- L’ouest de Madagascar, qui abrite à la fois certaines des communautés les plus pauvres du pays et une faune parmi les plus menacées, pose des défis interdépendants en matière de conservation.
- Au cours des cinquante dernières années, les forêts sèches de la région ont été gravement dégradées par le défrichement des terres pour l’agriculture itinérante, l’exploitation minière et forestière et l’établissement de plantations. À Madagascar, près de 60 % des espèces vivant dans les forêts sèches sont classées comme vulnérables, en danger ou en danger critique d’extinction.
- Des responsables d’ONG, des scientifiques et des représentants gouvernementaux se sont unis pour former une alliance, afin de mieux coordonner les efforts visant à protéger ce biome précieux.
- Parmi les premières actions de la nouvelle alliance figure la demande d’inscription du sifaka de Verreaux – une espèce en danger critique d’extinction – sur la dernière liste des 25 primates les plus menacés au monde, une démarche visant à attirer une attention accrue sur l’habitat vulnérable de ce lémurien.
ANTANANARIVO – Quels habitats tropicaux méritent une attention particulière en matière de conservation ? Les forêts tropicales sèches ne peuvent peut-être pas se vanter d’abriter autant d’espèces que leurs homologues humides, mais leurs rythmes de vie uniques sont tout aussi essentiels. Un de leurs habitants charismatiques, le sifaka de Verreaux, contribue à défendre leur cause à Madagascar.
« À Madagascar, comme partout ailleurs dans le monde, les organisations de défense de l’environnement et les organismes de développement ont longtemps dirigé leurs efforts et les financements internationaux vers les forêts tropicales humides de l’Est », explique la primatologue Rebecca Lewis, à Mongabay.
« Mais dans l’ouest et le sud-ouest [de Madagascar], la situation est tout aussi préoccupante : l’insécurité alimentaire se généralise, la chasse d’animaux sauvages s’intensifie, et les menaces telles que la déforestation et la dépendance des communautés locales aux ressources forestières persistent ».

Les forêts sèches, un écosystème menacé
Une analyse d’images satellites publiée en 2022, dans la revue Nature Sustainability, a révélé qu’en seulement 20 ans – entre 2000 et 2020 – plus de 71 millions d’hectares de forêts tropicales sèches ont disparu à travers le monde, soit une superficie équivalente à deux fois celle de l’Allemagne. L’étude a également permis d’établir qu’un tiers des forêts sèches restantes se trouvent dans des zones « frontières », où la déforestation progresse à grands pas.
Plus de la moitié de ces zones de déforestation se situent dans les forêts sèches d’Afrique. Selon une étude publiée en 2020, par Botanic Gardens Conservation International, au cours des 50 dernières années, le défrichement des terres pour l’exploitation minière et forestière, l’agriculture itinérante et l’établissement de plantations, a provoqué le déclin des populations de 90 % des 982 espèces d’arbres identifiées dans les forêts sèches de l’île. Près de 60 % d’entre elles sont menacées d’extinction ou classées comme vulnérables, en danger ou en danger critique.
La dégradation des forêts sèches de Madagascar est alimentée par un ensemble d’acteurs aux priorités diverses. Bien que les communautés locales aient de tout temps utilisé les feux pour la gestion et l’entretien des pâturages et des terres agricoles, ils représentent une menace et peuvent rapidement devenir incontrôlables et mettre en péril les forêts, la faune sauvage et la sécurité des individus.
La superficie des forêts tropicales sèches du Parc national de Kirindy Mitea, la plus vaste couverture de forêt sèche restante dans le sud-ouest de Madagascar, a diminué de 43 % entre 1973 et 2023. Une étude menée par Domenic Romanello, directeur de l’initiative de surveillance de la biodiversité du Parc national de Kirindy Mitea, a révélé que si le parc offre une meilleure protection à la faune sauvage que ses zones non protégées voisines, son efficacité reste toutefois limitée. Au rythme actuel, le parc pourrait perdre l’intégralité de sa couverture forestière d’ici aux 50 prochaines années.


