- Située à environ 10 km de Siguiri centre, à 787km de Conakry, Djilengbè fait partie des localités victimes des répercussions de l’exploitation minière. Dans ce secteur, les conséquences de l’exploitation de l’or sont visibles : plaines agricoles détruites, cours d’eau pollués, biodiversité aquatique menacée.
- Les victimes indexent Guinéan Gold Exploration, une société d’exploitation semi-industrielle de l’or opérant à Tinkolen, localité située à 805 km de Conakry. Elles affirment avoir perdu des hectares de champs cultivables, suite au débordement des eaux bouilleuses et des rejets issus de l’exploitation semi-industrielle.
- Les victimes dénoncent aussi le mercantilisme et la non promptitude de la justice dans le traitement de leurs plaintes. À Tinkolen, Djiléngbè, des districts relevant de la commune urbaine de Siguiri, les producteurs touchés sont partagés entre inquiétude et désespoir.
Sous un ciel nuageux couvrant la préfecture de Siguiri au nord-est de la Guinée, Ibrahim Kalil Camara, vêtu d’un T-shirt blanc sur un pantalon aux couleurs treillis, visite ce samedi son domaine agricole d’un hectare et demi aménagé non loin d’un gisement aurifère à Djilengbè, situé à 797km de Conakry, la capitale de la Guinée.
Dans ce district situé à environ 10 kilomètres de Siguiri centre au nord-est du pays, les pieds de maïs éparpillés entre les bananiers se comptent désormais au bout des doigts dans le champ de Camara, laissant voir les herbes poussantes allègrement. « Vous voyez, je ne peux rien cultiver maintenant ici, parce que, chaque fois qu’il pleut, mon champ est envahi par les eaux boueuses issues du gisement. Il y a trois mois, ce champ a été encore inondé par les coulées de boue venant du gisement de la société GGE, entraînant la destruction de mes pieds de maïs », confie-t-il en montrant ledit gisement.
Sol craquelé par endroit, pieds de maïs au milieu des herbes sèches et vertes : c’est l’image qu’offre ce champ en juillet dernier. « L’année dernière, en 2024, j’ai subi le même sort. Mon champ a été inondé par les rejets et les eaux boueuses venant du gisement que vous voyez, ce qui a détruit les cultures. Pour ne pas rester comme ça, j’ai décidé d’expérimenter les bananiers. Pour cette année, j’ai fait 300 pieds, mais il ne reste que quelques plants », dit Ibrahima Camara.
À proximité de son champ, une exploitation semi-industrielle de l’or fonctionne à plein régime. Au centre des gisements ayant pris de la hauteur, se trouvent les bassins de résidu.
A quelques pas de là, coule la rivière Kôba. Ce cours d’eau traverse la ville et côtoie son champ. Avant l’exploitation semi-industrielle dans cette partie du district de Djilengbè, Camara déclare s’en servir pour arroser son jardin.
Mais ce n’est plus le cas. « Vous voyez la nature de l’eau qui est devenue trop jaunâtre. Le volume a baissé, c’est comme si c’était de la boue simple. Pendant la saison sèche, elle s’assèche. Pour arroser donc mon champ, j’ai creusé un puits ici », indique-t-il. Ce puits artisanal non couvert est l’unique point d’eau pour le jeune agriculteur. « Avant, la communauté faisait de la pêche dans cette rivière. Les gens se lavaient dedans. Mais, de nos jours, tout cela est devenu impossible. Cette rivière tend à disparaître à cause de l’exploitation minière. Nous ne voulons plus de cette entreprise qui travaille ici. Elle a gâché notre environnement et pollué nos eaux », a-t-il ajouté.

Soma Touré, originaire de Djiléngbè, y cultive du riz et des maniocs. Président de la Confrérie des chasseurs traditionnels de la préfecture de Siguiri, il fait partie des victimes de l’exploitation minière du district de Djilengbè. Il confie avoir perdu, en 2024, environ cinq hectares de manioc sur les 15 hectares plantés. « La société GGE a fait des remblais au niveau des artères menant à leur site. Ce qui a occasionné le blocage des routes. Finalement, l’eau de ruissellement ne passait plus, elle stagnait dans mon champ. Conséquence : les cultures ont été détruites », s’est-il plaint.
