- Les rivières de Kinshasa, notamment la rivière N’Djili sont encombrées de déchets plastiques, formant parfois des îlots flottants, malgré l’interdiction des plastiques en RDC depuis 2017.
- De cette pollution, des polluants organiques persistants (POP) comme les PCB, et les HAPs, s’accumulent et affectent faune et santé humaine.
- Les émanations des POP dans l’environnement sont dues en partie à la combustion régulière de déchets plastiques et à l’utilisation massive de charbon à cause du manque d’accès à l'électricité.
- Les inondations fréquentes liées au changement climatique dispersent les POP, rendant leur élimination complexe et coûteuse, tout en augmentant les risques pour la population.
Le samedi, une à deux fois par mois, Esther Dingituka, activiste environnementale et bénévole pour l’antenne congolaise de River Cleanup se lance à l’assaut des rivières avec d’autres bénévoles. Le but étant de ramasser le plus de déchets possibles, mais aussi de sensibiliser la population de Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). « Les rivières de Kinshasa sont dans un état critique, avec une pollution qui atteint des niveaux alarmants. Nous sommes témoins d’une situation où les caniveaux, les cours d’eau et les rivières sont transformés en poubelles ou en décharges, obstruant les systèmes de canalisations », dit Dingituka.
En effet, à Kinshasa, la pollution des rivières saute aux yeux. Par endroits, les déchets créent même des îlots tellement compacts qu’il est possible pour un adulte d’y marcher. C’est le cas aussi dans la rivière N’Djili, l’une des deux rivières principales de la mégalopole de 12 millions d’habitants, affluent du fleuve Congo.
D’après une étude, publiée en 2023, par des chercheurs de l’université de Kinshasa, ces déchets, une fois exposés aux rayons du soleil, se fragmentent en microplastique. Ils sont ingérés ensuite par les poissons, mais aussi par les hippopotames (Hippopotamus amphibius) du fleuve Congo.
Pourtant, la loi congolaise interdit depuis 2017, la production, l’importation et la commercialisation de sacs et bouteilles en plastiques. Une interdiction qui ne se reflète pas sur la réalité des Kinois. Sacs et bouteilles sont présents dans leur vie quotidienne et se retrouvent partout sur le sol et dans les cours d’eau.

Mais dans la rivière N’Djili, une autre pollution, invisible cette fois, fait rage. Il s’agit des polluants organiques persistants (POP).
Selon la convention de Stockholm, ces composés chimiques ont des propriétés toxiques, s’accumulent dans les chaînes alimentaires et constituent une menace pour la santé humaine et l’environnement. Liés à l’activité humaine, ils sont persistants, car ils se dégradent lentement dans l’environnement, entre quelques années et plusieurs siècles pour certains composants.
Parmi les POP que l’on retrouve dans la rivière N’Djili, on retrouve plusieurs classes de composés chimiques, tels que les polychlorobiphényles (PCB), les pesticides organochlorés (OC), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les polybromodiphényléthers (PBDE). Certains de ces POP comme les HAPs sont issus de la combustion de composés pétrochimiques tels que les déchets plastiques, mais aussi le charbon. Deux habitudes centrales dans le mode de vie des Kinois.
En effet, à Kinshasa, brûler ses déchets plastiques est incontournable pour éviter l’accumulation des déchets, en raison d’un système de voirie et de recyclage quasi inexistant. Il n’est pas une rue de la capitale congolaise qui ne voit pas des déchets brûler dans un de ses coins.
Même chose pour le charbon. En RDC, en raison du manque d’accès à l’électricité, 93 % de la consommation totale d’énergie se fait par la combustion de bois énergie, de charbon.
Les autres POP proviennent de pesticides utilisés dans l’agro-alimentaire et de composés industriels, des huiles hydrauliques aux isolateurs électriques. Au vu des causes, les POP pourraient donc être présents dans tous les cours d’eau des grandes villes du bassin du Congo.
D’après une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Kinshasa, en 2024, ces polluants se retrouvent dans la rivière dans des concentrations souvent fortement supérieures à celles recommandées par les Directives fédérales canadiennes pour la qualité de la vie aquatique qui servent d’étalon pour ces substances.
De plus, à l’instar des microplastiques, ils sont ingérés aussi bien par la vie aquatique, animale et végétale. « Dans la rivière N’Djili, il y a beaucoup de matières organiques, car certains vident leurs fosses septiques dedans et les polluants organiques persistants s’attachent à ces matières organiques. Mais ces polluants ne sont pas hydrosolubles, du coup, ils ne restent pas dans l’eau. On les trouve dans les sédiments des rivières. Mais ce qui se trouve dans les sédiments peut à terme se dissoudre dans l’eau, lentement, ce qui garantit une pollution durable de l’eau, car ils se libèrent au fur et à mesure », explique Reagan Falasi, un chercheur en hydrologie ayant réalisé une étude sur la pollution de la rivière N’Djili.

