- Une nouvelle étude revient sur le déclin du nombre de gorilles de Grauer survenu entre 1994 et 2003, dans la partie montagneuse du Parc national de Kahuzi-Biega, en République démocratique du Congo et révèle que, l’espèce en danger critique d’extinction, a été plus affectée par les conflits armés que par la présence ou l'absence de communautés autochtones dans le parc.
- Selon différents primatologues, l’étude, comprenant entre autres une analyse récente de la perte du couvert forestier dans les zones du parc de nouveau occupées par le peuple autochtone Batwa, remet en question les récits contradictoires qui tendent à décrire les Batwa, soit comme des destructeurs, soit comme des gardiens de la forêt.
- Le génocide rwandais et les guerres du Congo ont provoqué un afflux de réfugiés, entraîné une augmentation du braconnage, de la chasse et de l'exploitation minière dans la région et, par conséquent, une diminution de la population de gorilles de Grauer de 258 à 130 individus environ, selon les estimations. Il a fallu attendre la fin de la deuxième guerre du Congo pour voir leur nombre repartir à la hausse.
- Les chercheurs et les autorités en charge de la conservation de la nature soulignent que la protection du parc forestier congolais reste un défi, mais soutiennent que ce dernier pourrait, toutefois, être relevé en impliquant les populations autochtones dans sa gestion.
Une nouvelle étude révèle que le déclin des gorilles de Grauer survenu dans une zone de leur bastion principal en République démocratique du Congo (RDC), résulte plus des conséquences des conflits armés, que de la présenceou de l’absence de communautés autochtones. Une fois la deuxième guerre du Congo terminée en 2003, la population de gorilles, vivant dans la zone montagneuse du parc national de Kahuzi-Biega, a commencé à se rétablir et est restée stable depuis, selon les dernières estimations.
Les auteurs de cette étude internationale ont indiqué que leur analyse remettait en question deux récits contradictoires portant sur le peuple autochtone Batwa originaire de la région. Certaines autorités chargées de la conservation de la nature considèrent les Batwa comme des destructeurs de la forêt responsables du déclin de la population de gorilles, alors que des défenseurs des droits des peuples autochtones soutiennent que la diminution du nombre de gorilles coïncide avec l’expulsion des Batwa (qui ne pouvaient plus prendre soin de la forêt).
Toutefois, comme les chercheurs l’ont expliqué à Mongabay, la situation est plus complexe que cette dichotomie.
Le Parc national de Kahuzi-Biega abritait des milliers de Batwa avant qu’ils ne soient expulsés de force dans les années 1970 – sans se voir offrir d’autres terres en échange. Aujourd’hui, le secteur montagneux du parc est devenu un lieu touristique, où l’on peut observer le gorille de Grauer (Gorilla beringei graueri) en danger critique d’extinction du gorille de l’Est, et le siège du parc national. Ces dernières années, les défenseurs des droits des peuples autochtones et les autorités chargées de la conservation de la nature se sont livrés à une bataille pour tenter de promouvoir le concept de « conservation-forteresse » et le rôle que pourraient jouer les Batwa dans la protection de la biodiversité du parc, actuellement en danger.
Selon les données de l’enquête de terrain analysées pour les besoins de la nouvelle étude, le nombre de gorilles vivant dans la zone montagneuse du parc est resté stable, entre 223 et 258 (écart dû à une marge d’erreur), après l’expulsion des Batwa. Cependant, en raison du génocide qui a commencé en 1994 au Rwanda (guerre opposant l’ethnie hutu à l’ethnie tutsi), et des guerres du Congo qui ont suivi, la population de l’espèce dans la région aurait chuté à 130 individus. Après 2003 et la fin de la deuxième guerre du Congo, le nombre de gorilles est reparti à la hausse dans la région. Une étude, réalisée en 2020 estime à 252 le nombre de gorilles vivant dans la zone montagneuse du parc (selon une approche basée sur un modèle). Une approche basée sur la conception est plus optimiste et estime que ce nombre pourrait même s’élever à 404 individus.