Contacté par Mongabay, l’huissier ayant travaillé sur le dossier confirme les dégâts causés par l’exploitation aurifère. Maître Sékou 2 Keita indique avoir déposé un recours à la justice contre la société GGE, principale entreprise soupçonnée. « On a trouvé que son champ était effectivement inondé. On a fait le constat et on a fait l’assignation en justice devant le Tribunal de première instance de Siguiri. Le dossier était pendant. Depuis lors, on ne sait plus si la décision est sortie ou pas », a-t-il souligné. « On a fait le constat, on a découvert que son champ était inondé par une eau boueuse de couleur rouge. Ce n’était pas une eau simple, on ne pouvait pas faire l’agriculture avec. C’était une plaine, où étaient cultivés le riz et le manioc. Quand même, c’était endommagé. (On a assigné la GGE en responsabilité civile ça veut dire quoi ?). C’était en octobre 2024 », précise Maître Keita.
Difficile pour cet huissier d’évaluer les pertes : « Ce n’est pas à nous d’évaluer, c’est plutôt le travail du juge. D’habitude, pour ces cas, nous faisons le constat avec le service de l’agriculture pour l’évaluation, mais cela n’a pas été le cas, cette fois-ci. Mais on confirme l’endommagement à cette eau de couleur rouge. Il s’agit de deux domaines différents. Le premier de quatre hectares semés de riz et le second de 10 hectares semés de maïs et de manioc ».

Cours d’eau et animaux victimes de l’exploitation minière
À Djilengbè, la rivière Bakô, principal cours d’eau traversant le district et d’autres localités de la préfecture de Siguiri, est fortement menacée par l’exploitation de l’or. Au niveau des deux rives de cette rivière, les travaux d’exploitation de l’or sont effectués avec l’utilisation des pelleteuses, des laveries et des produits chimiques. Les rejets, issus des bassins de résidus, sont versés et drainés dans cette rivière Bako, à travers des brèches aménagées au niveau de l’un des sites d’exploitation situés sur la rive gauche. Une situation que déplore le président du District, Toumany Diakité.
Sur les trois sites aurifères visités à Djilengbè, les gisements en exploitation et ceux déjà exploités forment une montagne de terre. « On a essayé de formuler des plaintes contre les dégâts causés sur la, rivière Kôba qui prend sa source à Bourré et se jette dans le fleuve Niger. On a vu que ce n’est pas bon pour les populations. C’est pourquoi on a jugé nécessaire que les travaux puissent cesser. Mais cela n’a pas été le cas. Dieu merci, nous avons appris la cessation des activités minières illégales à Siguiri », signale Toumany Diakité.
Casquette posée sur la tête, Diakité se défend : « Quand je n’étais pas le président du Conseil de district de Djilengbè, j’étais contre cette pratique illégale d’exploitation de l’or. Même nos animaux pendant la saison sèche souffrent. Quand ils descendent pour se désaltérer, ils sont pris par la boue et ils ne remontent plus. On a eu des dizaines de bœufs, chèvres, moutons qui ont disparu de la sorte. Je ne suis pas contre l’exploitation minière, mais la manière », dit-il en lançant un appel à l’État. « Je n’ai jamais aimé cette exploitation minière et je ne vais jamais l’aimer. Il faut que l’État guinéen prenne ses responsabilités. Sinon, l’environnement sera totalement détruit. Les rivières et points d’eau, qui sont aux alentours de Djiléngbè, ne sont plus bénéfiques à la communauté », explique Diakité.

Parlant de l’importance de la rivière « Kôba », principal cours d’eau du district, Diakité précise : « Quelques années avant les différentes exploitations minières, on y faisait la pêche, le linge, la vaisselle, même les animaux s’y abreuvaient. Nous-mêmes allions se laver là-bas. Les femmes maraîchères aussi se servaient de cette eau pour arroser les légumes. Mais tel n’est plus le cas aujourd’hui. On n’ose plus se servir de l’eau de la rivière Bakô pour se laver même les mains. Avant l’exploitation, certaines parties de cette rivière faisaient 8 mètres de profondeur. Maintenant, le volume a baissé. C’est comme si la rivière n’existe plus. Et, il y a moins d’arbres aux alentours », explique-t-il.
Sur le plan agricole, des plaines et des champs sont touchés par les effets de l’exploitation minière à Djiléngbè. « Les canaux d’évacuation sont obstrués par la société qui travaille ici. Lorsque la canalisation de l’eau est fermée, il y a débordement. Quand l’eau déborde, cela engendre le plus souvent des inondations. Les producteurs, qui ont cultivé du maïs le long de cette rivière, ont été touchés par le débordement des eaux suite à la fermeture des canalisations. Tu peux faire deux à trois hectares de maïs, mais quand l’eau vient, tout est complètement détruit. Des hectares de maïs, de riz et de manioc ont été détruits l’année dernière », signale Diakité.