Les communautés à la fois actrices de la dégradation et clés de la préservation
Domenic Romanello, anthropologue de formation, qui a longuement étudié les moyens de subsistance aux abords du Parc national de Kirindy Mitea, soutient que la dégradation des forêts ne peut pas être abordée comme un simple problème d’application des lois. Il explique que les populations locales perçoivent souvent les programmes mondiaux de protection de l’environnement comme une forme de dépossession, notamment lorsque la création d’une zone protégée les prive de leurs terres et de leurs moyens de subsistance, sans leur apporter le soutien nécessaire pour s’adapter et prospérer.
« Il faut d’abord chercher à améliorer les conditions de vie des populations qui vivent autour du parc avant d’espérer des résultats en matière de protection de la faune sauvage et de préservation des habitats », déclare-t-il.
Il décrit la situation aux abords du parc comme une double crise, les populations et la faune sauvage souffrant simultanément. « Les communautés vivant dans ces zones sont confrontées à une pauvreté persistante et sévère. La pauvreté multidimensionnelle y est plus élevée que dans n’importe quelle autre région de l’île », ajoute-t-il.
Une analyse d’évaluation des besoins qu’il a lui-même dirigée a clairement mis en évidence les priorités des communautés, pour améliorer le bien-être humain local. Les moyens de subsistance, les revenus et les ressources, la sécurité alimentaire, une agriculture plus performante et l’accès à la propriété sont désormais jugés essentiels, car les populations ne peuvent plus utiliser la forêt comme elles le faisaient avant la création du parc.
Une approche concertée pour une protection des forêts renforcée
Selon Rebecca Lewis, le principal obstacle à la protection des forêts sèches de Madagascar demeure la difficulté à coordonner les nombreux efforts, souvent dispersés.
Pour répondre à ce défi, les acteurs engagés dans la préservation des forêts sèches malgaches, notamment les responsables d’ONG, les scientifiques, les défenseurs de l’environnement et les représentants gouvernementaux, se sont réunis en juillet dernier, lors du congrès de la Société internationale de primatologie (IPS), pour créer une « Alliance pour les forêts sèches de Madagascar », une nouvelle plateforme dédiée au partage des connaissances et des solutions.
« L’alliance est importante, car elle brise l’isolement », déclare Stela Nomenjanahary, qui travaille dans les environs du parc national de Zombitse-Vohibasia, dans le sud-ouest de Madagascar. « Nous sommes nombreux à avoir le sentiment d’agir seuls dans nos efforts en faveur de la préservation des forêts sèches. Mais l’alliance est là pour nous rappeler que nous ne le sommes pas ».
La collecte de fonds pour mener à bien les efforts de protection constitue une autre priorité pour la nouvelle alliance. Travis Steffens, fondateur de Planet Madagascar, explique que son ONG a fortement investi dans les patrouilles et les actions de sensibilisation visant à réduire les risques d’incendie et qu’elle assure également l’entretien d’une zone coupe-feu de 17 kilomètres de long (10,5 miles) dans le Parc national d’Ankarafantsika, au nord-ouest du pays.
« Grâce à la gestion des incendies et à l’engagement des communautés, nous avons réussi à réduire le nombre d’incendies dans notre zone. Notre plus grand problème reste le manque de ressources. Nous avons en effet besoin d’argent et de véhicules pour soutenir nos patrouilles, pour bâtir des zones pare-feu et lutter contre les incendies. Nous n’avons pas de camion et devons utiliser ce que nous avons à notre disposition, c’est-à-dire des charrettes tirées par des zébus, des motos ou nos propres jambes ».
Amanda Rowe, chercheuse postdoctorale au Musée d’histoire naturelle de l’université du Colorado à Boulder, souligne que la restauration des zones endommagées ou dégradées est tout aussi difficile que la prévention des incendies, notamment en raison des conditions propres aux forêts sèches, où les arbres connaissent une croissance plus lente. Elle souligne l’importance du partage des connaissances pour concevoir des approches efficaces et renforcer l’adhésion. C’est précisément ici que l’alliance joue un rôle fondamental, en accompagnant les scientifiques dans la résolution de problèmes complexes liés à la protection des forêts pour lesquels ils n’ont pas nécessairement reçu de formation formelle.
