- Les pressions anthropiques sur la forêt et la savane donnent lieu aux éléphants hybrides d’Afrique, nés de l’accouplement entre l’éléphant de savane (Loxodonta africana) et l’éléphant de forêt (Loxodonta cyclotis).
- Une étude récente révèle que la plus forte densité d’éléphants hybrides sur le continent se trouve dans le Rift Albertin, partagé entre l'Est de la République Démocratique du Congo et le Sud-Ouest de l'Ouganda, des zones en proie à une situation sécuritaire poreuse, ou l’ayant été par le passé.
- L’Expert en conservation, Dr Chris Thouless, explique que ces mammifères ne sont pas scientifiquement reconnus comme espèces, et ne font pas partie des priorités en matière de conservation.
En Afrique, au-delà des deux principales espèces d’éléphants reconnues par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), à savoir l’éléphant de forêt (Loxodonta africana) et l’éléphant de savane (Loxodonta cyclotis), il existe également l’éléphant hybride. Celui-ci résulte de l’accouplement entre l’éléphant de forêt et son cousin de la savane.
Une étude publiée en mars 2025, dans le journal scientifique Global Ecology and Conservation, évalue la distribution des deux principales espèces pures et des hybrides qui en résultent, sur la base des données génétiques collectées à travers le continent.
Les chercheurs ont analysé 2445 échantillons d’éléphants, principalement des excréments, avec une petite proportion de tissus, d’os ou de poils, collectés entre 1981 et 2024, et provenant de 117 sites connus à travers l’Afrique, ainsi que 4883 défenses saisies lors d’opérations de lutte contre le braconnage, dans le but de détecter la présence des deux principales espèces et de leurs hybrides.
Ils montrent l’aire de répartition de chaque espèce, décrivent le nombre et le type d’hybrides détectés, et établissent un lien entre leur emplacement et l’aire de répartition des espèces parentes.
Ils ont découvert que les hybrides étaient rares dans l’ensemble et n’apparaissaient que dans les zones situées à l’intérieur, ou à proximité des écotones forêt-savane. Ils se trouvaient dans la zone du Rift Albertin, partagée entre l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), et le Sud-Ouest de l’Ouganda.

Plus précisément, la partie ougandaise concentre le plus grand nombre d’éléphants hybrides, localisés dans le Parc national de Kibale, où ils sont plus nombreux que les deux espèces d’éléphants pures.
Une étude publiée en décembre 2021, dans la revue Global Ecology and Conservation, sur l’identification des éléphants vivant dans les zones d’hybridation, indique qu’en plus de l’Est de la RDC et le Sud-Ouest de l’Ouganda, on les retrouve également au nord de la République Centrafricaine, dans la région de Gourma, au Mali et le long du complexe Pendjari-Arli d’Afrique de l’Ouest, à la frontière entre le Bénin et le Burkina Faso.
L’instabilité politique et l’hybridation des éléphants
Mary Kuhner, Chercheuse du Center for Environmental Forensic Science (CEFS) de l’université de Washington aux États-Unis et co-auteure de l’étude, a confié à Mongabay par courriel, que la forte concentration d’hybrides dans le Rift Albertin, une zone caractérisée par des écosystèmes de forêt et de savane exceptionnellement proches, est « probablement dû en grande partie à la guerre chronique et à l’insurrection du côté de la RDC, ainsi qu’à l’évolution de la pression en Ouganda au fil du temps ».
Elle explique que, lorsque l’Ouganda a créé des parcs nationaux dans les années 1950, il est devenu un environnement plus sûr et propice pour la survie des éléphants de forêt que la RDC, et ces mammifères en proie aux menaces sécuritaires en RDC, ont afflué en Ouganda.
Par la suite, le braconnage et la violence sont devenus intenses pendant le mandat de l’ex dictateur Idi Amin Dada en Ouganda ; des milliers d’éléphants ont été massacrés et les troupeaux se sont regroupés en une seule unité à la recherche de cachettes, ce qui a favorisé l’hybridation. Les conditions se sont améliorées après la guerre entre l’Ouganda et la Tanzanie en 1979, ce qui a entraîné une augmentation rapide de la population d’éléphants. Les hybrides étaient déjà prédominants et le sont restés de manière disproportionnée, au fur et à mesure que la population augmentait, en l’occurrence dans le Parc national de Kibale.
Aussi, les hybrides détectés dans la région du Gourma au Mali résulteraient également de l’insécurité et des troubles civils, et moins de l’existence d’un écotone forêt-savane, car la région est située au cœur d’un habitat de savane.

Pour Dr Chris Thouless, Directeur de la conservation au sein de « Save The Elephants », une organisation anglaise de recherche et de conservation spécialisée dans la protection des éléphants, les hybrides ne sont pas une espèce catégorisée par les scientifiques, ils sont plutôt « une conséquence des perturbations humaines plutôt qu’un phénomène naturel », a-t-il dit à Mongabay dans un courriel.
Plusieurs facteurs anthropiques favorisent le phénomène d’hybridation des éléphants, notamment le braconnage et la fragmentation de leurs habitats naturels.
En effet, l’hybridation se produit lorsque les perturbations sont suffisamment extrêmes pour pousser les éléphants dans un habitat inconnu. Autrement, cette race intermédiaire n’existerait pas si l’éléphant de forêt et l’éléphant de savane étaient à l’abri des pressions humaines et des conséquences qui en découlent, et que leurs habitats naturels respectifs étaient mieux préservés.
Kuhner pense que « les hybrides seront moins probables si les zones protégées sont vastes, saines et sûres, ce qui réduit les incitations pour les éléphants à les quitter, et si l’habitat forestier en particulier est soigneusement protégé ».
À la différence des races pures, les éléphants hybrides ne constituent pas une priorité conventionnelle en matière de conservation pour les organisations de protection de la faune sauvage. « Si dans des cas inhabituels, les populations hybrides peuvent constituer une priorité de conservation en raison de l’endroit où elles se trouvent, elles ne sont pas une priorité en tant qu’hybrides », explique Thouless.

Au demeurant, pour envisager des actions de conservation des éléphants hybrides, des recherches supplémentaires sont nécessaires, portant sur leur régime alimentaire, leurs préférences en matière d’habitat, leurs préférences d’accouplement, entre autres.
Il est particulièrement important de comprendre si les hybrides sont plus sujets aux conflits entre humains et éléphants et si leurs déplacements et leurs habitudes alimentaires diffèrent considérablement de ceux des espèces d’éléphants pures.
Une étude publiée en 2022 dans le Cambridge Core, la revue scientifique de l’Université de Cambridge en Angleterre, suggère que, pour pouvoir mener des actions de conservation efficaces, il est nécessaire de disposer d’informations précises sur la biologie, le comportement et la reproduction de chaque espèce, ce qui oblige à distinguer l’espèce des individus étudiés dans les zones, où les domaines vitaux des éléphants de forêt et des éléphants de savane se chevauchent.
Image de bannière : Selon une récente étude, la plus forte densité d’éléphants hybrides sur le continent se trouve dans le Rift Albertin, entre l’Est de la République Démocratique du Congo et le Sud-Ouest de l’Ouganda. Image par Mongabay.
Citation :
Kuhner, K. M., Gobush, S. K., Kaliszewska, A. Z., Horwitz, R. & Wasser, K.S., (2025). Distribution of African savanna elephants (Loxodonta africana), African forest elephants (L. cyclotis), and their hybrids across Africa based on genetic evidence, Global Ecology and Conservation, Volume 59, e03530. https://doi.org/10.1016/j.gecco.2025.e03530
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