- Savalou, Agbangnizoun et Zogbodomè sont trois communes situées dans le centre du Bénin, chacune traversée par des rivières et de nombreux affluents. Des eaux de surface de grande utilité pour les populations, mais de plus en plus vulnérables surtout au niveau du fonctionnement de leur écosystème.
- Comme les fleuves, les lacs et les rivières dans tout le Bénin, les plans d’eau de ces trois communes enregistrent, de temps à autre, leur plus bas niveau. Leurs bassins versants sont, de ce fait, exposés aux phénomènes hydroclimatiques ; ce qui conduit à une diminution drastique de l’eau des différentes sources d’eau.
- Avec la croissance démographique et l’utilisation plus accrue de l’eau par les populations à des fins de consommation et pour divers autres besoins, il est évident que ces régions seront confrontées à une crise de l’eau qui risque de menacer le bien-être humain et environnemental. Comment les populations s’adaptent-elles à cette situation non désirée ?
- Partagées entre l’attente d’une action de la part du gouvernement, d’un hypothétique forage ou soit l’utilisation de petites recettes pour filtrer l’eau ou la laisser reposer, les populations vivant autour de ces plans d'eau ne sont pas préparées pour une véritable adaptation.
Tout étranger qui se rend à la cité de Soha – Soha, nom fort du 1er roi de Savalou, signifiant littéralement « l’homme qui a apprivoisé un buffle » – est fasciné par plusieurs choses. D’abord, l’entrée de la cité. Celle-ci est matérialisée par un portique portant l’inscription « Bienvenue à Savalou, la belle ».
Sur le flanc droit, s’élève la statue en terre cuite de son premier souverain, déposée au centre d’un parc, et dominant tout le magnifique décor en ce lieu. Il suffit ensuite de lever les yeux pour constater que la ville de Savalou est entourée d’une succession de collines, les unes aussi impressionnantes que les autres.
Enfin, la dernière chose, qui attire l’attention à Savalou, est l’eau. Qu’elle soit distribuée par la Société nationale des Eaux du Bénin (SONEB) ou non, l’eau consommée à Savalou provient de la rivière Agbado, pour une population de près de 145000 habitants.
Comme tous les éléments de la nature, notamment les ressources en eau, Agbado est un don de Dieu, une merveille de la nature. Cette rivière de 121 kilomètres commence son voyage à Bantè, une commune voisine, située au nord de Savalou, traverse tout le territoire Mahi (ethnie peuplant Savalou) pour finir sa course dans le fleuve Zou.
Sur son parcours, elle est très utile, avoue Claude Monwènagni Vigninou, géographe, spécialisé dans l’analyse environnementale et la climatologie agricole. « Ceux qui vivent de cette rivière sont nombreux et de diverses catégories. Les éleveurs ne peuvent pas s’en passer. Elle leur offre l’opportunité d’abreuver leurs bœufs. Hormis ceux-ci, il y a les agriculteurs et les maraichers qui profitent largement des berges et des lits majeurs de cette rivière, pour leurs activités champêtres. Les pêcheurs sont aussi là, couvrant, non seulement les demandes en poisson de Savalou, mais également les besoins des autres marchés. Cette eau est utilisée également pour la consommation, pour la lessive, pour se laver, pour arroser les plantes et pour les animaux. Chaque utilisateur est cependant conscient de son état actuel ».

Lequel état inquiète Raoul Tossou Tolohin, le chef d’arrondissement d’Agbado (notons au passage que cet arrondissement porte le nom de la rivière). « Agbado est une grande rivière. C’est en fait le moteur des communautés qui vivent autour. Elle permet aux populations de faire toutes les activités liées à l’eau. A cause des eaux de ruissèlement qui apportent les débris de toutes sortes à chaque saison, la rivière est en train de rétrécir. Même la SONEB a abandonné son barrage érigé sur Agbado au profit de la réalisation de forages, pour donner de l’eau à la population de Savalou. Il faut des actions pour sauver cette rivière ».
De sérieuses inquiétudes pour les activités liées à l’eau
Le problème de la rivière Agbado a commencé avec la disparition progressive de ses affluents, notamment le Klou, le Azokan, le Kenon-Mandassa et le Assanté. Tous sont dans la même situation, asséchés pratiquement avec de petits points d’eau par endroits et des rochers qui ont émergé à la surface suite à l’assèchement. Ce n’est pas sans conséquence sur la rivière Agbado et sur toutes les activités qui se déroulent sur ses rives.

