- Des feux destructeurs des milieux naturels ont été signalés dans tout Madagascar, ces temps-ci, malgré les mesures préventives en place.
- Leur récurrence est favorisée par de fortes chaleurs qui marquent elles-mêmes la séquence sèche allongée sur l’ensemble de l’île.
- Les feux ne sont pas seulement des catastrophes écologiques ; ils détruisent aussi des vies humaines et des moyens de subsistance.
- Les feux amplifieraient encore davantage à l’avenir les phénomènes de désertification et de dégradation des terres à Madagascar, dont treize des vingt-trois régions y sont déjà sujettes pour l’heure.
ANTANANARIVO, Madagascar — Les pouvoirs publics, les organisations de la société civile, les forces de l’ordre, les simples citoyens et bien d’autres parties prenantes font des pieds et des mains pour éteindre les feux à Madagascar. Des incendies ravageurs se déclarent tous les jours sur l’étendue de l’île rouge. Toutes les régions connaissent, depuis des mois, de fortes chaleurs similaires à celles de l’année précédente, marquée par le phénomène El Niño.
Les forêts, y compris des parcs naturels, et les savanes avec les espèces sauvages qui les peuplent, figurent en tête de liste des victimes potentielles. Mongabay a tenté d’obtenir auprès des autorités le bilan provisoire des dégâts, qui sont sûrement lourds, au regard de l’ampleur de chaque épisode en cette période de séquence sèche, d’avril à janvier, dans le contexte actuel de changement climatique. Mais l’évaluation provisoire des pertes n’est pas encore disponible.
La situation est préoccupante et les consternations subséquentes sont généralisées, vu les différentes réactions en ligne et les informations diffusées par les médias. Presque à chaque levée du soleil, les destructions causées par des feux d’envergure, signalés à divers endroits, inondent les réseaux sociaux.
Parallèlement, le thermomètre affiche des températures élevées, oscillant entre 14°C et 27°C le matin et entre 29°C et 37°C dans l’après-midi, pour la journée du 24 décembre. Selon les prévisions météorologiques aussi, les régions dans le Nord-Est et la partie orientale des hautes terres de l’île pourraient s’attendre à un temps sec et à une chaleur extrême du 24 au 30 décembre. Les orages seraient au rendez-vous dans d’autres régions. L’ensemble du pays suffoque dans l’attente de la saison pluvieuse qui tarde à débuter.
Appels à la mobilisation
Les appels à la mobilisation pour prévenir les incendies de forêts se sont multipliés ces dernières semaines. « Face à la recrudescence des incendies de forêts et de brousse, il est urgent de renforcer les actions de sensibilisation et de prévention auprès de l’ensemble des parties prenantes et de la population », avertit le colonel Aritiana Fabien Faly, Coordonnateur général des projets auprès du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes (BNGRC). Celui-ci s’est adressé, via WhatApp, à des organisations œuvrant pour la durabilité environnementale à Madagascar.
« Nous vous invitons à relayer ce message via vos canaux de communication habituels (réunions, affichages, publications, etc.), afin de sensibiliser sur les conséquences dévastatrices des incendies sur notre environnement, notre biodiversité et notre économie ; d’informer sur les mesures à prendre pour prévenir les départs de feu et de motiver chacun à adopter des comportements responsables. Nous sommes convaincus que votre engagement contribuera grandement à la réussite de cette campagne de prévention », a ajouté l’officier supérieur de l’armée malgache.
Le message auquel le responsable fait référence émane du ministère de l’Environnement et du Développement Durable (MEDD) qui a, depuis 2008, mis en service le satellite Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer (MODIS) pour une meilleure prévention des feux de brousse. Le système est suppléé par le Visible Infrared Imaging Radiometer Suite (VIIRS), officiellement lancé en août 2015. L’exploitation des données ainsi obtenues revient au Centre de coordination opérationnel feux, dirigé par le BNGRC. Elles sont aussi accessibles au public.
Malgré tout, les feux causent, de temps à autre, des situations dramatiques. Le 12 novembre dernier, un étranger du nom de Franck Papagiorgiou a perdu la vie en tentant d’éteindre un incendie dévastateur dans la forêt qu’il a protégée depuis des années. La victime qui a élu domicile à Ambatoloana, le chef-lieu d’une commune rurale situé à une soixantaine de kilomètres à l’Est d’Antananarivo, s’est consacrée à la préservation de la biodiversité unique de Madagascar, grâce à des actions de reboisement et de tourisme durable.
