- L’expérience de Maromizaha met en exergue la nécessité d’adopter une approche plus englobante de la restauration forestière.
- Elle inclut l’intégration des connaissances locales, la diversification des espèces plantées, l’amélioration des techniques de plantation et de suivi et l’engagement communautaire.
- La gestion efficace des aires protégées repose sur des objectifs clairs, une planification participative et une gouvernance adaptative.
- À l’avenir, il est essentiel de renforcer les capacités locales, d’assurer un financement durable et de promouvoir des politiques favorables à la restauration écologique, pour améliorer les résultats à long terme.
ANTANANARIVO, Madagascar — « Celui-ci et ses amis m’avaient pourchassé. Avec des chiens et des armes blanches, ils étaient à mes trousses dans la forêt et j’en étais tombé malade durant trois jours. Je me le souviens encore très bien ». Ces propos sont ceux d’Andry Rajaonson, primatologue et coordonnateur technique de l’aire protégée de Maromizaha, une réserve de ressources naturelles située à environ 150 kilomètres à l’Est d’Antananarivo, au bord de la route nationale 2.
Maromizaha est un modèle de projet de restauration forestière réussi. Dans une étude établie en 2024 à l’occasion du trentenaire du Groupe d’étude et de recherche sur les primates de Madagascar (GERP), des chercheurs rendent compte des résultats jugés impressionnants. L’étude, qui n’est pas publiée dans aucun journal scientifique reconnu comme tel, a été récemment partagée à un réseau de relations.
En substance, l’étude se résume en ces mots : zéro feu de forêt enregistré à Maromizaha en 8 ans (depuis 2017), grâce aux pare-feux et à la vigilance collective [alors que le pays brûle de temps à autre], plus de 18 hectares regagnés en couverture forestière (passée de 1 441 hectares en 2021 à 1 459 hectares en 2023), 800 ménages impliqués, ayant planté, entretenu et protégé des milliers d’arbres et des lémuriens qui colonisent progressivement la forêt, comme le lémurien à ventre roux (+13,5 %) et le sifaka à diadème (+2,7 %).
À ce propos, Rajaonson, l’auteur principal de l’étude citée plus haut, a dit : « Nous n’avons aucunement le droit de mentir. Tout est vérifiable. Par-delà le suivi écologique mené à partir de 2017, nous avons utilisé des outils scientifiques de mesure en ligne parmi les plus puissants comme le Global Forest Watch ».
Entre 2016 et 2023, son organisation a mis en œuvre un programme de reforestation dans le corridor forestier de Maromizaha. Il a prévu restaurer les écosystèmes dégradés, renforcer la connectivité écologique entre fragments forestiers et favoriser la conservation de la biodiversité locale, notamment les primates endémiques.

En combinant des techniques de reboisement (plantations d’espèces autochtones) et une approche participative impliquant les communautés locales, l’entité a permis la plantation de milliers d’arbres et la sensibilisation de plusieurs centaines de villageois. Le suivi écologique a révélé une amélioration progressive de la couverture forestière et une recolonisation par certaines espèces fauniques.
L’initiative est propice à la réponse positive de certaines espèces. Elle constitue un modèle de restauration forestière intégrant les enjeux sociaux, écologiques et scientifiques dans une perspective de durabilité. Ces actions, qui ont consisté à reboiser des zones dégradées et à renforcer les corridors écologiques, ont favorisé la disponibilité de ressources alimentaires et la diversité des microhabitats, essentiels pour la reproduction et la dispersion des espèces.
Refuge des primates
La réserve de Maromizaha est d’une superficie totale de 2 149,5 hectares, soit deux-tiers de la taille de l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, en France. C’est une aire protégée classée catégorie VI de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), c’est-à-dire pour l’utilisation durable des ressources naturelles, abrite douze (six diurnes et six nocturnes) des 112 espèces de lémuriens vivant à Madagascar.
Ces animaux emblématiques de l’île représentent 20 % des primates dans le monde, en vedette lors du 30e congrès de la Société internationale de primatologie, organisé à Antananarivo, du 20 au 25 juillet 2025. Le président sortant de cet organisme international, Jonah Ratsimbazafy, n’est autre que le président du GERP, le gestionnaire de la réserve de Maromizaha.
Une approche intégrée alliant conservation écologique, développement communautaire et durabilité a été appliquée à la gestion de la forêt. En mobilisant les savoir-faire locaux et scientifiques et en appliquant une méthodologie éprouvée, le gestionnaire a démontré qu’il est possible de revitaliser des écosystèmes dégradés, tout en renforçant la résilience des communautés rurales.

