- Une étude révèle que l’Afrique n’a pas réalisé de grands progrès dans l’atteinte des objectifs 30x30 du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming Montréal.
- Seulement, 19 % de paysages terrestres et 17 % de paysages marins, bénéficient d’une protection formelle sur le continent.
- L’Afrique a pourtant un rôle clé à jouer dans la protection de 30 % de la planète à l’horizon 2030, grâce à de multiples solutions endogènes proposées par les conservationnistes africains, malgré le difficile contexte de mobilisation des financements.
- Pour Charles Karangwa, Expert de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’Afrique doit investir dans la conservation-protection et dans la gestion durable de ses écosystèmes existants.
L’Afrique abrite plus de 70 000 espèces végétales (environ un sixième de toutes les espèces végétales du monde), 1 100 espèces de mammifères (environ 17 % des mammifères de la planète), 2 500 oiseaux, 950 amphibiens, environ 2 000 reptiles, 5 000 espèces de poissons d’eau douce et de multiples invertébrés.
Le continent abrite également 8 des 36 points chauds de la biodiversité mondiale, 373 zones humides d’importance internationale (sites Ramsar), plus de 1 255 zones importantes pour les oiseaux et la biodiversité et 1966 zones clés pour la biodiversité (Key Biodiversity Areas en anglais).
En sus, l’Afrique abrite 20 % des forêts tropicales mondiales, en particulier le bassin du Congo, avec une densité de 240 millions d’hectares, qui s’étendent sur huit pays africains (RD Congo, Congo, Gabon, Cameroun, le Gabon, la Centrafrique, le Rwanda et le Burundi) et qui assurent la subsistance de 100 millions de personnes dans la région, y compris les communautés autochtones.
Ces données, contenues dans une étude publiée le 9 janvier 2025, dans la revue scientifique The Royal Society, renseignent à suffisance sur la riche diversité faunique et floristique de l’Afrique.
Cette biodiversité exceptionnelle africaine, dont la préservation contribuerait à la protection de 30 % de la planète à l’horizon 2030, conformément aux objectifs 30×30 du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming Montréal, reste sujette à de nombreuses menaces documentées par cette étude : la croissance démographique, avec une population africaine qui devrait quadrupler d’ici à 2100 ; la surexploitation des ressources naturelles due à la pêche, à la chasse et à la récolte de plantes et d’animaux.

À cela, s’ajoutent le commerce illégal d’espèces sauvages, avec environ 1,6 et 4,6 millions de tonnes de viande de brousse extraites chaque année seulement en Afrique centrale ; le changement climatique qui exacerbe d’autres menaces en modifiant les habitats et la répartition des espèces ; la pollution, due au ruissellement agricole, à l’utilisation de pesticides, à l’exploitation minière artisanale, aux activités industrielles et à l’urbanisation, contribue à la dégradation des écosystèmes d’eau douce et nuit à la faune et à la flore, etc.
En réponse à ces menaces anthropiques, les nations africaines ont élaboré d’ambitieuses politiques de conservation pour pouvoir mieux gérer et garantir une meilleure protection de la biodiversité africaine à l’horizon 2030. Mais, selon le biologiste de la conservation Simmy Bezeng, Chercheur du College of agriculture and environmental sciences de l’University of South Africa à Johannesburg, « la faiblesse de la mise en œuvre, la corruption et l’insuffisance des financements entravent les progrès » de ces politiques, dit-il par courriel à Mongabay.
Dans le cadre de cette étude, les co-dirigeants Bezeng et Vincent Savolainen, Directeur du Georgina Mace Centre for the Living Planet en Angleterre, ont contacté 49 conservateurs et chercheurs dans plus de 80 % des pays africains, pour recueillir leurs avis sur les principaux défis qui freinent la réalisation de la conservation de la biodiversité sur le continent. Ceux-ci bénéficient d’une longue expérience dans le domaine de la conservation en Afrique, allant de la recherche, du renforcement des capacités, des actions de conservation au niveau des espèces et des paysages, au plaidoyer, à la politique et à la prise de décision.
La collecte, effectuée en octobre 2023, a permis de recueillir 25 avis, et leurs auteurs sont considérés comme auteurs de l’étude au même titre que Bezeng et Savolainen. Les auteurs principaux ont recensé quelques recommandations issues des avis, qui sont essentielles, selon eux, pour aborder efficacement les questions de protection de la biodiversité en Afrique et pour s’aligner sur l’ambitieux objectif 30×30 du Cadre mondial de la biodiversité.