« Le principal déclin de la population s’est produit dans les années 1990 et a donc coïncidé avec la crise des réfugiés rwandais et le début du conflit armé », explique Fergus O’Leary Simpson, coauteur de l’étude et chercheur postdoctoral à l’Institut de politique du développement de l’université d’Anvers, dont les recherches portent principalement sur la conservation de la nature en RDC.
Les chercheurs ont analysé les données déjà recueillies dans le cadre d’enquêtes et les ont juxtaposées avec le moment où les Batwa ont été expulsés du parc et avec d’autres événements majeurs. Leurs conclusions révèlent que les changements survenus dans la population de gorilles au sein du parc se sont produits « indépendamment de la présence (ou de l’absence) des Batwa dans le parc ». L’une des enquêtes analysées par les auteurs a été corédigée par des chercheurs de la Société pour la conservation de la vie sauvage, laquelle gère le Parc national de Kahuzi-Biega en partenariat avec l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN).
Sur la base de ces derniers résultats, la nouvelle étude, publiée dans le journal World Development, soutient que les récits contradictoires portant sur les Batwa, décrivant ces derniers soit comme des destructeurs, soit comme des gardiens de la forêt, sont décontextualisés de la réalité socioécologique complexe, chaotique et imprévisible de la région, et de ses conflits armés, de ses politiques, des activités extractives, du braconnage et des chaînes d’approvisionnement illégales du charbon de bois.
Selon les auteurs de l’étude, l’expulsion des Batwa pourrait avoir interagi avec ces facteurs, mais il est peu probable qu’elle ait joué un rôle central.
Si les estimations de l’étude n’ont pas permis de lever toutes les incertitudes relatives à l’abondance de la population de Gorille, elles ont constitué une contribution importante et ont apporté « un certain équilibre à une situation extrêmement complexe », indique Liz Williamson, primatologue à l’université de Stirling, au Royaume-Uni, qui n’a pas participé à l’étude.
Dirck Byler, vice-président du groupe des spécialistes des primates auprès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), semble partager son point de vue :
« Les discussions sur les peuples autochtones qui les présentent soit comme des “destructeurs des forêts”, soit comme des “gardiens des forêts”, simplifient la situation à l’extrême et ne tiennent pas compte des activités intensives d’extraction des ressources qui entraînent des dommages sur l’environnement », explique-t-il à Mongabay, ajoutant que le déclin de la population est influencé par de nombreux facteurs.

Quel est le rôle joué par les conflits armés dans ce déclin ?
Mwamibantu Muliri Dubois, coauteur de l’étude et chercheur principal en écologie de la conservation à l’université officielle de Bukavu en RDC, soutient que les conflits armés, qui ont sévi dans le passé dans la région du parc, ont été l’un des principaux facteurs ayant permis à certains d’accéder aux ressources naturelles de la forêt.
Selon les chercheurs, le déclin de la population de gorilles a été provoqué par l’afflux de réfugiés lors du génocide rwandais et des guerres du Congo qui ont commencé à exploiter les ressources du parc, en particulier le bois (pour la construction et le bois de chauffage) et les animaux (pour la nourriture).
Lorsque l’armée rwandaise a dispersé les camps de réfugiés pendant la première guerre du Congo, en 1996, de nombreux réfugiés ont fui à travers le parc. Parmi eux figuraient des membres de l’armée du précédent gouvernement rwandais et d’autres membres de milices génocidaires, qui ont établi leurs bases au sein du parc, puis puisé dans ses ressources. Ils ont également massivement participé au braconnage d’animaux sauvages, notamment des gorilles et des éléphants.
Fergus O’Leary Simpson a indiqué que le braconnage et la chasse s’étaient particulièrement intensifiés durant la seconde guerre du Congo, à partir de 1998, lorsque de nombreux groupes armés ont commencé à utiliser le parc comme base d’opérations et d’exploitation des ressources naturelles. Simpson rappelle qu’à plusieurs reprises au cours des guerres du Congo, les écogardes ont été désarmés et n’ont plus été en mesure de faire respecter les lois en vigueur en matière de conservation de la nature auprès des groupes armés.