Des recours annoncés par des victimes
Comme de nombreuses victimes, Ibrahima Kalil Camara pointe du doigt Guinean Gold Exploration, la société d’exploitation semi-industrielle de l’or implantée à Siguiri. « C’est GGE qui exploite de l’or ici. La preuve est que même quand ton domaine est racheté, c’est à la société que l’argent est récupéré. C’est l’uniforme de la GGE qui est beaucoup vu sur ses sites, sans oublier les machines qui sont leur propriété », dit-il.
En 2024, Camara affirme avoir perdu 100 orangers. En 2025, il accuse Guinean Gold Exploration de destruction de ses maïs et pastèques. « La coulée de boue, issue du gisement en cas de pluie, a tout détruit, sauf ces quelques bananiers que vous voyez », explique Ibrahima Kalil Camara.
Suite à l’inondation de son champ en mai 2025, Camara a rédigé une plainte contre la GGE. Une démarche qui, selon lui, n’a pas abouti, car sa plainte n’a pu être déposée. « J’ai voulu porter plainte contre la société. Je suis parti voir le président de la délégation spéciale de Siguiri qui m’a rassuré de son aide dans le cadre du dédommagement. Quand je lui ai laissé le courrier, il m’a dit de saisir la justice. Une fois là-bas, on m’a orienté vers un huissier qui m’a demandé 6 millions de francs guinéens [700 USD]. J’ai finalement renoncé à ma plainte en raison de ce coût élevé. Car les moyens ne me permettent pas et cette demande augure des doutes, quant à la suite de la procédure », a-t-il confié.

De son côté, Soma Touré, également victime de Djiléngbè, dénonce le retard mis par la justice dans la prise en charge de son dossier. « J’ai trouvé un huissier qui est venu voir. Il a examiné les dégâts estimés à plus d’un milliard de francs guinéens [115 348 USD]. Après maintes démarches, j’ai finalement renoncé face à la pression et aux doléances de mes parents. La condition était la construction d’un pont qui a finalement été réalisé non loin de l’entrée du village », dit-il, avant d’ajouter : « Tout ce que je peux dire est que cette exploitation a mis en ruine nos cours d’eau et nos terres. C’est GGE qui est derrière tout ça ».
Pas courant d’une exploitation minière
Dans le district de Djilengbè, pour permettre et faciliter l’exploitation aurifère le long de la rivière Bako qui se meurt, la société GGE alimente le lit de ladite rivière en eau à travers un tuyau, qui part du fleuve Niger, à 15 km de Djilengbè, notamment dans le district de Dankakoro en allant vers la sous-préfecture de Banko.
Le président de la Délégation spéciale de Siguiri, Souleymane Koita, a laissé entendre qu’il n’est pas au courant d’une exploitation minière à Djiléngbè. Ce premier responsable administratif de la commune urbaine a dirigé Mongabay vers le directeur préfectoral des mines et de la géologie de Siguiri.
Quant au procureur de la République près le Tribunal de première instance de Siguiri, il affirme n’avoir eu connaissance que de deux recours. « Ce que je sais, il y a Soma Touré, un doyen, qui dans le temps, avait dit qu’il en a été victime. L’entreprise a dit qu’elle réalisait les ponts dans la localité. Selon elle, c’est pendant les travaux qu’elle a barré l’eau dans son champ. Mais Soma Touré disait que c’est l’eau de l’exploitation qui était allée dans son champ. Les plantes qui étaient dans le champ ont été détruites, à l’en croire. Mais tout ce que je sais, il avait finalement désisté à cause d’un compromis entre eux. Il avait reçu un paiement de plus de 200 millions de francs guinéens [22 200 USD] ». « A part ça, à Djilengbè, il y avait une autre procédure pour laquelle j’ai été informé, par le procureur général, d’une plainte à leur niveau…Ce dossier était à la cour d’appel, il n’est pas arrivé à mon niveau », a-t-il ajouté au téléphone, avant de préciser que les dossiers de Soma Touré arrivés à son niveau visaient la société GGE.
Par rapport à la gestion, le procureur souligne que des réquisitions ont été faites durant toute l’année. « On a fait des communiqués et autres. Car Siguiri vit de l’exploitation. Et le législateur dit que c’est la réparation qui prévaut d’abord dans la gestion des infractions de mine. Quand il y a pollution, plutôt que de mettre les gens en prison, on leur demande la correction de la pollution. C’est tout ce qu’on fait depuis le début de l’année…pour qu’un procureur agisse, il faut des rapports ».

Services de l’environnement et des mines réticents et presque muets
Dans la préfecture de Siguiri, l’exploitation minière à Djiléngbè semble taboue aux départements de l’Environnement et des mines. Rencontré dans son bureau, le directeur préfectoral de l’Environnement ne s’est pas exprimé sur le sujet. « Il y a une mission conjointe qui vient de quitter, je ne vais pas m’exprimer sur ce sujet », a-t-il dit.