Dans les zones plus proches du cours d’eau, le sol est un mélange de limon et d’argile, offrant à la fois fertilité et bon drainage, favorisant ainsi une variété de cultures mais, c’était avant.
Nous avons rencontré Jerrysson Gbaguidi, titulaire d’une licence en géographie et Cédric Gbaguidi, bachelier sur le site d’exploitation sur lequel ils produisent carotte, piment vert et laitue depuis près de cinq ans. Ces diverses variétés de produits enrichissent et diversifient l’alimentation locale.
Chaque année, ils se demandent s’ils s’y maintiendront l’année d’après. « L’eau est là, mais le débit baisse. Il y a des moments où les motopompes n’arrivent plus à puiser l’eau comme il le faut, si bien que les plantes sont souvent affectées », constate Gbaguidi. La seule alternative, ajoute-t-il, c’est de disposer de forages mais avant, il faut se mettre en coopérative. Ce qu’ils ont fait, il y a un an. Le nom de la coopérative « Adandjrohoundé » est un appel à avancer avec beaucoup de force, quelle que soit la situation. C’est à lui que ses camarades ont confié la présidence de leur association.
Son second, Cédric Gbaguidi, regrette lui aussi la situation dans laquelle se trouve Agbado. « La rivière est remplie chaque année de déchets, et la chaleur de ces derniers temps fait croire que l’eau s’évapore. Si rien n’est fait, on risque de partir, parce que nous n’exploitons que l’eau de la rivière ».

Si aujourd’hui, la question de l’eau de consommation est réglée au centre-ville par la SONEB, autour de Savalou et dans les hameaux, le problème reste encore posé. Koffi Adiba et Pépin Agbohou sont paysans dans le village Dagadoho, dans l’arrondissement de Savalou-Aga. Ils produisent de l’igname, du coton, de l’arachide, du riz et du maïs. C’est la présence de troupeaux de bœufs dans la région qui les inquiète. Quand ils passent, ils provoquent l’effondrement de la berge et déversent, à chaque occasion, une quantité non négligeable de sable dans la rivière. « Ceci réduit la superficie des terres cultivables et épuise la fertilité des sols, diminuant le rendement », confient Koffi et Pépin qui n’imaginent pas leur avenir sans cette ressource en eau.
Pour compenser les pertes en nutriments, les paysans doivent souvent utiliser des engrais, ce qui augmente les coûts d’exploitations et ne permet pas de restaurer la santé des sols.
Agbessi Adiba, un autre paysan, d’une cinquantaine d’années, se souvient : « Il y a vingt-cinq ans, au moment où je m’installais ici, je ne pouvais pas tenir debout dans la rivière malgré ma taille. Aujourd’hui, l’eau arrive à peine au niveau de ma hanche. On a réfléchi, on ne sait pas ce qu’il faut faire pour arrêter ça, sauf si le gouvernement décide de nous aider ».
Ces témoignages rappellent à suffisance que la rivière Agbado n’est pas une simple ressource en eau exploitée pour des besoins divers. Elle est également un trait d’union, entre ses différents utilisateurs.

