- La maladie de perte de tissus chez les coraux durs (Stony Coral Tissue Loss Disease ou SCTLD) se propage rapidement en causant des taux de mortalité élevés dans les Caraïbes.
- Bien qu’efficace, le traitement par antibiotiques présente un enjeu crucial de santé en raison du développement de la résistance aux antimicrobiens qui, à son tour, expose les organismes vivants à des menaces.
- L’usage de la chlorine a une efficacité relative, mais n’est pas faisable sur le long terme et à grande échelle.
- L’évitement des pollutions des eaux et le maintien de l’équilibre des écosystèmes, aujourd’hui fortement perturbés par endroits sur la planète, constitueraient la meilleure stratégie de mettre les coraux à l’abri des maladies.
ANTANANARIVO, Madagascar — Il est vital de veiller à la bonne santé des océans et des mers. Une équipe de chercheurs internationale a exploré une alternative au traitement de la maladie de perte de tissus chez les coraux durs (Stony Coral Tissue Loss Disease ou SCTLD), qui se propage rapidement en causant des taux de mortalité élevés dans les Caraïbes.
Dans leur étude publiée en novembre 2024 dans Frontiers in Marine Science, les chercheurs innovent en privilégiant le recours à l’usage de la chlorine ou chlore, un élément chimique couramment utilisé pour l’entretien de la maison et des piscines, afin d’en débarrasser des germes à même d’affecter les êtres vivants, y compris les humains.
Ils se sont servis d’un mélange de chlorine avec du beurre de cacao qu’ils ont appliqué sur les coraux malades. L’hypochlorite de sodium – eau de Javel dans son appellation courante, un antiseptique familier – est le principe actif contenu dans la mixture, selon la précision de Dr Greta Aeby de l’université du Qatar, la doyenne des auteurs.
Au bout d’environ 80 jours, le taux de perte de tissus chez les coraux durs, traités de cette manière, a été de 17,6 %. Pour la même période, mais avec des antibiotiques comme l’amoxicilline, le taux de perte a tourné autour de 1,7 %. Les antimicrobiens, dont l’usage est courant, sont donc nettement plus efficaces que l’eau de Javel. L’expertise a été réalisée sur des coraux infectés du Horseshoe Reef, près des Iles Vierges britanniques.
Mais l’efficacité avérée des antibiotiques fait tiquer les chercheurs. A la longue, le traitement les intégrant en rajoute aux pollutions marines qui sont dangereuses pour les organismes vivants à cause du développement de la résistance aux antimicrobiens ou RAM. « Les crabes, les poissons et même les humains, dans le même environnement, encourent le haut risque d’attraper des bactéries qui résistent aux antibiotiques », a expliqué Aeby.

Chaque année, la RAM est responsable de 1,27 million de décès dans le monde, dont 5 400 à Madagascar, qui résultent en partie de l’usage excessif et irrationnel des antibiotiques, notamment par l’automédication, d’après les données rendues publiques lors de la Semaine mondiale de la sensibilisation aux antimicrobiens, du 18 au 24 novembre 2024.
C’est justement pour trouver une alternative aux effets indésirables des antibiotiques, qui représentent un enjeu crucial de santé, que les chercheurs ont tenté d’innover le traitement de la SCTLD. De plus, le concept One Health tant prôné aujourd’hui met en avant la nécessité d’unir les efforts dans le traitement des interactions complexes entre la santé humaine, la santé animale et celle des écosystèmes, pour bâtir un avenir plus sain et plus durable pour tous.
Avantages de la combinaison chlorine-beurre
La combinaison chlorine-beurre de cacao présente quelques avantages aux yeux des chercheurs. Elle se dégrade facilement, et cet élément chimique se désactive naturellement en peu de jours, tandis que les antibiotiques affectent grandement l’environnement.
Le mélange aussi est facile à produire, les ingrédients nécessaires étant disponibles auprès des quincailleries et d’autres fournisseurs agréés. La production de pâte d’antibiotiques est ennuyeuse et trop coûteuse pour les conservationnistes faiblement dotés de moyens financiers à la lumière de l’expérience des îles des Caraïbes rapportée par Argel Horton. Cette biologiste marine, auprès du ministère de l’Environnement, des ressources naturelles et du changement climatique des Iles Vierges britanniques, est co-auteure de l’étude citée plus haut.
Les scientifiques comptent désormais le traitement de la SCTLD par la chlorine parmi les méthodes susceptibles de stopper la propagation de cette maladie. Mais ils reconnaissent aussi les limites de l’efficacité relative de leur trouvaille.
Ils ont dit que ce ne sont pas tous les coraux qui ont répondu de la même manière au traitement. De nombreuses espèces de coraux, dans différentes régions, n’ont pas été non plus incluses dans l’étude. De la sorte, ils espèrent que l’efficacité des différentes méthodes de traitement sera testée ailleurs à l’avenir.