Le modèle, fondé sur la collaboration active des populations locales, la protection de la biodiversité et le développement d’activités économiques durables, constitue un exemple pour la gestion des forêts humides de Madagascar. Il offre une voie prometteuse pour la restauration et la conservation des écosystèmes forestiers, en s’appuyant sur des pratiques adaptées aux spécificités locales et en favorisant une gouvernance partagée.
Lors du passage de Mongabay sur le site, dans la journée du 18 juillet, Rajaonson s’est assis devant son ordinateur portable dans son bureau en face de Gilbert Rakotomalala, un des huit patrouilleurs de la réserve. Celui-ci aussi est l’un des notables villageois et président de l’une des trois communautés de base formellement établies et associées à la gestion de la forêt.
Le face-à-face amical entre les deux hommes était inimaginable dans les années 2010, époque à laquelle le GERP a démarré son action de conservation à Maromizaha. Rakotomalala était alors un des destructeurs confirmés de forêt. Ses amis et lui ont voulu en 2014 agresser le responsable du GERP quand celui-ci a investi le terrain pour la délimitation du site. Ils l’ont suspecté de spolier leurs terres.
Approche innovante de la conservation
Le début de la conservation véritable à Maromizaha était difficile. Les conflits sociaux étaient intenses. Mais la magie de la reconversion s’est opéré au fil des ans. « Par la force des choses, nous avons fini par prendre conscience des bénéfices tirés de la durabilité de la forêt pour nous et nos enfants », a dit Rakotomalala.
Plus de 2 700 habitants se répartissent dans dix hameaux autour et à l’intérieur de la réserve. Une plateforme faisant office d’organe régulateur a été créée en 2018, afin de mieux interagir avec la population locale ayant manifesté ses mécontentements. La structure fédère les leaders communautaires et toutes les autres personnes investies de fonction de représentation, y compris les religieux.

Tous les conflits se règlent au niveau de la plateforme qui se réunit une fois tous les trois mois. La structure est un relai efficace des messages à passer à la communauté. « Nous n’avons cessé de sensibiliser les gens pour qu’ils bannissent de leurs habitudes les pratiques non recommandables », a dit son président, Edouard Rakotovazaha, à la fois notable et patrouilleur.
Des parcelles agricoles coutumières issues de la pratique néfaste de la culture sur brûlis jouxtent la forêt de Maromizaha. Le même constat est observé à l’intérieur du périmètre en raison de l’occupation traditionnelle des terres. L’établissement de la carte des propriétés coutumières dans la réserve est la solution tout désignée, pour inhiber la pyromanie des paysans traditionnalistes.
Toutes les parcelles à l’intérieur du périmètre ont été répertoriées avec l’identification des occupants, à l’aide d’un système de numérotation correspondant aux coordonnées numériques prélevées en présence de tous les villageois. « Les paysans sont libres d’exploiter à leur guise les parcelles qui leur appartiennent, mais à deux conditions : ne pas utiliser de feu et ne pas étendre les parcelles délimitées », a expliqué Randriamialisoa, herpétologiste et chef de site à Maromizaha.
Il s’agit d’une grande innovation de rare occurrence dans l’approche de la conservation à Madagascar. La réserve en question est la seule au pays à être dotée d’un tel outil permettant, à l’aide de récepteurs GPS maniés par les patrouilleurs, d’identifier sans difficulté les incendiaires en cas de feu avéré. « Personne n’a osé brûler les champs agricoles depuis l’établissement de cette carte topographique en 2017 », a dit le responsable.
La cartographie compte quelque 180 propriétaires terriens coutumiers, qui se sentent déjà en sécurité au plan foncier, même si d’autres étapes sont encore obligatoires pour la validité juridique de leurs titres d’occupation. Le réconfort qui en découle, est une motivation de plus pour eux d’adhérer volontiers à l’effort de conservation de la forêt. Les parcelles concernées couvrent 595 hectares, soit un peu moins le quart de la superficie de la réserve.

