- La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a prononcé que l’expulsion de milliers de Batwa du parc national de Kahuzi-Biéga, dans les années 1970, était une violation des droits de l’Homme. Cependant, des mois plus tard, des questions subsistent, quant à savoir si et comment le gouvernement mettra en œuvre les 19 recommandations de la Commission pour remédier à la situation.
- Parmi les recommandations clés soulignées par les Batwa et confirmées par d’autres sources, figurent la restitution aux Batwa de leur terre ancestrale au sein du parc, une indemnisation et des excuses publiques pour tout ce qu’ils ont subi. La mise en place de ces recommandations, si elle est difficile, est nécessaire du point de vue des droits de l’Homme, ont-ils indiqué en décortiquant la procédure.
- Pour les chercheurs, il n’existe pas de preuves suffisantes que les Batwa modernes sont des gardiens de la forêt. Les défenseurs de l’environnement, quant à eux, soulignent le besoin de concevoir des projets de conservation communautaires, afin que les Batwa puissent vivre durablement sur leur terre au sein du parc, ou bien de trouver un équilibre satisfaisant à la fois les Batwa et les gardes du parc.
- Ni la RDC ni les dirigeants du parc n’ont pour l’instant émis de commentaire, quant à la possible mise en place des recommandations, mais les autorités de protection de l’environnement et les partenaires et donateurs du parc affirment prendre des mesures pour concilier droits autochtones et protection de la biodiversité.
Dans sa décision historique rendue en 2022, la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a conclu que l’expulsion de la communauté autochtone Batwa du parc national de Kahuzi-Biéga (PNKB) était une violation de leurs droits. Cette communication, rendue publique en juin 2024, était accompagnée d’une liste de 19 recommandations adressée au gouvernement de la RDC, afin de rectifier une série de violations. Les organisations autochtones, de la société civile et de défense des droits de l’Homme se disent optimistes, mais des mois après la publication de la communication, la question subsiste : le gouvernement mettra-t-il ces recommandations en œuvre et si oui, comment ?
« Le président a promis de respecter la loi. Nous espérons qu’il appliquera la décision », a dit Bahati Malenga Majafu, un Batwa vivant en dehors du parc.
Le gouvernement n’a pas répondu à leurs questions concernant ses plans, mais un employé du parc a confié que des efforts étaient en cours pour résoudre le conflit.
« Nous cherchons actuellement des solutions durables pour concilier les besoins des communautés autochtones et la protection de la biodiversité », a affirmé à Mongabay Arthur Kalonji, directeur intérimaire du PNKB. Il n’a toutefois pas fait directement référence aux recommandations de la Commission.
Les Batwa ont été expulsés des forêts luxuriantes de l’est de la RDC dans les années 1970, lors d’une campagne visant à formaliser la protection d’une section du bassin du Congo. Des milliers de personnes ont donc été contraintes de quitter les forêts, qu’elles avaient protégées depuis des générations, et ce sans la moindre compensation ou solution de remplacement. Elles ont vécu dans une situation de pauvreté extrême, subissant la discrimination, un taux de mortalité élevé et la perte de leur culture. La communication de la Commission concernant ces événements fait suite à une enquête menée en 2022 par l’ONG Minority Rights Group (MRG), qui a révélé des violences physiques et sexuelles, ainsi que des meurtres, commis par les écogardes et les soldats du parc à l’encontre des Batwa, qui s’y aventuraient. Bien que l’agence nationale en charge des aires protégées de la RDC, l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), refuse d’accepter toutes les conclusions de l’enquête, elle reconnaît près d’une douzaine d’abus violents.
Gentil Amuli, avocat et directeur général de l’organisation de défense des droits, le Centre d’espoir pour les droits humains, pointe tout particulièrement certaines des 19 recommandations : le retour des Batwa dans l’enceinte du parc avec des titres fonciers en main, le versement d’une indemnité et des excuses publiques pour ce que les Batwa ont subi. Selon certaines sources, la recommandation de retirer les personnes non-Batwa des terres Batwa reste une décision digne d’intérêt, bien que potentiellement litigieuse.
De nombreux groupes de défense des droits de l’Homme réclament, depuis longtemps, le retour des Batwa dans le parc, bien que la question soit débattue pour des raisons de protection de l’environnement. En effet, certains chercheurs affirment que les Batwa ont récemment participé à une vaste déforestation dans ce qui constitue l’habitat des gorilles des montagnes (Gorilla beringei beringei), une espèce menacée, ou que la région reste trop dangereuse. D’autres, principalement des militants, soutiennent que les Batwa sont en fait les gardiens des forêts ou préfèrent s’en tenir aux droits de l’Homme, qui soulignent les droits des Batwa sur leurs terres, quelle que soit la manière dont ils y vivent. Et d’autres encore tentent le compromis en promouvant les projets de conservation qui permettraient aux Batwa de vivre sur leurs terres de manière plus durable.