Solutions africaines pour l’objectif 30×30 de la CBD
Les conservationnistes proposent d’accélérer la collecte, le partage et l’analyse des données pour une politique et une prise de décision éclairées ; d’innover en matière d’éducation et de renforcement des capacités pour les générations futures ; d’améliorer et d’étendre les zones protégées, les réseaux écologiques et les cadres juridiques fondamentaux ; de débloquer des canaux de financement créatifs pour les initiatives de conservation de pointe, et d’intégrer les connaissances indigènes et locales dans des stratégies de conservation avant-gardistes. « Le renforcement des cadres juridiques et la garantie de la transparence dans la gestion des zones protégées permettront d’améliorer les efforts de protection et de progresser vers la réalisation du 30×30 », soutient Bezeng.
Les chercheurs ont identifié des centres régionaux d’excellence en matière de conservation de la biodiversité, qui pourraient soutenir les pays africains dans la mise en œuvre des objectifs de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CBD). Il s’agit de la Commission des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), du Centre de surveillance écologique (CSE), du Centre régional de cartographie des ressources pour le développement (RCMRD), de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) et de l’Institut national sud-africain de la biodiversité (SANBI).
Dans un entretien récemment accordé à Mongabay, Charles Karangwa, Directeur des solutions fondées sur la nature à l’Union internationale pour la conservation de la Nature (UICN), explique que, pour parvenir à l’atteinte de l’objectif 30×30, l’Afrique doit travailler à réduire la perte de ses écosystèmes, et surtout investir dans la conservation-protection et dans la gestion durable de ses écosystèmes à Haute valeur de conservation (HVC), en intégrant les communautés dans ses politiques de conservation.
Cependant, l’Afrique reste confrontée à d’énormes difficultés, en l’occurrence celles liées à la mobilisation des financements pour la mise en œuvre de ces politiques, dans un contexte marqué de dissensions permanentes entre les pays membres de la CBD sur les mécanismes de mobilisation des ressources. Karangwa pense qu’à échelle globale, le manque de consensus peut constituer un effet néfaste sur l’atteinte des objectifs de la CDB. Mais, surtout, il invite les pays africains à intégrer les financements internes pour la protection de la biodiversité dans leurs budgets nationaux, afin de ne plus dépendre exclusivement des subsides extérieurs.

L’un des revers de cette hyper dépendance de l’Afrique aux financements extérieurs, est le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, annoncé en janvier dernier, par le président Donald Trump, qui devrait induire une suspension de certains financements américains en faveur de la protection de la biodiversité en Afrique. Malgré ce contexte préoccupant pour l’Afrique, le biologiste Aristide Kamla Takoukam, Coordonnateur de l’ONG camerounaise African marine mammal conservation organization (AMMCO), reste optimiste. « Les États-Unis regorgent un nombre important de donateurs philanthropes qui se soucient de la protection de la biodiversité en Afrique, et qui apportent un soutien considérable à la conservation des espèces marines en Afrique », a-t-il dit à Mongabay par téléphone.
Au demeurant, Kamla soutient que pour atteindre la cible de protection de 30 % de la planète d’ici à 2030, les pays africains devraient renforcer leurs cadres juridiques et institutionnels (les lois et politiques) sur les écosystèmes marins et côtiers. « La plupart des pays africains ont tendance à mettre beaucoup plus l’accent sur les écosystèmes terrestres et négligent les écosystèmes marins, les laissent en proie aux facteurs dégradants tels que la pêche illégale. Les pays africains devraient créer plus d’aires marines protégées et les gérer de façon durable », propose le biologiste camerounais, qui ajoute que des actions fortes doivent être prises contre la pollution plastique, qui empoisonne les océans et affecte la santé des sols africains.

Savoirs traditionnels conciliés aux connaissances scientifiques
Pour sa part, Professeure Beth Kaplin, chercheuse principale au Centre d’excellence en biodiversité et gestion des ressources naturelles de l’université du Rwanda, et co-auteur de cette étude, propose une conservation conviviale comme modèle de conservation alternatif.
« Le cadrage du 30×30 est un objectif global, il y a besoin d’examiner comment ces objectifs mondiaux se traduisent aux niveaux local et national, en particulier pour les communautés qui dépendent de la nature », affirme-t-elle à Mongabay.
Selon elle, trouver une alternative en laissant la nature s’épanouir librement avec les gens, contrairement à la conservation traditionnelle, et en adoptant mesures de conservation efficace par zone, reste indispensable pour améliorer l’efficacité des aires protégées existant en Afrique.
Sur le plan national, Prof. Kaplin mise sur la contribution aux efforts déjà déployés à travers une initiative pour identifier, documenter et protéger les différentes espèces d’arbres les plus anciens et les plus importants du point de vue écologique du Rwanda. L’initiative « Legacy Trees » (Heritage d’arbres) lancée le 20 février 2025 focalise notamment sur les espèces d’arbres indigènes ayant survécu dans la nature, malgré l’expansion agricole, les établissements humains et le développement urbain.
« Ces arbres jouent un rôle crucial, non seulement dans la séquestration du carbone, mais aussi dans la conservation de la biodiversité et la préservation du patrimoine culturel », affirme Prof. Kaplin dans une interview exclusive.
En dehors de la mobilisation des communautés locales dans les efforts de conservation, l’initiative sous la houlette du Prof. Kaplin mise, non seulement sur la promotion de l’écotourisme, mais aussi dans l’appui des efforts de conservation communautaire.
En combinant la recherche scientifique aux connaissances traditionnelles, Prof. Kaplin mise sur amélioration des efforts la conservation de la biodiversité, la connexion homme-nature et la préservation des sources de semences d’arbres indigènes.
« Cette initiative s’inscrit dans la stratégie visant à atteindre l’objectif 30×30 pour la conservation de la biodiversité », dit-elle.
Image de bannière : L’Afrique abrite 1 100 espèces de mammifères dont beaucoup sont victimes de braconnage ; ce qui compromet leur survie. Image par Mongabay.
Citation :
Bezeng Bezeng, S., Ameka, G., Angui, C. M. V. & al. (2025). An African perspective to biodiversity conservation in the twenty-first century, Phil. Trans. R. Soc. B38020230443. https://doi.org/10.1098/rstb.2023.0443
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