Lors du congrès de l’IPS, Rebecca Lewis, fondatrice d’Ankoatsifaka Initiative for Dry Forests (AID Forests), a plaidé pour l’inscription du sifaka de Verreaux (Propithecus verreauxi) sur la liste des 25 primates les plus menacés au monde, estimant que cette reconnaissance pourrait contribuer à catalyser les efforts de protection de son habitat au sein des forêts sèches malgaches.
Présent dans le sud et le sud-ouest de Madagascar, le sifaka de Verreaux est un lémurien diurne qui vit en groupes familiaux et occupe une place importante au sein de la culture locale. Il joue un rôle crucial en dispersant les graines et favorise ainsi la régénération et la préservation des forêts et des habitats variés qu’il occupe. Le primate est classé « en danger critique d’extinction » par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), en raison de menaces graves comme la destruction de son habitat, la chasse et, dans certaines zones, la faible diversité génétique.
Amanda Rowe espère que l’inscription du sifaka sur la dernière liste des primates les plus menacés au monde permettra de mobiliser des fonds pour renforcer sa protection. L’alliance prévoit de recruter une personne pour coordonner les actions dans les différentes régions. « Il s’agira, entre autres, de recueillir des informations sur les différentes zones d’intervention, d’évaluer les forces et les faiblesses, de définir les priorités et de former des sous-groupes, certains axés sur la prévention des incendies, d’autres sur la restauration, et d’autres encore sur l’amélioration des conditions de vie des populations locales », explique-t-elle.

Pour l’Alliance pour les forêts sèches de Madagascar, faire entendre la voix des communautés locales est une priorité pour garantir l’adaptation des études scientifiques et des programmes de conservation aux réalités du terrain. « Nous avons tous commencé en tant que chercheurs spécialistes des lémuriens, mais nous passons aussi une grande partie de notre temps auprès des communautés. Nous savons comment travailler avec elles et cherchons toujours à identifier leurs besoins », indique Amanda Rowe.
« Les populations qui vivent aux abords du parc sont très attachées à la forêt, elles l’aiment, la considèrent comme leur propre foyer et souhaitent la préserver. [Mais] elles se retrouvent également prises au piège dans un système qui ne leur donne pas les moyens de lui assurer une protection [pour] l’avenir, car elles doivent aussi penser à satisfaire leurs besoins immédiats et ceux de leurs enfants. Néanmoins, elles s’intéressent à la protection de l’environnement et cherchent à savoir ce qu’elles doivent faire pour préserver leur forêt », souligne Domenic Romanello.
« Il est facile de se laisser submerger par les nouvelles négatives et de s’inquiéter du manque de financement et de ressources dans un contexte en constante mutation, mais je soutiens que je n’ai jamais été aussi optimiste quant à l’avenir des forêts sèches malgaches », déclare Anne Axel, professeure agrégée en sciences biologiques à l’université Marshall aux États-Unis.
Image de bannière : Un sifaka de Verreaux dansant dans les forêts sèches de Madagascar. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.
Citations :
Romanello, D., Thompson, K. E., Borgerson, C., Randriamanetsy, J. M., Andriamavosoloarisoa, N. N., Andrianantenaina, M. Y., … Lewis, R. J. (2023). A nuanced examination of primate capture and consumption and human socio-economic well-being in Kirindy Mitea National Park, Madagascar. Animals, 13(18), 2914. doi:10.3390/ani13182914
Romanello, D. M. (2024). Protected area effectiveness: wildlife conservation and human well-being in Kirindy Mitea National Park, Madagascar. Texas ScholarWorks. (Doctoral dissertation). doi:10.26153/tsw/54298
Schröder, J. M., Rodríguez, L. P. Á., & Günter, S. (2021). Research trends: Tropical dry forests: The neglected research agenda? Forest Policy and Economics, 122, 102333. doi:10.1016/j.forpol.2020.102333
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 15 sept., 2025.