Mais s’il y a bien une chose sur laquelle s’accordent les sources que Mongabay a interrogées, c’est que la mise en œuvre des recommandations sera un processus difficile. D’autant que cette région de l’est de la RDC est rongée par la guerre et que des militants armés font des incursions dans les forêts du parc.
« Appliquer la décision de la Commission au niveau national sera un défi. […] Le problème demeure complexe », a dit Alexandre Kabare III, roi de Kabare, un royaume dans la province du Sud-Kivu, où se trouve une partie du PNKB.
Frédéric Mousseau, Responsable des politiques pour l’Oakland Institute, est d’accord : « Il n’y aura pas de solution de facilité après des décennies de pratiques de conservation peu judicieuses, d’accaparement des terres, de guerres et de présence d’une industrie extractive bien établie, bien que largement illicite [dans le parc]. »
Selon les sources, il faut avancer pas à pas. La reconnaissance par la Commission des violations des droits de l’Homme dues à l’application d’une conservation-forteresse, ainsi que du rôle essentiel que les peuples autochtones dans la préservation de la biodiversité en Afrique, marque un tournant historique. Cette décision pourrait avoir des répercussions importantes pour d’autres parcs qui ont expulsé les locaux. Les prochaines étapes devraient être des actions concrètes, et il pourrait s’agir d’une question de priorité, ont-ils déclaré.
Certains groupes de défenses des droits de l’Homme, dont MRG, qui a saisi la commission, attendent un signal du gouvernement congolais, comme une proposition de calendrier pour la mise en œuvre des recommandations, afin de montrer que les autorités sont d’accord. Sans action de leur part, cette décision n’est rien de plus qu’un bout de papier, craint Joshua Castellino, directeur général de MRG.
« D’ici une à trois semaines, ils devraient formuler une sorte de plan », a-t-il ajouté. Mais un mois plus tard, le gouvernement n’a toujours pas partagé de calendrier.
Aller au fond des choses
Manassé Sirire Christian, une Batwa, espère que ses enfants pourront un jour vivre sur leurs propres terres.
Après avoir été dépossédés de leurs terres et avoir vécu dans la pauvreté, ils ont été ridiculisés, ont rapporté des sources Batwa à Mongabay. Comparées à la misère et à l’expansion de la frontière agricole à l’extérieur du parc, les forêts dans lesquelles vivaient leurs ancêtres semblent riches en possibilités. « Nos pères vivaient bien. Nos ancêtres sont enterrés là-bas. Il y a tout ce qu’il faut : des plantes médicinales, nos traditions, nos origines », a expliqué Bahati Malenga Majafu, pour qui le cœur et l’esprit de ceux qui ont été expulsés demeurent à l’intérieur du parc.
Selon Mousseau, la réintégration des Batwa dans le parc pourrait réussir si elle est accompagnée d’autres mesures de la liste.
« Cela nécessiterait également des actions qui ne figurent pas dans la liste. L’éléphant dans la salle est l’extraction illégale de minerais dans l’est [de la RDC]. Cette industrie ne laisse rien dans son sillage que dévastation, aussi bien humaine qu’environnementale, et alimente une guerre qui a fait des millions de victimes dans la région, forçant les locaux à vivre dans la violence et l’insécurité », a-t-il déploré.
Pour les organisations de défense des droits de l’Homme, il faut impliquer les donateurs et les partenaires du parc, comme la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) et la Wildlife Conservation Society (WCS), pour aider les autorités du PNKB à mettre en place les recommandations de la commission. Cela va aider à freiner l’extraction illégale et la violence dans la région.
« Si ces bailleurs de fonds prennent au sérieux les droits de l’Homme qu’ils prétendent défendre, il est impératif qu’ils cessent de financer […] si le gouvernement ne prend pas de mesures. Parce que cela va à l’encontre de ce que dit la Commission en termes de droit africain », a dit Castellino. Ils manqueront également à leurs propres obligations de diligence en matière de droits de l’Homme, a-t-il ajouté.
Mais cette opinion ne fait pas l’unanimité. La banque de développement publique allemande, la KfW, a déclaré à Mongabay qu’elle finançait les activités uniquement sur la base du droit applicable, alors que la décision de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples n’est qu’une communication adressée au gouvernement de la République démocratique du Congo.
