- Transport Bois Négoce International (TBNI), une entreprise forestière chinoise, a construit de nouvelles routes en vue d’abattre des arbres dans le cadre d’une concession qui comprend une forêt jusqu’alors non exploitée dans le nord-est du Gabon.
- Les habitants du village de Massaha, situé à la frontière nord de cette forêt, gèrent la chasse et l’utilisation de cette dernière depuis 2019. Ils ont officiellement demandé le reclassement de la forêt en aire protégée en août 2020.
- Le Code forestier en République gabonaise mentionne de manière explicite la possibilité pour les communautés locales de demander un reclassement des forêts sensibles en aires protégées, et les villageois attendent avec impatience une réponse du gouvernement avant que TBNI n’avance davantage.
Au Gabon, une entreprise forestière a construit de nouvelles routes pour exploiter une forêt située dans le nord-est du pays, dans la province de l’Ogooué-Ivindo. Les villageois se sont adressés au gouvernement en août dernier afin que cette précieuse forêt soit reclassée en aire protégée, et se disent inquiets de l’avancée rapide de l’entreprise alors qu’ils attendent une réponse officielle.
Les communautés rurales de cette région sont tributaires des forêts locales pour la pêche, la chasse et la cueillette. Ces moyens de subsistance et les espèces sauvages dont elles dépendent sont de plus en plus menacées par l’exploitation minière, l’exploitation forestière intensive, le braconnage pour le marché illégal d’ivoire et la chasse commerciale non réglementée de viande de brousse. Durant les dix dernières années, une augmentation massive de l’exploitation forestière par des entreprises étrangères – environ 40 entreprises disposent de concessions d’exploitation couvrant la majeure partie de cette zone – et la construction de routes qui en découle a permis l’accès à des forêts autrefois intactes, détruisant des écosystèmes locaux.
Pour faire face à ce problème, trois villages de l’Ogooué-Ivindo ont pris des mesures afin de protéger l’environnement et leur mode de vie. Les villages de Latta, Ebessi et Massaha ont mis en place des plans de gestion pour réguler la chasse et délimiter des réserves protégées officieuses dans leurs forêts.
Village de Massaha : la première communauté gabonaise à s’adresser au gouvernement pour faire de sa forêt une aire protégée
Face à l’expansion rapide de l’exploitation forestière, le village de Massaha, situé à 56 kilomètres de Makokou, chef-lieu provincial, a décidé d’aller plus loin. Une partie de la forêt dont les villageois dépendent fait également partie de la vaste concession d’exploitation forestière de 41 000 hectares (appelée UFG-2, Unités forestières de gestion 2) détenue par Transport Bois Négoce International (TBNI), une entreprise forestière chinoise. TBNI a fait l’objet d’une enquête de l’Environmental Investigation Agency (EIA) en 2019, qui a révélé son implication dans des affaires de corruption, de prix de transfert et d’autres pratiques frauduleuses afin de se soustraire aux impôts et de maximiser les profits.
Massaha a soumis une demande officielle pour que 11 300 hectares de la concession UFG-2 soient reclassés en aire protégée avec une gestion durable de la chasse.
Une application pionnière du : Code forestier en République gabonaise : Les articles 55 et 67 dudit code mentionnent qu’une aire déjà été attribuée à l’exploitation forestière peut être déclassée lorsqu’elle présente « une forte richesse biologique, une haute valeur patrimoniale ou de forts risques environnementaux ». Les villageois de Massaha ont demandé le déclassement de 11 300 ha de la concession d’exploitation Unité forestière de gestion 2 conformément à l’article 2 du Décret n°001032-PE-MEFEPEPN du 1er décembre 2004, qui mentionne qu’un tel processus peut être initié à la demande expresse d’une communauté locale. |
Selon le Code forestier en République gabonaise, les forêts faisant déjà partie d’une concession d’exploitation peuvent être déclassées s’il est prouvé qu’elles présentent « une forte richesse biologique, une haute valeur patrimoniale ou de forts risques environnementaux ». Le Code, qui mentionne la procédure de reclassement, dispose de manière explicite que le processus peut être initié « à la demande expresse d’une communauté locale. » C’est la première fois qu’une communauté rurale gabonaise lance un tel appel.
La forêt située dans la zone de concession au sud de la rivière Liboumba n’a jamais été exploitée. Elle abrite notamment des éléphants des forêts (Loxodonta cyclotis), des chimpanzés, des gorilles, des léopards, des pangolins, ainsi qu’un grand nombre d’arbres centenaires, parmi lesquels des espèces protégées telles que le moabi (Baillonella toxisperma) et le kevazingo (Guibourtia tessmannii).
