- Le rotin désigne un groupe ou ensemble d’espèces de palmiers grimpants très prisés dans l’artisanat béninois, tout comme les raphias et les bambous.
- Malheureusement, ces espèces connaissent depuis quelques décennies un grand déclin, en raison de la destruction de leur habitat et de la surexploitation de leurs peuplements.
- Des chercheurs de du Bénin en collaboration avec les homologues de la Côte d’Ivoire et ceux des Conservatoire et jardin botaniques de Genève en Suisse, ont entrepris depuis quelques années des activités de recherche visant à contribuer à la conservation, la restauration des écosystèmes de ces espèces de palmier et l’étude de leur capacité régénérative.
Dans les marécages d’Adjarra, commune située au sud-est du Bénin, le jeune botaniste en herbe Judicaël Makponsè progresse à la recherche des rares pieds de rotin, ces palmiers grimpants utilisés pour fabriquer meubles, paniers et objets d’art. Pour le suivre ce 12 août 2025, il fallait enfiler des gants et chausser des bottes, afin de se protéger des épines qui hérissent les tiges et de l’eau stagnante qui imprègne le sol.
Depuis l’aube, il localise, identifie et collecte des échantillons de rotin, une ressource qui se raréfie. Il en sait aussi sur les activités des collecteurs qui menacent ces espèces. « À la demande des artisans, les cannes de rotin, même juvéniles, sont systématiquement coupées par les récolteurs, sans possibilité de régénération. C’est l’une des causes principales de leur déclin », explique-t-il.
Au Bénin, l’artisanat contribue à un peu plus de 10 % au Produit intérieur brut (PIB), et l’utilisation des rotins en vannerie y occupe une place importante. La confection de meubles (tables, chaises, étagères, fauteuils, etc.) et de divers objets d’art fait vivre des milliers de familles à Cotonou et Porto-Novo et dans d’autres localités. Mais aujourd’hui, collecter des cannes de rotin relève du parcours du combattant. Dans plusieurs villages, les habitants défrichent les zones humides pour y installer champs de riz et habitations, privant le rotin de son habitat naturel.
Résidente dans le village de Lindja-Dangbo, dans Commune d’Adjarra, Élisabeth Yédénou, 40 ans, connaît bien la situation. Collectrice de cannes de rotin depuis deux décennies, elle sillonne forêts et rivières pour livrer ses lots aux artisans. « Vous voyez, ici, cette parcelle a été débroussaillée seulement cette semaine, les herbes ne sont pas encore totalement sèches. Ce pied de rotin a été sauvé de justesse, parce qu’il se trouve hors du périmètre de la parcelle. Nous sommes obligés de traverser la frontière pour trouver des pieds au Nigéria. Ici, tout disparaît », dit-elle.

Au-delà de la frontière
Vendu entre 2 000 et 4 000 francs CFA le lot de 20 cannes (4 à 8 USD), le rotin rapporte peu, mais reste vital pour les familles rurales. Et pour cette raison, les collecteurs sont prêts à traverser la frontière avec le Nigéria. Là-bas, des localités comme Ijofin ou Idosemo sont devenues des points de repère pour les Béninois.
Mais même de l’autre côté, la ressource se raréfie aussi. « Il faut payer le carburant de la pirogue, et offrir des gestes de solidarité lors des fêtes communautaires pour être accepté et collecter », raconte Yédénou.
Les réseaux informels de signalement, où chacun indique les zones encore riches en rotin, témoignent de la pression croissante sur ces forêts. À Cotonou et Porto-Novo, les artisans ressentent directement les effets de cette raréfaction.
Dans son atelier d’Akpakpa, à Cotonou, Michel Owolegbon, président de l’Association des vanniers du Bénin, cogite. « Depuis vingt-cinq ans, nous avons vu la ressource progressivement s’éloigner. Beaucoup d’artisans se sont tournés vers le bambou et le raphia, mais ce n’est pas pareil. Aujourd’hui, même du Nigéria, les collecteurs ne nous ramènent que de jeunes plants, encore trop fragiles », confie-t-il.
Pour lui, la disparition du rotin signerait la fin d’un héritage transmis de génération en génération. « Presque tous les vanniers ont leurs enfants impliqués dans le métier. Si on ne procède pas très vite à sa restauration, notre activité s’éteindra », ajoute-t-il.
Pression commerciale croissante, surexploitation, raréfaction, déforestation et perte d’habitat : les causes du déclin de ces palmiers-lianes sont connues. Mais le problème est autant biologique qu’économique. Owolegbon et ses confrères ont déjà tenté de replanter. « L’expérience n’a pas été fructueuse. Nous avions replanté des lianes à but de restauration, mais comme ça n’a pas poussé, nous avons conclu que ce serait pareil pour le rotin », explique-t-il.

