C’est ce qu’indique une étude de 2015 de la Banque mondiale.
Cela explique en partie le fait qu’en matière de reforestation, les solutions tardent à émerger. Puisque ceux qui doivent s’y engager dans ce sens sont réputés être de « petits bucherons », d’après la définition de l’exploitation artisanale qu’en donne le pays, alors qu’en réalité, ils sont les plus grands, constate Jean-Claude Sefu, militant pour la protection de l’environnement basé à Kindu, capitale de la province du Maniema.
Témoin de l’exploitation du bois dans les massifs équatoriaux qui démarrent dans son Maniema natal, Sefu œuvre depuis plusieurs années au sein de la Société Civile environnementale et Agro Rurale du Congo (SOCEARUCO), une organisation de la société civile. « Les artisanaux n’ayant pas la capacité de couper de grandes étendues de forêts en un temps record, ils ne peuvent pas subir la rigueur du contrôle comme les industriels », note Sefu.
Dès lors, indique ce dernier, pour échapper aux contrôles et aux taxes, « beaucoup d’acteurs œuvrant dans ce sens se font passer pour des artisanaux, raison pour laquelle nous devons réfléchir sur la possibilité d’organiser les artisanaux pour qu’ils aient un contrôle qui se fasse dans ces activités, car ces derniers portent atteinte à l’intégrité des forêts », explique Sefu.

Des politiciens, des militaires et des étrangers parmi les « petits bucherons »
Les exploitants du bois obtiennent normalement les permis auprès des autorités, conformément au Code forestier. D’autres opèrent dans des concessions communautaires, en vertu des droits coutumiers, selon l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale (CAFI). D’autres encore, d’après cette même source, opèrent en toute illégalité.
Des industriels utilisent cependant les artisanaux comme couverture, souvent sous la couverture des ministres et députés, et même des militaires. C’est ce que démontre notamment le reportage du journaliste Alfred Ntumba du média Environews de Kinshasa, publié le 15 mai 2024 sur le média onusien Radio Okapi.
Contacté par Mongabay, le Conseiller au Collège Environnement de la présidence de la RDC, Jean Marie Nyolo Lonema, confirme ces pratiques. Il assure cependant que de l’ordre est en train d’être mis dans le secteur à partir de Kinshasa. L’exploitation artisanale du bois, explique-t-il en effet, relève de la compétence des provinces et l’exploitation industrielle du pouvoir central établi à Kinshasa. Or, la gouvernance du secteur artisanal forestier s’avère assez lacunaire, comme l’indique le rapport de la Banque mondiale.
Nyolo, nommé ministre provincial de l’Environnement dans l’Ituri en 2021, juste avant l’instauration de l’état d’urgence qui a donné plus de pouvoir aux militaires pour lutter contre les groupes armés dans 3 provinces de l’Est de la RDC, se souvient d’avoir trouvé plus de 1200 tronçonneuses, des machines pour couper le bois dans les forêts de l’Ituri. Elles appartenaient à quelques « 500 exploitants qui n’avaient aucun papier pour la plupart », explique l’ancien ministre provincial.
Seule une centaine disposait « de vieux papiers », c’est-à-dire, des autorisations qui n’étaient plus valides. « Ils avaient été recensés 3 ans, 5 ans plus tôt. Il n’y avait personne qui était reconnu par l’administration provinciale. J’ai donc arrêté cette activité et j’ai commencé le recensement. J’ai trouvé qu’on n’avait pas besoin de ce grand nombre et qu’il fallait qu’ils soient reconnus », explique encore Nyolo.