Les POP sont présents dans les rejets d’eaux usées urbaines non traitées et dans les effluents agricoles et industriels. En RDC, en raison de l’absence de réglementations appropriées sur les produits agrochimiques et d’une mauvaise application de la loi, les POP sont souvent manipulés et appliqués sans précaution. Une fois libérés dans l’environnement, ils peuvent être transportés par l’eau et dans l’air jusqu’à des endroits très éloignés de leur zone d’application.
Et la rivière N’djili a la particularité d’avoir la plus grande station d’épuration d’eau du pays. Elle fournit de l’eau à près de 8 des 12 millions d’habitants de Kinshasa, dans des zones urbaines et agricoles. Autant de personnes susceptibles d’être contaminées. « L’une des caractéristiques de ces polluants organiques persistants est qu’ils ont tendance à s’accumuler et à se bioamplifier le long de la chaîne alimentaire. Cela signifie que c’est au sommet de la chaîne alimentaire, au niveau des carnivores et de l’homme que l’on trouve les concentrations les plus élevées. Et, à ces concentrations, on observe toutes sortes d’effets négatifs comme des cancers ou une immunotoxicité, ce qui signifie que le système immunitaire est touché. On observe également des effets sur la reproduction », explique Dr Markus Brinkmann, directeur du Centre de toxicologie de l’université de Saskatchewan au Canada.
« Chez les poissons, par exemple, les PCB et les PAH peuvent entraîner la mort prématurée de la progéniture. Chez des rapaces et oiseaux piscivores, nous avons constaté un amincissement de la coquille des œufs. La coquille de leurs œufs est si mince que lorsqu’ils font leur nid, elle se fissure et les petits ne peuvent pas survivre. Il s’agit d’un problème de santé publique », précise Dr Brinkmann.
Il a récemment participé à l’écriture du rapport Frontière 2025 du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP), qui met en lumière les problèmes environnementaux émergents.

Dans ce rapport, il relève un problème de taille. Lors d’inondations et de phénomènes météorologiques extrêmes, les sédiments contenants des POP sont transportés et la pollution qu’ils génèrent se propage. Et, à Kinshasa, avec le changement climatique, ces phénomènes tendent à se multiplier. En 2025, des pluies diluviennes ont causé à plusieurs reprises des inondations dans la capitale.
A titre d’exemple, du 4 au 11 avril, de fortes pluies ont fait déborder la rivière N’djili à Kinshasa, inondant 13 des 24 communes de la ville. Bilan : 165 morts, 28 blessés, plus de 7 000 personnes déplacées et des destructions massives. En juin, au moins 19 personnes perdaient la vie dans des pluies torrentielles.

Mais qu’est-ce qui peut être fait pour endiguer la pollution liée à la propagation des POP ? « C’est très difficile. Il faut récupérer, assainir et nettoyer les sédiments de la rivière de ces produits chimiques. Mais c’est très difficile en termes d’ingénierie. C’est également très coûteux », explique Brinkmann. « Je pense qu’il faut prendre le problème en amont. Nous devons apprendre des erreurs du passé et ne pas continuer sur la même voie et continuer à utiliser des produits chimiques qui posent problème. Même s’ils peuvent être très bénéfiques d’un point de vue industriel, nous devons penser à l’environnement dès le stade de la conception des produits chimiques et avant de les autoriser à la vente ».
Mongabay a contacté le ministère de l’Environnement pour en savoir plus, mais n’a pas reçu de suite favorable.
À Kinshasa, les îles de plastique ne sont que la partie émergée d’une crise plus profonde. Par les eaux troubles de la rivière N’Djili, des toxines s’infiltrent silencieusement mettant en danger la faune comme les habitants. Sans action rapide, ces polluants persistants survivront à des générations entières, transformant les artères vitales de la ville en poisons lents.
Image de bannière : Opération de collecte de déchets de l’ONG River Clean up à Kinshasa en RDC. Image de Cédrick Aganze fournie par Elodie Toto.
Citation :
Tshibanda, J., Atibu, E., Malumba, A., Otamonga J-P., Mulaji, C., Mpiana, P.T., Carvalho, F. & Poté, J. (2024). Persistent organic pollutants in sediment of a tropical river: the case of N’djili River in Kinshasa (Democratic Republic of the Congo) Discover Applied Sciences. https://doi.org/10.1007/s42452-024-05962-7
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