L’eau va manquer
De Savalou dans le département des Collines à Agbangnizoun dans le département du Zou, l’état des lieux n’est pas moins alarmant. Pour la petite histoire, la première appellation connue de la commune d’Agbangnizoun était « Agbanlin Zounmè ». C’était, à l’origine, une forêt et un refuge pour les antilopes. Si on prend le cas du plan d’eau de Dantèkpa, depuis que le lit de la rivière s’est asséché, trouver l’eau pour la consommation relève d’un parcours de combattant, surtout pour les femmes. Et quelle eau ! Il faut la désinfecter avant de la boire.
La commune voisine de Klouékanmè, dans le département du Couffo, au sud-ouest du pays, fait face au même calvaire. Dans l’arrondissement de Lanta, il n’est pas rare de voir des femmes enceintes ou des nourrices, bébés au dos, bassines et bidons sur la tête, traverser la route inter-communes Abomey-Dogbo, à la recherche d’eau à boire. Brigitte Djahou est l’une d’elles. « Lanta, c’est notre seule source ; en plus, les gens y jettent tout », dit-elle un peu dépitée. Cette rivière ne va pas bien, elle non plus. Ses eaux, sinon ce qu’il en reste, atteignent à peine la plante des pieds.

La situation au niveau de la rivière Hlan dans la commune de Zogbodomey est, quant à elle, tout à fait unique. Petite de taille, six à dix mètres environ de large et 30 km de long, elle traverse deux forêts à la fois. L’une est une forêt marécageuse nommée Lokoli. C’est d’ailleurs la seule forêt marécageuse, où passe un cours d’eau en Afrique de l’Ouest. Avec la rivière Koto, le Hlan forme un vaste système d’eau. Grâce à leurs bassins versants, ces deux rivières alimentent un écosystème diversifié pour de nombreux villages et communautés ; autant dire qu’elles sont étroitement liées au bien-être des populations. Chacune d’elles est aujourd’hui menacée, leurs utilisateurs aussi.
Examinant les menaces, Brice Sinsin, ancien Recteur de l’université d’Abomey-Calavi (Bénin), pointe les changements climatiques et le danger que la raréfaction des eaux fait peser sur la grande végétation. « Si un milieu comme Lokoli ne reçoit plus suffisamment d’eau, on peut avoir des craintes. Si la quantité d’eau nécessaire pour son extension arrivait à baisser, on aurait un assèchement des bordures vers l’intérieur, et, du coup, les arbres habitués à avoir les pieds dans l’eau, quasiment toute l’année, vont commencer par périr », dit l’universitaire, spécialiste en conservation des ressources naturelles.
Cela veut dire que la rivière et la forêt ont un destin commun, l’une ne peut exister sans l’autre. Autant l’anéantissement des rivières et cours d’eau peut ruiner la végétation, autant la ruine de la végétation peut nuire gravement aux rivières et cours d’eau.

L’enseignant-chercheur à l’université d’Abomey-Calavi, Flavien Edia Dovonou, explique par exemple que si les arbres autour des plans d’eau et rivières sont coupés, le sol se retrouve nu et, sous l’effet du vent, d’énormes quantités de sédiments peuvent encombrer le cours d’eau. Il y a donc ici un gros risque d’ensablement.
Dovonou identifie aussi deux autres menaces pour les rivières et cours d’eau. Primo, sous l’effet d’une température trop élevée dans la zone, l’évapotranspiration peut conduire à l’assèchement du plan d’eau. Secundo, lorsque la rivière est en contact avec une nappe souterraine et la nappe est utilisée en aval, celle-ci va solliciter l’eau de surface à un moment donné ; ce qui peut conduire à la disparition du plan d’eau concerné.
Avec le climat qui se réchauffe d’année en année et face à l’imprévisibilité d’une éventuelle issue, la planète en général et le Bénin en particulier foncent tout droit vers une crise de l’eau. Malheureusement, les populations, dont la vie dépend entièrement de ces eaux de surface, vont de plus en plus peiner à s’adapter, si le phénomène devient récurrent. Prendre toutes les dispositions pour un accès équitable à l’eau dans tout le Bénin est désormais une urgence.
Image de bannière : Des femmes à la quête de l’eau dans une rivière à Lanta dans la commune de Klouékanmè au sud-ouest du Bénin. Image de Didier Hubert Madafimè pour Mongabay.
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