« Au cours de cette période, l’exploitation du coltan s’est répandue dans le Parc national du Kahuzi-Biega et a aggravé la situation, car des milliers de mineurs dépendaient de la viande de brousse pour subvenir à leurs besoins », explique-t-il.
Depuis les années 1990, les estimations du nombre de gorilles vivant dans d’autres régions ne se sont pas rétablies comme le suggèrent les études menées dans la région montagneuse du parc.
En 1998, environ 16 900 gorilles de Grauer avaient été recensés à l’état sauvage dans l’aire de répartition de la sous-espèce, située dans l’Est de la RDC. En 2016, une estimation révèle que ce nombre a chuté à 3 800 individus, dont la plupart, entre 1 571 et 2 105 individus, ont trouvé refuge au sein du Parc national de Kahuzi-Biega. Dans le secteur beaucoup plus vaste de basse altitude du parc, qui abrite la majorité des gorilles, une réduction moyenne de 87 % de la densité des gorilles a été observée entre 1994 et 2015. Les chercheurs, comme Dirck Byler, imputent ce phénomène aux niveaux élevés de braconnage, à la perte d’habitat pour les gorilles et à la détérioration de la qualité de leur habitat en raison de l’exploitation minière, des routes et de la présence de groupes armés non étatiques.
« Le statut des gorilles de Grauer est critique », souligne Liz Williamson, qui a corédigé la dernière évaluation de 2016 pour l’établissement de la Liste rouge de l’UICN.
L’évaluation révèle que la population a diminué de 77 % en une seule génération. Les auteurs mettent en garde contre la disparition de 97 % ode la population entière d’ici à 2054 si jamais la tendance se poursuit.
Un tableau complexe
Depuis l’expulsion des Batwa de l’aire protégée, les autorités du parc et le gouvernement de la RDC ont parfois présenté ces derniers comme des destructeurs de la forêt. Les défenseurs des droits des autochtones se mobilisent pour dénoncer la légitimation de la conservation-forteresse, de la suppression des droits des Batwa sur leurs terres ancestrales et des actes de violence perpétrés à leur égard ces dernières années par les gardes du parc et les soldats du gouvernement.
« Ils cherchent à renforcer l’hégémonie de l’État congolais et à légitimer l’autorité des gardes du parc et de l’armée en les présentant comme les meilleurs défenseurs du parc qui devraient avoir carte blanche pour protéger la forêt », soulignent les auteurs de la nouvelle étude.

Les auteurs de l’étude soulignent la complexité de l’enjeu. Selon eux, la présence de milliers de Batwa dans le parc avant leur expulsion dans les années 1970, n’a eu que peu d’impact sur le nombre de gorilles dans la zone montagneuse. Lorsque les Batwa ont quitté le parc, la population de gorilles de Grauer est restée plus ou moins la même. Les auteurs indiquent que l’augmentation enregistrée entre 1978 et 1990, a été peu significative ; elle est passée de 223 à 258 individus, soit une différence de 35 individus.
« Ce changement se situe en fait dans la marge d’erreur généralement associée aux enquêtes sur les populations de mammifères dans des contextes comme celui du parc congolais », explique Fergus O’Leary Simpson.
Toutefois, la nouvelle étude insiste sur un nouvel élément : les besoins et les modes de vie des Batwa modernes sont différents de ceux du passé et ils ne sont plus nécessairement en harmonie avec la forêt.
Des niveaux importants de déforestation ont été observés à l’extrémité nord du secteur montagneux (côté Kalehe), qui a été réinvesti par certains Batwa en 2018. Entre 2019 et 2022, cette zone a connu une perte de son couvert forestier de 1 602 hectares (3 959 acres). Les auteurs attribuent cette perte à la production illégale et au commerce illicite du charbon de bois impliquant de nombreux acteurs armés, dont divers chefs Batwa qui, même s’ils jouent un rôle mineur, vendent tout de même l’accès au parc à d’autres groupes moyennant compensation.