« Il a perdu la vie en héros. Cet événement bouleversant rappelle que face aux feux, même les plus préparés restent impuissants. Nous demandons qu’une enquête sérieuse soit menée pour déterminer les circonstances et les responsables de ce feu aux conséquences dramatiques », ont déploré plus tard ses amis dans un communiqué diffusé sur Internet. Ceux-ci regrettent que les feux de forêt restent un problème très grave à Madagascar.
« Ces feux ne sont pas seulement des catastrophes écologiques ; ils détruisent aussi des vies humaines et des moyens de subsistance. Il est urgent d’intensifier les actions de prévention et de lutte active », a dit le même communiqué. Cette dernière a rappelé que, pour lutter contre ce fléau, un effort collectif réunissant plus d’une cinquantaine d’organisations a abouti, en 2021, à l’élaboration de douze mesures proposées, qui regroupent quatre axes stratégiques : prévention, sensibilisation, intervention et résilience. Un appel à leur mise en œuvre a été entendu à la suite du drame d’Ambatoloana.
Risques de perte du couvert forestier du pays
Le 8 novembre dernier, le MEDD, en collaboration avec le BNGRC, a présenté le plan de contingence sur les feux de brousse et les feux de forêts. L’initiative devrait être suivie d’effets immédiats face à l’urgence du moment. Ceci, en attendant la mise en place officielle d’un comité interministériel feux en cours de création depuis 2023. « Le texte régissant cette structure nouvelle sera soumis à l’approbation du conseil du gouvernement, l’année prochaine », a dit, à Mongabay, Nivo Malalatiana Randriambao, directrice de reboisement et de la gestion des paysages forestiers auprès du MEDD.
Selon l’historien et anthropologue Jean-Pierre Domenichini, membre de l’Académie malgache, les habitants de Madagascar ont une longue tradition pyromane. Le recours aux feux a toujours jalonné l’histoire du pays. D’autres chercheurs avancent que les feux peuvent avoir plusieurs sources : feux pastoraux, chasse, feux d’exploitation, feux d’origine criminelle, feux d’origine naturelle, feux de cultures, feux sauvages, feux de pacages et de pâturages, feux de charbon et feux inconnus.
La législation du pays est sévère à l’égard du feu. Les délinquants peuvent encourir jusqu’à 10 ans d’emprisonnement ferme plus une lourde amende. Cette année, les agents du MEDD ont arrêté 74 individus, dont certains en flagrant délit d’incendie. Quarante-huit des présumés sont en détention préventive en attendant leur procès.
La récurrence des feux à Madagascar pourrait accélérer la disparition de son couvert forestier et la perte de sa biodiversité en dépit des engagements nationaux vis-à-vis des conventions et traités internationaux en matière environnementale. L’île abrite près de 5 % de la biodiversité mondiale. Mais les fléaux comme les feux mettent en péril la durabilité de sa richesse faunistique et floristique.
En 2015, des chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ont affirmé que le pays pourrait, vers la fin du siècle, perdre deux-tiers de son couvert forestier, estimé à un peu plus de 9 millions d’hectares. Selon une autre prévision, 56 % des espèces présentes sur l’île pourraient disparaître d’ici à 2080. En outre, treize de ses vingt-trois régions sont aujourd’hui en proie à la dégradation des terres et à la désertification.
Ces phénomènes pourraient s’amplifier encore davantage à l’avenir, si la déforestation massive sur l’île, aggravée par les feux et les autres formes de pressions, continue. D’après Herinjanahary Ralaiarinoro, chef de service de l’hydrologie à la direction générale de la Météorologie, la perturbation du cycle de l’eau, de plus en plus ressentie sur l’ensemble du territoire, est imputable au déboisement. « La déforestation entraîne la dégradation des bassins-versants qui alimentent les nappes phréatiques, elles-mêmes en connexion avec les différentes sources d’eau et l’humidité de l’atmosphère », dit-il.
Image de bannière : Des individus bataillent pour éteindre le feu qui détruit la réserve spéciale de Manombo, dans le Sud-Est de Madagascar, la veille de la Nativité. Image de Pr Jonah Ratsimbazafy avec son aimable autorisation.
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.