Tourisme et écotouristiques au profit des communautés
La réputation de la réserve attire du monde. Parfois, les véhicules amenant des visiteurs peinent à trouver place dans la cour et sur le parking improvisé le long de la route nationale à Anevoka, où est implanté le bureau de liaison du GERP, pour la gestion de la réserve de Maromizaha. Durant les hautes saisons d’avril à juin et de juillet à septembre, un guide local peut empocher, en une seule journée, ce que gagne en une semaine un ouvrier ordinaire.
Nationaux et étrangers se bousculent à l’entrée pour en admirer la beauté. Les activités écotouristiques sont ainsi bien vivantes au bonheur des ménages ruraux, qui ont bénéficié des formations et des appuis divers en activités génératrices de revenus dans les domaines d’agriculture, élevage, pisciculture, apiculture, artisanat, éducation, santé, et même en agroécologie. Des services de base dont la communauté a tant besoin pour le bien-être collectif.
Le site aussi est un paradis pour les chercheurs. Un centre de recherche y est opérationnel depuis 2012. Des chercheurs y restent en permanence. Des résidents locaux restent à leurs côtés pour cuisiner, transporter des bagages, monter la garde… Outre les lémuriens, la présence de plus de 410 espèces de plantes et 74 espèces d’oiseaux ne laisse pas les amoureux de la nature indifférents.
L’un des attraits naturels de la réserve se nomme Calumma roaloko, un petit caméléon endémique de Maromizaha. En réalisant l’inventaire des grillons et des sauterelles sur le site, Dr Sylvain Hugel, un chercheur en neurobiologie et zoologie à l’université de Strasbourg, en France, y a redécouvert en 2022, une espèce de sauterelle forestière appelée Malagasyphisis maromizaha, déjà décrite des années auparavant. La forêt locale est donc un sanctuaire de la nature à préserver.
Certes, les populations des espèces de lémurien comme l’Indri indri et la Varecia variegata editorum, ont montré un déclin. D’après l’équipe du GERP, ceci souligne une prise en compte plus accentuée des besoins écologiques spécifiques de certaines espèces. Leur cas met aussi en lumière l’importance d’une restauration forestière adaptée, en tenant compte des exigences particulières de chaque espèce, pour assurer une croissance équilibrée de la biodiversité locale.

Pérenniser les acquis de conservation
La forêt de Maromizaha a capté l’attention des primatologues qui y ont mené des activités de recherche uniquement en 2005-2008. Cinq ans plus tard, ils ont lancé un projet de conservation face aux fortes pressions subies par la forêt. Celle-ci a obtenu son statut d’aire protégée en 2015, pour légitimer les sanctions sévères contre les infractions forestières et environnementales. L’obtention en 2018 du contrat de gestion de la part du gouvernement n’a fait que renforcer les mesures prises jusque-là.
L’appui des partenaires financiers comme la Fondation pour les aires protégées et la biodiversité de Madagascar et le Houston Zoo aux Etats-Unis, a été indispensable pour la mise en œuvre des activités alternatives en faveur de la communauté. L’utilisation efficiente des fonds reçus a été déterminante dans ce sens. Ainsi, le GERP a-t-il pu investir 2,3 milliards d’ariary (505 951 US) de 2015 à 2023.
Maintenant que le succès est au rendez-vous, la question de la pérennisation se pose. Les membres de la communauté ont des soucis à se faire. « L’impact du projet de conservation sur les conditions socioéconomiques des habitants est palpable. Mais, nous, en tant que structures légalement constituées, n’avons pas de budget de fonctionnement. Il n’y a pas de bailleurs pour nous », a dit Rakotovazaha à Mongabay.
À ce stade, la loi régissant les communautés de base associées à la gestion de ressources naturelles à Madagascar, est en cours de révision. Des dispositions spécifiques sur l’aspect financier à leur sujet sont introduites dans la nouvelle version, qui attend sa validation par le Parlement, avant son éventuelle entrée en vigueur, après sa promulgation avec son décret d’application.
Image de bannière : Espèces de lémuriens vivant dans la réserve de Maromizaha. Image de GERP fournie par Rivonala Razafison.
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