Un porte-parole de KfW a également déclaré que « le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement, par l’intermédiaire de la KfW, soutient l’ICCN et son organisation partenaire, WCS, dans leurs efforts pour protéger le PNKB, avec pour objectif de mettre en œuvre les normes internationales en matière de droits de l’Homme et de gestion des zones protégées, en mettant l’accent sur la promotion des droits des peuples autochtones Batwa ».
La communication de la Commission est un jugement légal basé sur la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, dont la RDC est signataire. Toutefois, contrairement à la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples, la Commission ne dispose pas du pouvoir de faire appliquer la loi lorsqu’elle détermine qu’un État a violé la Charte. Selon les avocats, les recommandations ont pour but d’aider le gouvernement à prendre des mesures pour se remettre en conformité avec la Charte, mais contrairement aux décisions de justice, elles ne sont pas contraignantes.
Il s’agit là d’un problème de mise en œuvre, ont déclaré des avocats et des organisations de défense des droits de l’Homme, qui doivent trouver un moyen de persuader les États, déjà réticents à suivre les décisions de justice, de s’y conformer. Si l’une des parties souhaitait porter l’affaire devant la Cour africaine, elle ne pourrait le faire qu’à travers un autre État ou par le biais de la Commission elle-même.
Dans une déclaration, le partenaire du parc, la WCS, a affirmé prendre note des conclusions de la Commission et a souligné son engagement en faveur des droits des autochtones, sans toutefois commenter les 19 recommandations. L’organisation a plutôt mis en avant son accord de partenariat public-privé avec l’ICCN comme un moyen de « construire un nouveau paradigme » pour le parc d’une manière qui protège à la fois les personnes et la nature. Cela s’accompagne de réformes telles que la formation des gardes forestiers aux droits de l’Homme, l’intégration des Batwa dans la gestion du parc et l’offre d’avantages éducatifs et sanitaires.
Pour Kalonji, directeur intérimaire du PNKB, ce partenariat public-privé est une « étape cruciale » pour garantir que la politique de conservation reconnaisse et respecte les droits des peuples autochtones vivant autour du parc.
Les critiques, en revanche, demandent plus, car le projet ne prévoit pas d’accorder aux Batwa des titres de propriété dans le parc.
Concilier la nature et les peuples
D’après Fergus O’Leary Simpson, chercheur postdoctoral à l’Institute of Development Policy de l’université d’Anvers spécialisé sur la protection de l’environnement en RDC, la communication a mis en lumière des problèmes de justice sociale, c’est-à-dire l’incapacité à indemniser les Batwa et à leur offrir d’autres terres pour leur permettre de mener une vie décente. Il pense toutefois qu’il n’y a pas assez de preuves pour appuyer les déclarations de la Commission selon lesquelles les Batwa d’aujourd’hui ne représentent aucun danger pour la biodiversité. Une affirmation qui, par ailleurs, ne correspond pas aux réalités du terrain.
« La plupart des Batwa ont probablement mené un mode de vie de subsistance à faible impact dans le passé. Cependant, l’analyse d’images satellitaires et un travail de terrain approfondi ont révélé des milliers d’hectares de déforestation dans le secteur des hautes terres du parc, depuis le retour de groupes de Batwa dans la région en octobre 2018. Le couvert forestier était relativement stable dans cette région du parc avant cette date. »
Bien que les Batwa ne soient pas les seuls responsables, les auteurs d’un article ont constaté que plusieurs chefs impliqués dans la vente de ressources telles que le bois, ont facilité l’accès au parc à d’autres groupes, y compris des acteurs armés, et aident à organiser la production de charbon de bois dans la zone protégée. Permettre à des milliers de Batwa de retourner dans l’enceinte du parc pourrait mener à plus de défrichage dans le secteur des hautes terres du parc, qui est l’une des rares forêts de la zone à ne pas avoir été abattues pour faire place à l’agriculture, a expliqué Simpson à Mongabay.
Lors d’un entretien avec Mongabay, un avocat congolais travaillant avec le peuple Batwa, a confié que certains d’entre eux souhaiteraient également bâtir des écoles et des routes dans cette section du parc, afin de reconstruire leur vie et sortir de la pauvreté.
Dans le même temps, les défenseurs des droits des autochtones maintiennent que les Batwa sont principalement des gardiens des forêts, et que, seuls, quelques individus sont à blâmer pour leur participation dans l’industrie extractive. Selon Deborah Rogers, présidente de l’ONG Initiative for Equality, les Batwa ont été utilisés comme boucs émissaires lorsque des activités extractives illicites ont été découvertes dans le parc, comme en témoigne une déclaration des Batwa accusant les responsables du parc de commerce illégal de bois.