Les villageois utilisent leur forêt pour la chasse, la pêche et l’agriculture. De plus, cette forêt renferme des villages ancestraux et des sites rituels d’une richesse culturelle inestimable. Serge Ekazama-Koto, un chercheur local, explique les enjeux pour sa communauté : « Les activités d’exploitation de TBNI dans cette zone détruiront inévitablement les fondements de notre village. Nous ne voulons pas être un village sans racines ni histoire ; nos ancêtres ont fondé ce village, leurs tombes s’y trouvent, et la forêt est sacrée pour nous. »
Deux nouvelles routes forestières déjà ouvertes, signe d’une exploitation imminente par TBNI
Depuis 2018, l’exploitation forestière est autorisée à condition que les entreprises aient un plan de protection de la faune validé par l’État, élaboré avec l’ensemble des parties prenantes et facilement accessibles à toutes les personnes concernées. Alors que son plan de protection de la faune est encore à l’étude, l’entreprise a été autorisée à poursuivre l’exploitation forestière. Junior Peme, responsable de la faune pour TBNI dans cette région, a expliqué à Mongabay que des caméras-piège sont utilisées afin de déterminer la diversité des espèces dans ce lieu et les incidences de l’activité humaine sur les mammifères de moyenne et grande taille.
L’intégrité environnementale de l’entreprise a été remise en cause par le village de Latta (dont la forêt se trouve dans une section de la concession UFG-2 déjà exploitée par TBNI). Des patrouilles communautaires y ont trouvé des preuves de chasse au collet (illégale au Gabon) pratiquée par des collaborateurs de l’entreprise dans l’aire de gestion autoproclamée du village, où la chasse est interdite aux personnes étrangères. Le plan de gestion du village n’est pas juridiquement contraignant, mais a été reconnu par les autorités provinciales et TBNI.
Junior Peme n’a pas souhaité commenter la demande de reclassement de Massaha, mais TBNI a déjà effectué un inventaire forestier dans une section de la concession d’exploitation forestière située dans l’aire protégée proposée. En février 2021, l’entreprise y a construit deux nouvelles routes forestières, allant de la route nationale qui traverse le village jusqu’aux abords de la rive nord de la rivière Liboumba. L’exploitation forestière pourrait débuter à tout moment, menaçant la demande de reclassement avant même qu’elle n’ait été officiellement prise en considération, le tout sans que les résultats des inventaires de TBNI sur la faune et la flore ne soient disponibles.
Massaha attend la réponse des autorités nationales
Le 6 août 2020, le village a soumis sa demande au moyen de courriers officiels adressés au gouverneur de la province de l’Ogooué-Ivindo, au directeur provincial des Eaux et Forêts et à TBNI. Le directeur provincial a officiellement répondu à la demande le 19 août, et a fait suivre le document à l’autorité ministérielle nationale le jour suivant. Par la suite, les chefs de village l’ont rencontré à plusieurs reprises. Des échanges de correspondance entre les différentes entités s’en sont suivis, mais aucune action concrète n’a encore été prise. En parallèle, les préparatifs pour l’exploitation forestière de l’aire protégée proposée avancent rapidement.
Le directeur provincial des Eaux et Forêts n’était pas disponible pour commenter cette affaire, ce dernier étant actuellement hors de la province pour affaires. Les villageois sont toutefois convaincus que leur demande trouvera un écho favorable au sein du gouvernement. En mai 2020, Lee White, ministre des Eaux et Forêts, de la Mer, de l’Environnement, chargé du Plan Climat et du Plan d’Affectation des terres au Gabon a déclaré que le pays doit « s’approprier » l’initiative visant à protéger 30 % des zones terrestres et marines d’ici 2030, proposée dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique.
Lors d’une réunion qui s’est tenue à Massaha le 20 février 2021, les villageois ont réaffirmé leur détermination à voir leur forêt reclassée en aire protégée. Le 3 mars, ils ont à nouveau écrit au directeur provincial des Eaux et Forêts afin d’obtenir des informations sur le statut de leur demande.
Ils n’ont pas encore reçu de réponse, mais des employés de TBNI sont arrivés depuis lors et se sont désormais installés dans le village.
Le 30 mars, le village a adressé une lettre au ministre national, dans laquelle il déclare se réserver le droit d’entreprendre de multiples actions si une réponse n’est pas donnée le plus rapidement possible.
Benjamin Evine-Binet est le directeur de Ivindo FM, une station de radio communautaire à Makokou. Madeleine Barois a contribué à l’élaboration de cet article.
Image de bannière : Des membres de la communauté de Massaha lors d’une réunion sur la gestion de la chasse. Image fournie par Graden Froese.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/03/logging-company-moves-into-intact-gabon-forest-as-village-fights-to-save-it/