Concernant les dommages causés à l’environnement, notamment les coupes de bois, la dégradation des terres et la pollution de l’eau par l’exploitation mécanisée de l’or, le premier responsable préfectoral de l’environnement de Siguiri ne s’est pas prêté aux questions de Mongabay.
Même réticence chez Condé, directeur préfectoral des Mines et de la géologie de Siguiri. « Je ne parle pas sans l’accord de ma hiérarchie. Contactez le ministère qui doit m’instruire à communiquer. Je suis en congé », a-t-il affirmé, avant de raccrocher. Son assistant n’a pas voulu aussi s’exprimer comme d’ailleurs son directeur tout au long de l’enquête.
Interrogé sur l’exploitation minière à Djilengbè, le directeur national des Mines, Ousmane Kaba, n’a pas, pour l’heure, répondu après plus de deux mois d’attente.
GGE nie toute implication
De Tabakôrô situé à environ 18 km de Siguiri centre à Djiléngbè, les traces de l’exploitation sont visibles et la société Guinéan Gold Exploration et une société JIM sont pointées du doigt. De vastes hectares sont transformés en sites d’exploitation minière sur lesquels on voit les laveries et les traces de pelleteuses. Pire, des trous béants non couverts et non réhabilités sont abandonnés. Des arbres coupés dans ces localités occasionnent la dégradation de l’environnement matérialisée par le tarissement et la pollution des cours d’eau.
À Djiléngbè, par exemple, l’un des sites d’exploitation situés aux abords de la rivière Kôba, déverse les rejets de laveries dans ladite rivière, via les canaux aménagés sur la berge de ce cours d’eau. Interrogé à deux reprises, le responsable des relations communautaires de la GGE a nié les faits. « Je ne peux m’exprimer sur ce sujet. Car, ma hiérarchie m’a refusé tout commentaire. Tout ce que je peux vous dire est que la GGE ne travaille pas à Djiléngbè », a-t-il indiqué, avant de raccrocher.
Toutes les tentatives pour avoir d’autres réactions au sein de la société sont restées vaines.
Pourtant, le tuyau de 14 km, tiré du lit du fleuve Niger (Djoliba), transite par la GGE avant de se déverser dans la rivière Koba de Djiléngbè.
Selon Toumany Diakité, JIM est le nom d’une autre société citée sur le terrain. « À mon arrivée en qualité de Président du conseil du district, j’ai pris langue avec les responsables de JIM sur les différents documents administratifs, mais en vain. Je n’ai eu aucun dossier. J’ai remonté l’information auprès du Président de la délégation spéciale de Siguiri, Souleymane Koita. Il a ensuite fait une transmission au niveau du Préfet. Cela date de 5 à 6 mois, ; mais jusqu’ici, nous n’avons aucune suite ».
Pendant l’enquête, l’existence de cette société n’a jamais été prouvée.

La réglementation
Dans un arrêté lu le mardi 17 juillet 2025, sur les ondes des « médias d’État », le ministre guinéen des Mines, Bouna Sylla, a retiré les permis à 45 sociétés minières parmi lesquelles Guinean Gold Exploration (GGE). Le 26 mai 2025, le même ministre ordonnait dans un autre arrêté le retrait de 129 permis de recherche, dont celui de Guinéan Gold Exploration (GGE).
En trois mois, c’est la deuxième fois que des arrêtés relatifs au retrait du permis de recherche de cette société qui opère à Siguiri, sont lus à la télévision nationale. Un retrait que le gouvernement guinéen a justifié par le non-respect du Code minier guinéen, notamment les impacts sur l’environnement et la fiscalité.
Mais bien avant la prise de ces deux décisions, en juillet 2022, Moussa Magassouba, à l’époque ministre des Mines et de la géologie, avait ordonné la fermeture de cette société pour « manque de respect à l’autorité et des manquements graves dans la conduite des opérations dont la violation du code minier portant sur le contenu local ». Une fermeture qui n’a été effective que pour quelques jours. Après, les activités ont repris.
Pourtant, selon les dispositions (articles 82, 89, 06 et 142) du Code minier guinéen, l’opérateur dont le titre minier a été retiré se doit de faire face à l’ensemble de ses obligations avant ledit retrait, y compris les travaux de réhabilitation des sites miniers exploités et procéder à l’élimination des risques nuisibles à la santé et à la sécurité des personnes.
Image de bannière : L’un des sites d’exploitation de l’or à Djilengbè non loin de la rivière Bako, en Guinée. Image de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.
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