Ce que réserve cette nouvelle année aux forêts tropicales.
La forêt tropicale de Bornéo, Indonésie. Photos de Rhett Butler
2014 a été une année marquante pour les forêts tropicales humides; des dizaines d’entreprises majeures se sont engagées à éliminer la déforestation de leurs chaînes d’approvisionnement, de nouvelles plateformes ont été lancées pour surveiller les forêts, et une forte baisse de la déforestation de l’Amazonie brésilienne a été enregistrée entre autres faits nouveaux majeurs. Voici un aperçu de ce que 2015 pourrait réserver aux forêts tropicales.
1. Engagements « Zéro déforestation »
Après une adoption rapide des politiques de déforestation zéro par les producteurs, commerçants et acheteurs du secteur de l’huile de palme en 2014, 2015 pourrait se focaliser sur l’exécution de ces politiques. Les derniers obstacles, tels que le géant de pâte et papier Asia Pacific Resources Limited International (APRIL), verront leurs chaînes d’approvisionnement multiplier les demandes pour arrêter la conversion des forêts naturelles.
Parmi les principales questions, il reste à savoir comment les groupes civils répondront aux inévitables faux pas des entreprises. La divulgation complète de bévues non intentionnelles connaîtra davantage de réponses constructives que les violations ou tentatives délibérées de mentir. Les activistes n’hésiteront pas à critiquer ce qu’ils perçoivent comme un « écoblanchiment ».
Il faudra aussi voir si les entreprises commenceront à exiger une création de politiques gouvernementales soutenant leurs engagements. « Uniformiser les règles du jeu » pour ces précurseurs peut inclure des mécanismes d’échange de terrains qui permettent aux entreprises d’échanger des terres boisées de leurs concessions contre des terres non boisées ailleurs, d’accéder au crédit et autres avantages financiers, et des mesures renforcées pour faire appliquer les lois environnementales. La promesse de la Kadin – quatre entreprises ayant exhorté le gouvernement indonésien à soutenir les politiques pour la réduction de la déforestation et de la destruction des tourbières – peut devenir un modèle.
2. Les engagements pour la forêt de Jokowi
L’Indonésie restera sous les projecteurs en 2015, avec le nouveau président Joko Widodo, mieux connu sous le nom de Jokowi, prêt à relever le défi de la réforme de l’industrie forestière. On devrait assister à un examen plus approfondi des concessions de permis, en particulier dans les régions des tourbières, ainsi qu’à une répression de la corruption liée aux forêts. Au sein de la bureaucratie, la dynamique du ministère des Forêts et du ministère de l’Environnement, récemment fusionnés, est très incertaine. La nouvelle institution va-t-elle favoriser un éloignement des pratiques habituelles en matière de gestion des forêts ? Et comment cela va-t-il fonctionner avec l’agence REDD+ chargée de créer des mécanismes pour la conversion basée sur les performances ?
Autres secteurs à surveiller également en Indonésie en 2015 : les producteurs d’huile de palme de deuxième ou de troisième rang qui ont bien évité la pression des sociétés civiles en faveur de pratiques moins préjudiciables ; les mandats du gouvernement pour les biocarburants à base d’huile de palme ; le projet de Reconnaissance et de vérification des droits (PPH), visant à vérifier les droits de propriété contestés de 66,3 millions d’hectares de territoires forestiers avant la fin de l’année ; les programmes provinciaux pour endiguer la déforestation, notamment le projet pilote dans le Kalimantan central sous l’égide du Fonds Governors’ Climate and Forests ; et les avancées concernant la révision du plan spatial d’Aceh.
3. Que se passe-t-il dans l’Amazonie brésilienne ?
Les données du gouvernement brésilien montrent que la déforestation de l’Amazonie brésilienne a repris sa trajectoire à la baisse pendant les 12 mois qui se sont terminés le 31 juillet 2014, mais des signes inquiétants suggèrent que les progrès pourraient ne pas durer. Des données fournies par Imazon, une ONG brésilienne indiquent que la déforestation depuis fin juillet est bien plus rapide que le taux enregistré plus tôt dans l’année. D’un autre côté, les amendements proposés permettraient l’ouverture de territoires protégés et indigènes à l’exploitation minière et à l’extraction de ressources énergétiques. Finalement, la sénatrice Katia Abreu, que les défenseurs de l’environnement appellent « la Reine de la tronçonneuse » et « Mademoiselle déforestation » en raison de son soutien à l’agro-industrie et de ses incitations à affaiblir les lois environnementales, vient d’être nommée ministre de l’Agriculture.
4. Le sommet de Paris donnera-t-il naissance à un cadre contraignant pour le climat ?
Les discussions sur le climat à la fin de l’année à Paris sont censées établir un nouveau cadre pour aborder les changements climatiques. La réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD+) devrait avoir un rôle central dans cet accord, mais des questions restent sans réponses au sujet de la REDD+, notamment s’il y aura suffisamment de mesures pour protéger la biodiversité, les droits des communautés qui dépendent des forêts et les écosystèmes indigènes tels que les forêts primaires et prairies boisées. Conjointement, les développeurs du projet REDD+ s’inquiètent que le marché du carbone forestier déçoive beaucoup les attentes.