Selon Aeby, le traitement de la maladie aide à gérer celle-ci, mais ne l’élimine pas des populations de coraux. Les traitements directs peuvent réduire la prévalence des agents pathogènes dans l’environnement. En revanche, le traitement des colonies de coraux dans la nature et par l’intervention humaine, comme cela a été le cas pour le besoin de l’étude, n’est pas faisable sur le long terme et à grande échelle.
Aeby a remarqué que la meilleure stratégie serait d’œuvrer pour l’amélioration des conditions environnementales de façon à permettre aux coraux d’avoir la chance de combattre la maladie par eux-mêmes. Cela consiste à éviter, autant que possible, les pollutions des eaux et à maintenir l’équilibre des écosystèmes, aujourd’hui fortement perturbés par endroits sur la planète.
Dr Mahery Randrianarivo, biologiste marin travaillant pour le Fonds mondial pour la nature (WWF) à Madagascar et membre du Réseau Récifs Coralliens du pays, abonde dans le même sens. « Les maladies naturelles, provenant du milieu naturel, existent et celles-ci sont aggravées par les pollutions dues aux actions anthropiques », a-t-il expliqué à Mongabay à son bureau à Antananarivo.
« Les déversements industriels et tutti quanti modifient la composition de la mer qui se répercutent sur la physiologie des coraux, d’où l’apparition des maladies consécutivement aux perturbations des micro-organismes comme les bactéries, les virus, les micro-algues à l’intérieur des structures calcaires », a-t-il indiqué.
Mieux gérer les problèmes environnementaux
Les maladies se manifestent par l’apparition des bandes blanches, jaunes, rouges… sur les tissus des coraux. Le scientifique malgache a quand même rassuré que les maladies sont de rare occurrence dans les mers autour de Madagascar, dans l’océan Indien.
José Randrianandrasana, doctorant en écologie récifale à l’Institut halieutique et des sciences marines de l’université de Toliara, Sud-Ouest malgache, table sur un autre aspect. « Les pays tropicaux plus développés investissent depuis des décennies dans la recherche sur les maladies coralliennes, permettant la mise au point de traitements comme ceux cités dans l’étude », a-t-il dit à Mongabay dans une interview en ligne.

Mais le jeune chercheur malgache préfère plutôt s’appesantir sur les problèmes globaux et majeurs, à Madagascar, qui sont liés à la surpêche affectant l’équilibre écologique tout en modifiant l’ensemble des réseaux trophiques des écosystèmes et la pratique de pêche destructive qui fragilise et détériore l’écosystème.
Il pointe aussi un doigt accusateur sur la sédimentation accentuée par l’érosion massive des sols causée par la déforestation et aux déversements des sédiments dans le platier récifal lors de la période de crue et des cyclones. « A ces menaces, s’ajoutent également les effets persistants du changement climatique, en raison de l’acidification et du réchauffement des océans provoquant ainsi un blanchissement de masse des coraux », a-t-il remarqué.
Il recommande à des pays comme le sien de gérer les problèmes environnementaux, qui compliquent l’état de santé des récifs. « En raison du manque d’interventions de préservation, les facteurs décrits précédemment augmentent la vulnérabilité des récifs [malgaches] », a-t-il dit. « Les retards cumulés de Madagascar – au niveau des politiques, des moyens de recherche et de l’expertise – soulignent l’urgence de renforcer les initiatives de conservation et de restauration des récifs », a-t-il ajouté.
Ces défaillances ne sont pas uniquement celles de l’île mais elles sont aussi observées chez d’autres pays riverains des océans.
Selon Randrianandrasana, les pays qui connaissent la même situation de limite pourraient envisager des partenariats pour combler les lacunes ainsi constatées et investir dans une gestion intégrée des récifs, afin d’accélérer l’innovation en matière de protection contre les maladies coralliennes.
Image de bannière : Des récifs coralliens de l’île de Komodo en Indonésie. Image par Mongabay.
Citations :
Forrester, G. E, Arton, L, Horton, A. and Aeby, G. (2024). The relative effectiveness of chlorine and antibiotic treatments for stony coral tissue loss disease. Front. Mar. Sci. 11:1465173. doi: 10.3389/fmars.2024.1465173.
Nomenisoa, A.L.D., Todinanahary, G., Edwin, H.Z., Razakarisoa, T., Israel, J.B., Raseta, S., Jaonalison, H., Mahafina, J. & Eeckhaut, I. (2024). Remote sensing of coral reef habitats in Madagascar using Sentinel-2 satellite images. Western Indian Ocean Journal of Marine Science 23(2): 41-56. doi: 10.4314/wiojms. v23i2.4
Destruction des coraux pour la construction de toilettes : entretien avec un batelier malgache
Feedback : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.