Une plante à croissance très lente
En Afrique, il existe une vingtaine d’espèces de rotin : Calamus (1 espèce), Eremospatha (11 espèces), Laccosperma (6), Oncocalamus (6). « Il y a au moins une espèce que l’on retrouve typiquement au Bénin, je dirais même inféodée à notre pays », explique le Professeur Kifouli Adéoti, enseignant-chercheur à l’université d’Abomey-Calavi au Bénin.
Sur le terrain, Makponsè nous aide à repérer les espèces. Calamus deërratus se présente comme un palmier-liane grimpant, pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres. Ses tiges fines sont armées d’épines crochues qui l’aident à grimper. Les autochtones l’appellent « rotin rouge », pour sa couleur brune.
Eremospatha macrocarpa a une tige verte et des feuilles pennées, longues, avec des folioles étroites, souvent un peu retombantes. Les épines se présentent sous forme de crochets recourbés, très acérés, répartis sur les feuilles et la tige. Appelé « rotin blanc », Eremospatha macrocarpa est connu pour ses tiges fines, flexibles et solides.
« Ce sont des espèces à croissance très lente », souligne le professeur Adéoti, pour qui une graine peut mettre des mois à germer et il faut une dizaine d’années pour qu’un plant atteigne la maturité exploitable. « Quand on prélève massivement des adultes, il faut attendre très longtemps pour que la population se régénère », précise-t-il.
Alors, les artisans doivent importer du rotin depuis le Ghana, le Nigéria ou la Côte d’Ivoire, souvent via des circuits informels, avec des taxes élevées.

La science à la rescousse
Pour trouver des solutions, le Bénin participe au projet international Multipalms. C’est un projet transdisciplinaire financé par la Fondation Audemars Piguet pour les Arbres basée en Suisse, pour la conservation des palmiers indigènes d’Afrique de l’Ouest, en partenariat avec le Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève (CJBG) et l’université de Legon (Ghana) et l’université Nangui Abrogoua de la Côte d’Ivoire.
Ce projet implique les chercheurs Kifouli Adéoti et Hospice Dassou du Bénin, Fred Stauffer et Didier Roguet de Genève (Suisse), Patrick Ekpe du Ghana et Doudjo Ouattara de la Côte d’Ivoire.
Lancé en 2020 en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Bénin, il vise à étudier l’ethnobiologie des palmiers indigènes (Raphia, rotins, palmier doum, le faux dattier), leur chaîne de valeurs, les techniques de germination et de production en pépinières, et à proposer des solutions de conservation et de gestion durable de ces espèces à travers la sensibilisation, l’éducation environnementale, la mise en place des collections vivantes in situ et ex situ.
« Dans cette optique, nous avons par exemple créé un palmetum dans les Jardins Botanique et Zoologique de l’université d’Abomey-Calavi, une initiative remarquable qui permettra à coup sûr de : préserver la diversité des palmiers natifs de la sous-région, en mettant en avant les espèces menacées et endémiques ; servir de site potentiel de recherche pour les études sur la biologie, l’écologie et l’utilisation durable des palmiers et favoriser l’éducation et la sensibilisation en offrant un espace pédagogique pour les étudiants, les chercheurs et le grand public. Par ailleurs, nous avons collecté des semences, réalisé des essais de germination et de croissance en serre, pour voir comment accélérer le développement des rotins », dit le professeur Adéoti.

L’idée est de pouvoir ensuite réintroduire ces espèces dans des forêts où elles ont disparu, en associant les communautés locales, sans qui rien ne sera possible. La disparition du rotin au Bénin illustre aussi l’érosion de la biodiversité. Certaines espèces y sont en danger critique, comme Oncocalamus wrightianus, qu’on ne retrouve que dans certaines zones frontalières avec le Nigéria.
« Depuis cinq ans que nous suivons les populations de cette espèce, nous n’avons encore jamais observé un pied adulte en fructification, ce qui est très préoccupant. La disparition des rotins aura un impact écologique. Leurs fruits nourrissent des oiseaux et des mammifères. Comme ce sont des ressources forestières, leur disparition aura pour conséquence une perturbation de tout l’écosystème, certains animaux se nourrissant par exemple de leurs graines », souligne-t-il.
Le chercheur explique que, comme ce sont des lianes, on peut imaginer des systèmes agroforestiers, où elles sont plantées en cultures associées avec d’autres espèces qui serviront en même temps des tuteurs adaptés. Mais cela demande beaucoup d’investissement et de temps, car ce sont des espèces à croissance lente.
Pour Michel Owolegbon, c’est un pan du patrimoine immatériel qui disparaît en silence si rien n’est fait. Les techniques de vannerie, transmises depuis des générations, reposent sur la souplesse et la solidité uniques du rotin. Le bambou ou d’autres lianes, insiste-t-il, ne peuvent pas totalement remplacer cette matière.
Image de bannière : Il est aujourd’hui difficile de trouver un pied adulte de rotin au Bénin. Image de Fulbert Adjimehossou pour Mongabay.
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.