Brazzaville, Angola, Ouganda : les destinations du bois artisanal congolais
Ces faits, d’après le Guide pour l’exploitation forestière légale du bois d’œuvre en RDC, sont des infractions. Ils peuvent conduire au retrait de toute licence d’exploitation, aux amendes même à titre rétroactif, pour non-paiement des taxes par exemple, ou encore à des peines d’emprisonnement.
D’après ce document, le bois artisanal se limite au marché local. Il est censé alimenter les besoins et ne doit pas alimenter les marchés étrangers, unique domaine des exploitants industriels. Or, plusieurs rapports indiquent que le bois issu de l’exploitation artisanale est dûment exporté vers plusieurs destinations. D’après la Banque mondiale, Brazzaville à partir de Kinshasa, l’Angola à partir des régions du sud de la RDC, et l’Ouganda à partir notamment de l’Ituri, sont les principales destinations de ce bois.
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Les régions autour de grands centres urbains, d’après la même étude de la Banque mondiale, sont les plus concernées par l’exploitation dite artisanale du bois : Kinshasa, Kisangani, Mbandaka, Kananga, Lubumbashi. Les zones du centre et de l’ouest du pays, à savoir le Bas-Congo (Kongo-Central), Bandundu, l’Équateur, Tshuapa, le long du fleuve Congo, ainsi que les zones de l’Est, sont concernées.
Ces exportations accentuent en outre la pression sur les forêts locales et contribuent à « la dégradation diffuse et massive » des forêts, c’est-à-dire, plus sélective mais non planifiée, d’après le même rapport de la Banque mondiale. Bien plus, elle ne profite pas au trésor public, d’après Nyolo.
C’est pourtant une situation courante dans plusieurs provinces congolaises. Pour stopper les abus, Kinshasa a suspendu depuis 2017 l’exploitation artisanale du bois dans les provinces du Haut-Katanga, Haut-Lomamai, Lualaba et Tanganyika, indique le conseiller Nyolo.

Lors des États généraux des forêts tenus en 2024 à Kinshasa, la question de l’exploitation artisanale du bois a alimenté les débats. A défaut de chiffres plus récents, les témoignages des experts assurent que la situation s’est empirée, ces dernières années. Tous s’accordent, à l’instar de Nyolo, qu’avant, l’exploitation était rudimentaire et à petite échelle. Où, seuls, les locaux coupaient quelques bois, ce sont « aujourd’hui les [grands] exploitants [qui] viennent de partout. Et ils sont hyper équipés et derrière eux vous trouvez même certains industriels », explique Nyolo.
Remettre de l’ordre dans la filière artisanale du bois
Associée aux missions d’inspection et de lutte contre l’exploitation illégale du bois dans les provinces de l’Ituri, Tshopo et Haut-Uélé, l’Organisation Congolaise des Ecologistes et Amis de la Nature (OCEAN), dont la coordination nationale est basée à Kisangani, dans la province de Tshopo, a noté 3 faits majeurs, rapporte Florent Kay, qui en est membre : non-respect des procédures d’octroi des droits d’exploitation, faible capacité d’administration forestière et exploitation non durable du bois. Bien plus, « le système de répression est inefficace » tout comme celui de la traçabilité de la production du bois, ainsi que des recettes, indique la même source.
OCEAN a ainsi initié un Guide pratique des infractions courantes en matière d’exploitation des bois d’œuvre en RDC. L’objectif étant de contribuer à l’amélioration du système de contrôle forestier en RDC et de faciliter la dénonciation des violations à la réglementation forestière.
Pour Florent Kay, en plus, « les exploitants tant artisanaux qu’industriels des bois devraient contribuer aux efforts de reboisement et d’accompagnement des communautés dans la pratique de l’agriculture durable », explique-t-il. Et d’ajouter : [Ils pourraient pratiquer ou soutenir] l’agroforesterie dans les zones déboisées et les zones destinées au développement rural ».
La solution, selon Jean-Marie Nyolo, passe notamment par l’amélioration de la gouvernance forestière. Celle-ci implique, selon lui, l’identification formelle de tous les exploitants, ainsi que de tous les engins qu’ils utilisent.
« J’insiste sur le fait que les exploitants artisanaux doivent définir leur débouché. Ils vont vendre à qui ? Ils veulent produire telle quantité pour vendre à qui ? Si c’est le marché local, ça va être le marché local, parce que c’est ça le vrai marché d’un exploitant artisanal. C’est pour qu’il vende à sa communauté qui n’en a pas pour vendre à une autre province, pas pour vendre à un autre pays, pas pour vendre à un industriel. Et ça doit être clair, ça doit être l’une des conditions. Deuxièmement, on doit réussir à identifier les tronçonneuses qui entrent dans nos forêts », dit Nyolo.
Bien encadrée, d’après la Banque mondiale, mais aussi les auteurs du reportage « A qui profite l’exploitation artisanale du bois d’œuvre en RDC ? », l’exploitation artisanale du bois pourrait créer des milliers d’emplois et contribuer ainsi, de manière significative, à l’économie nationale.
Image de bannière : Des rapports indiquent que le bois issu de l’exploitation artisanale est exporté vers l’extérieur, notamment d’après la Banque mondiale, vers Brazzaville, l’Angola et l’Ouganda, etc. Image fournie par Florent Kay Lizobolia avec son aimable autorisation.
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