Selon certaines sources, l’extrême pauvreté des Batwa pourrait en partie expliquer leurs actions.
La pointe nord du secteur montagneux du parc n’a pas été incluse dans l’inventaire des gorilles en raison de l’insécurité qui sévit dans la région ; cependant, selon les auteurs de deux enquêtes, un article publié après le retour des Batwa, indique que des études par transects n’ont pas trouvé de signes de la présence de gorilles dans cette zone.
Selon Liz Williamson, dans les zones où les activités illégales sont fortement répandues, même si elles restent temporaires par endroit, les gorilles vont se trouver menacés à un moment ou à un autre, car ils dépendent du parc pour leur survie.
Dominique Bikaba, directeur général de Strong Roots Congo, une organisation non gouvernementale de protection de la nature et de promotion du développement durable basée dans l’Est de la RDC, affirme que, bien que les conflits armés dans les hauts lieux de biodiversité du pays constituent une menace critique pour les efforts de conservation, il est urgent de soutenir les moyens de subsistance des communautés autochtones qui y vivent et soutiennent la conservation de la biodiversité.
« Il est essentiel d’impliquer les populations autochtones Batwa dans les efforts de conservation pour développer la recherche durable et la protection du parc », explique-t-il à Mongabay.
Selon une étude de la WCS, la chasse et le braconnage pratiqués par des mineurs illégaux et d’autres groupes à la recherche de minéraux précieux dans le parc représentent une menace supplémentaire. Les mineurs, qui opèrent souvent dans des zones isolées, en viennent à chasser les grands singes et d’autres animaux sauvages pour assouvir leurs besoins en nourriture et en protéines, les autres sources de nourriture n’étant pas disponibles. L’expansion des terres agricoles entraîne également la fragmentation des habitats restants au sein de la forêt.
« Les activités de conservation communautaire peuvent offrir une meilleure protection à ces primates et à leur environnement et mettre un terme à la chasse aux singes et à d’autres espèces protégées par la loi », explique Mwamibantu Muliri Dubois.
En 2022, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a décidé que les Batwa étaient en droit de retourner dans la forêt avec des titres fonciers, toutefois, la mise en œuvre de cette décision reste incertaine. Pour le moment, la WCS et les autorités du parc ont instauré un partenariat public-privé pour mettre en place des mesures qui incluent les communautés autochtones dans les initiatives de conservation et qui leur sont profitables également. Pour certains, ce partenariat ne tient toutefois pas compte du droit des Batwa à retourner vivre dans le parc.
Arthur Kalonji, directeur du Parc national de Kahuzi-Biega, explique à Mongabay qu’il est convaincu que la participation des différentes parties prenantes est essentielle pour une protection efficace de l’aire protégée.
« Il est impératif de mettre en place des approches collaboratives équitables en matière de conservation pour veiller à ce que les communautés autochtones soient des gardiennes de l’environnement qui protègent la faune et la flore », explique-t-il.
Image de bannière : Une famille de gorilles de Grauer. Image de Dian Fossey Gorilla Fund International..
Citations:
O’Leary Simpson, F., Titeca, K., Pellegrini, L., Muller, T., & Muliri Dubois, M. (2025). Indigenous forest destroyers or guardians? The indigenous Batwa and their ancestral forests in Kahuzi-Biega National Park, DRC. World Development, 186, 106818. doi:10.1016/j.worlddev.2024.106818
Plumptre, A. J., Nixon, S., Kujirakwinja, D. K., Vieilledent, G., Critchlow, R., Williamson, E. A., … Hall, J. S. (2016). Catastrophic decline of world’s largest primate: 80% loss of Grauer’s gorilla (Gorilla beringei graueri) population justifies critically endangered status. PLOS ONE, 11(10), e0162697. doi:10.1371/journal.pone.0162697
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Cet article a été publié initialement ici en anglais le 16 decembre, 2024.