- L’igname, une culture de base dans toute l’Afrique de l’Ouest et aux Caraïbes, est une plante grimpante tuberculeuse, qui nécessite d’être tuteurée lors de sa croissance. Traditionnellement, elle est soutenue avec des piquets fabriqués à partir de bois provenant des forêts environnantes.
- Les scientifiques et les sélectionneurs d’ignames testent des supports vivants pour éviter que les agriculteurs ne coupent de jeunes arbres pour fabriquer ces piquets et ne nuisent à la régénération des parcelles forestières.
- D’après les chercheurs, s’ils n’ont pas encore été adoptés par la majorité des agriculteurs, le pois d’Angole et le Simarouba glauca ont beaucoup de potentiel : ils soutiennent les vignes, enrichissent les sols et viennent compléter les récoltes.
L’igname est considérée comme l’une des cultures les plus importantes au monde. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), près de 90 millions de tonnes d’igname ont été produites dans le monde en 2023, notamment en Afrique de l’Ouest, où ce tubercule fibreux, riche en nutriments est une denrée de base. Cependant, on estime désormais que l’usage traditionnel de piquets de bois pour tuteurer la plante, ou « piquets pour igname », est une cause de déforestation. Les sélectionneurs d’igname, les chercheurs et les groupes de foresterie locaux explorent donc des solutions alternatives.
« L’igname est une plante grimpante », explique Eric Owusu Danquah, chercheur au Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR, Council for Scientific and Industrial Research) du Ghana. « Elle doit grimper afin d’exposer ses feuilles au soleil ».
Pour cela, les agriculteurs utilisent des « piquets pour igname », des tuteurs d’environ deux mètres de long souvent fabriqués à partir de bois coupés dans les forêts environnantes. Une pratique qui, selon les chercheurs comme Danquah, empêche les forêts de se régénérer. Chaque piquet peut être utilisé pour deux saisons, tout au plus.

L’igname est une culture exigeante. Outre le tuteurage, la plante a aussi besoin d’un sol fertile. Les agriculteurs alternent donc les champs d’année en année afin d’en laisser certains en jachère pour qu’ils se rechargent en nutriments. La plantation est aussi une tâche intensive. Il faut en effet mettre les tubercules ou les boutures (récupérées sur un autre plant) en terre dans de petits monticules, souvent avec un noyau de matière organique, riche pour aider à démarrer la croissance.
Parce que chaque plant d’igname doit avoir son propre tuteur, les agriculteurs ghanéens sont particulièrement dépendants des piquets pour igname. C’est pourquoi Danquah a passé les 15 dernières années à chercher un moyen de les remplacer. Les essais avec de la corde étaient concluants et avaient permis de réduire de moitié le recours aux piquets sans pour autant perdre en rendements, rapporte-t-il. Les cordes étaient cependant trop coûteuses pour les agriculteurs, nécessitant de trouver une solution plus abordable.
C’est ainsi que ses travaux sur un arbuste touffu, le pois d’Angole (Cajanus cajan), ont débuté. Élaguer régulièrement la plante l’encourage à pousser droit et en hauteur, ce qui lui permet de servir de tuteur vivant, explique Danquah. Les pois d’Angole, en plus de réduire le besoin de couper de jeunes arbres dans la forêt, apportent d’autres avantages. Comme toutes les légumineuses, ils fixent l’azote dans le sol et les résidus de taille peuvent être utilisés en tant que paillage riche en nutriments sur les monticules, ce qui réduit les besoins en engrais. Les pois d’Angole produisent également des haricots très nutritifs, que les agriculteurs peuvent vendre.
Mais malgré ses nombreux avantages, le tuteurage de l’igname avec des pois d’Angole n’est pas encore sorti de sa parcelle de démonstration. « Il faut que nous fassions mieux », affirme Danquah. « En l’état, le taux d’adoption est très bas… Nous avons besoin de financements pour former les agriculteurs et [nous] devons nous rapprocher des communautés de producteurs d’igname. »
Aujourd’hui, la majeure partie des financements dédiés à la culture de l’igname est affectée à la recherche sur les maladies de la plante et au développement de variétés produisant plus de graines, explique-t-il. Il aimerait toutefois qu’une part de cet argent serve à inciter les fermiers à adopter des méthodes de culture plus durables. « Il faut que les fermiers soient récompensés [si] nous voulons qu’ils adoptent de bonnes pratiques bénéfiques en termes de changement climatique et de résilience des cultures », affirme-t-il.


Asrat Amele est sélectionneur d’igname à l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) au Nigéria. Il s’est aussi penché sur plusieurs options de remplacement des piquets pour igname traditionnels, non seulement pour freiner la déforestation, mais également pour aider les fermiers à s’adapter aux effets du changement climatique.
Amele a, entre autres, testé des tuteurs en plastique, qui peuvent tenir jusqu’à quatre ans. Mais ceux-ci chauffent au soleil, ce qui endommage les vignes, qui peinent en outre à s’y accrocher, car la surface est trop lisse. Il s’est aussi intéressé aux cordes, mais a constaté « [qu’]elles tiennent moins d’une saison à cause de la chaleur et de l’humidité », explique-t-il. Il s’est donc récemment tourné vers de nouveaux filets biodégradables développés au Japon, où l’igname est considérée comme un mets gastronomique. Cette solution risque toutefois de s’avérer trop coûteuse pour les fermiers.
L’évolution des conditions météorologiques a aussi une influence sur leur approche. L’igname est, traditionnellement, une culture forestière, qui s’épanouit pleinement avec des sols riches, un environnement humide et des pluies abondantes. Mais « le régime des pluies n’est plus fiable », déplore-t-il. En outre, la population croissante et la demande accrue d’igname font pression sur les fermiers, qui ne peuvent plus se permettre de laisser une partie de leurs champs en jachère. Le sol n’est donc pas en mesure de se régénérer complètement. « Les fermiers sont contraints de planter dans les mêmes champs d’année en année », explique Amele, « ils font donc face à un déclin de productivité ».
« Ces changements poussent la culture de l’igname vers des espaces ouverts », ajoute-t-il en pointant une zone de transition, où la broussaille se transforme en savane, et où il n’y a pas d’arbres. « L’igname peut s’adapter à des environnements différents », explique-t-il, grâce à des cultivars résilients et une production agricole intelligente face au climat qui permettent à la plante de tirer parti de l’espace supplémentaire.
Ainsi, l’IITA est en train de développer des cultivars comme l’igname naine, dont les vignes ne font que trois mètres de long et ne nécessitent pas de tuteurage.
Éliminer le besoin de tuteurer permet, non seulement d’optimiser l’espace, mais d’ouvrir la possibilité de mécaniser la mise en terre et la récolte, rendant la culture de l’igname plus efficace et extensible.
Image de bannière: Racines et nodules racinaires (tubercules en formation) d’un plant d’igname cultivé en laboratoire. Image reproduite avec l’autorisation d’Asrat Amele/IITA.
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Cet article a été publié initialement ici en anglais le 3 avril, 2025.