Pour les avocats spécialisés et les groupes de défense des droits de l’Homme, les Batwa ont un droit légal sur ces terres indépendamment de leurs modes de vie modernes. « Il ne nous appartient pas de proposer un protocole sur la manière dont les Batwa devraient vivre sur leur propre terre », a dit Mousseau.
D’autres acteurs de la conservation tentent de trouver un moyen de concilier la protection de cette partie riche en biodiversité du bassin du Congo et les droits de l’Homme d’un groupe de personnes marginalisées. Pour les défenseurs de la nature avec lesquels nous nous sommes entretenus, les Batwa doivent participer à la conversation.
« D’un côté, les droits de l’Homme doivent être respectés, de l’autre il faut des mesures de protection de l’environnement pour sauvegarder la biodiversité de la région », a résumé Ghislain Kabuyaya, un militant écologiste local et consultant de l’ICCN sur les questions environnementales.
Les approches de conservation inclusives qui respectent les droits des autochtones et impliquent ces communautés dans la protection de l’environnement en tant que partenaires égaux sont de plus en plus mises en avant par les écologistes comme étant les meilleures pratiques en matière de conservation. Étant donné que le parc est un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO et que l’ICCN considère la zone comme un espace où les Batwa ne devraient pas se trouver, il manque des mesures pour trouver un équilibre entre les droits de l’Homme et la nécessité de protéger la biodiversité, a expliqué Kabuyaya à Mongabay.
Un dialogue entre l’ICCN et le peuple Batwa sera nécessaire pour trouver « des solutions durables qui conviennent aux deux parties », faute de quoi le conflit se poursuivra simplement, a-t-il ajouté. Ils devront également collaborer à l’élaboration d’un plan de durabilité si les Batwa venaient à revenir dans le parc.
Un tel projet nécessite une volonté politique et une confiance forte des deux côtés, ont affirmé les sources.
Les plans de développement durable avec les communautés autochtones comprennent des concessions forestières gérées par les communautés, ce qui est courant dans cette partie de la RDC. Actuellement, des organisations locales s’efforcent de construire un corridor écologique reliant le PNKB à d’autres parcs de la région en délivrant des titres de propriété à de nombreuses concessions forestières communautaires et en les reliant entre elles. D’autres options incluent des emplois durables, des programmes de bioéconomie, l’écotourisme ou un accord avec le gouvernement pour recevoir des terres de substitution, ont déclaré des sources. Au Paraguay, après que la Cour interaméricaine des droits de l’Homme a statué que les communautés autochtones Yakye Axa et Sawhoyamaxa avaient été privées de leurs droits fonciers, le gouvernement et les communautés se sont mis d’accord sur une autre parcelle de terre.
En ce qui concerne les 18 autres recommandations, certaines seront plus simples que d’autres, disent les sources.
Pour Mousseau de l’Oakland Institute, l’adoption par le gouvernement de la loi sur la Promotion et la protection des droits des peuples autochtones en 2022 met déjà en œuvre certaines des recommandations de la commission visant à adopter des lois ou à modifier la législation pour protéger les droits des Batwa.
Mais la recommandation d’expulser d’autres groupes ethniques des terres ancestrales des Batwa ou de décider si les personnes d’ascendance mixte ont le droit de posséder des terres dans le parc pourrait être délicate, car d’autres groupes se considèrent également comme des autochtones des forêts, a expliqué Simpson à Mongabay.
Amuli, de son côté, maintient que la présentation d’excuses publiques demeure parmi les recommandations les plus importantes. « [Elles] sont nécessaires pour commencer à réparer les erreurs du gouvernement », a-t-il dit.
Pendant ce temps-là, à la frontière du parc, Thierry Kitumaini, un Batwa, se dit optimiste et pressé de retourner sur les terres de son peuple.
« Les responsables politiques doivent respecter la décision de la commission. Udongo ni utajiri [La terre est un trésor] ».
Image de bannière : Paysage près du parc national de Kahuzi-Biéga, en République démocratique du Congo. Bien que peu connu en dehors de la région, Kahuzi-Biega offre un trekking de classe mondiale pour les gorilles et une chance rare de voir des gorilles des plaines orientales, une espèce en danger critique d’extinction à l’état sauvage. Image de Molly Bergen/WCS, WWF, WRI via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Simpson, F. O., Kristof Titeca, et al (2024). Indigenous forest destroyers or guardians? The indigenous Batwa and their ancestral forests in Kahuzi-Biega National Park, DRC. World Development, 186, 106818–106818. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2024.106818
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 19 novembre, 2024.