Données de FORMA pour certains pays du Global Forest Watch du WRI
5. Où sont les nouveaux points chauds de déforestation ?
Début 2015, une équipe de chercheurs menée par Matt Hansen de l’Université du Maryland fournira la première mise à jour exhaustive sur la déforestation depuis fin 2013. Les données à court terme du World Resources Institute (WRI, Institut des ressources mondiales) suggèrent que la déforestation pourrait être en hausse dans plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire, la RDC, l’Équateur, Le Ghana, la Guyane, le Pérou, le Suriname et le département de la Guyane française. Ces données seront-elles confirmées ?
2015 va également inaugurer des études et outils qui aideront à quantifier les changements de la couverture forestière, notamment la désagrégation des plantations des forêts naturelles et l’évaluation de la dégradation et de la perte de forêts primaires dues à la coupe sélective.
6. Baisse des prix des matières premières
Le marché des matières premières a fortement chuté fin 2014. Une baisse de 50 pour cent du prix du pétrole a mis à mal le secteur des énergies renouvelables, mais a également affaibli les projets marginaux de développement en énergie, offrant potentiellement un sursis à certaines parties de l’Amazonie où l’exploration allait commencer.
La récession généralisée des prix des matières premières a des implications incertaines pour les forêts tropicales. D’un côté, les prix plus bas réduisent la rentabilité de conversion des forêts humides en plantations pour la production d’huile de palme ou de champs de maïs. D’un autre côté, les entreprises peuvent être moins enclines à adopter des mesures en faveur de l’environnement si elles ont moins de fonds disponibles.
7. Myanmar
Tandis que Myanmar s’ouvre davantage aux investisseurs étrangers en 2015, le destin des forêts du pays est préoccupant. Myanmar est doté de grandes étendues de certaines des forêts les plus menacées d’Asie, que les promoteurs sont désireux d’exploiter et de convertir en plantations. Les défenseurs de l’environnement veulent sauver ces zones et la vie sauvage qu’elles abritent, et espèrent sans faire de bruit que les investisseurs seront plus sensibles aux préoccupations pour l’environnement que les entreprises chinoises qui dominent l’extraction de ressources au Myanmar ces dernières années.
8. Barrages sur l’Amazone
La frénésie brésilienne de construction de barrages continuera probablement en 2015. Le premier événement majeur sera une vente aux enchères pour des projets hydrauliques dans le bassin du Tapajós, l’une des lignes de partage des eaux de l’Amazone brésilienne la moins touchée. Après avoir perdu la bataille pour arrêter le barrage de Belo Monte sur le fleuve Xingu, les groupes indigènes et les environnementalistes se préparent au combat.
9. RSPO et zéro déforestation
L’initiative pour la durabilité de l’industrie de l’huile de palme, à savoir la Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO), est à un tournant décisif. Les engagements de déforestation zéro adoptés par une vingtaine d’entreprises depuis la fin de 2013 vont bien au-delà des normes de l’initiative, pourtant ils incluent tous des critères RSPO au cœur de leurs politiques. Les verts espèrent que la RSPO va rapidement agir pour mettre la déforestation zéro au cœur de ses normes, mais plusieurs membres d’entreprises productrices d’huile de palme hésiteront à adopter ce qu’elles considèrent comme une limite potentielle de leur croissance.
Si la RSPO s’oriente en effet vers la déforestation zéro, elle a un outil critique pour le faire : l’année dernière, les membres ont dû donner les coordonnées GPS de leurs concessions.
2015 verra aussi la fin d’une étude financée par plusieurs entreprises productrices d’huile de palme pour établir un seuil permettant de définir ce qui constitue une forêt riche en carbone. Reste à voir si cette définition sera acceptée par les environnementalistes.
Au-delà de l’industrie de l’huile de palme, les avancées du Forest Stewardship Council avec l’adoption de la motion de l’année dernière incluant « un paysage forestier intact » en tant qu’aire à haute valeur de conservation seront suivies de près par les environnementalistes. Le FSC est l’initiative principale en matière d’écocertification pour le bois et autres produits du bois, mais l’organisation a été critiquée par de nombreux environnementalistes pour ses lacunes dans sa chaîne de responsabilité ainsi que pour avoir autorisé l’exploitation de forêts primaires.
10. Initiatives juridictionnelles
Les efforts infranationaux pour mettre en place des politiques et initiatives respectueuses des forêts vont se poursuivre en 2015. Une attention toute particulière est consacrée aux systèmes de certification juridictionnelle, selon lesquels tous les producteurs d’une municipalité ou état doivent se conformer à des normes environnementales afin d’assurer que toutes les matières premières produites dans sa région sont « sûres » pour les acheteurs internationaux. Des entités au Brésil, en Malaisie et en Indonésie prennent ces programmes en considération.