- Pour la première fois, le comptage aérien d’une espèce de lémuriens de Madagascar à l’aide de drones est réalisé en 2021. L’idée, soutenue par les Britanniques, s’est vite étendue sur la conservation en général.
- Persuadé du potentiel de la technologie des drones au profit de la conservation, le gouvernement malgache recommande vivement à tous les intervenants dans ce domaine l’usage de ces appareils volants. La prise en compte de l’innovation est inscrite dans les nouveaux contrats de transfert de gestion des ressources naturelles renouvelables.
- Le potentiel réel des drones sur la protection et la restauration de l’environnement ne fait plus de doute et les expériences sur le terrain sont probantes. La Grande île est même sur le point d’exporter en Afrique son expertise en la matière.
- La nouvelle règlementation aéronautique du pays, conformément aux normes internationales, est sortie en février dernier pour mettre fin à l’interdiction formelle de l’exploitation des drones. D’ici à février 2025, date d’entrée en vigueur de ladite règlementation, tous les usagers sans exception, y compris les environnementalistes, doivent se conformer à la nouvelle donne.
ANTANANARIVO, Madagascar — Les populations riveraines du Lac Alaotra, le cœur de la plus vaste zone humide en Afrique (120 000 ha), selon la Convention de Ramsar, sont horrifiées. A leur grande surprise, des habitants ont vu s’agiter dans le ciel, entre 3 et 5 heures du matin, des points rouges lumineux. La peur au ventre, ils ont cru avoir affaire à des fantômes errant en l’air. Ces apparitions inhabituelles ont été considérées comme la manifestation des esprits protecteurs des animaux sauvages vivant dans les marécages du lac et en proie à des menaces croissantes.
Le bandro (Hapalemur alaotrensis), une espèce de lémurien en danger critique, appartient à la biodiversité locale pour laquelle l’antenne à malgache de l’ONG britannique Durrell Wildlife Conservation Trust (DWCT), a mis en œuvre, depuis 1996, un programme de conservation avec les communautés de base ou COBA. Malgré les mesures de protection, le nombre de spécimens de l’espèce phare d’Alaotra décroît sans cesse en raison du déclin des écosystèmes du bassin, accéléré par les pressions toujours grandissantes. L’idée est donc venue de compter les individus restants à l’aide de drones.
Grâce à un projet soutenu par le gouvernement britannique, quatre jeunes environnementalistes malgaches ont, en 2020, suivi durant six mois un programme de formation sur l’exploitation des drones à l’université de Liverpool, au Royaume-Uni. De retour au pays, ils ont mis en application les nouvelles connaissances acquises. Comme les lémuriens du Lac Alaotra ne sortent de leurs cachots dans les forêts de roseaux pour se nourrir des plantes qu’entre 3 heures et 5 heures du matin, les survols, afin de procéder à leur comptage aérien au moyen des drones, ont été calés à cette plage horaire qui coïncide aussi avec la sortie des défricheurs de roseaux.
Les apparitions bizarres qui ont affolé les populations sont les dispositifs lumineux de ces appareils volants. L’anecdote date de 2021, à la fin de la deuxième vague de la COVID-19 à Madagascar. D’autres espèces de mammifères présents sur le même habitat naturel ont aussi pu être identifiées durant les survols. « Les données recueillies ont permis d’étendre la recherche sur d’autres espèces, c’est-à-dire d’inviter d’autres partenaires et chercheurs à se concentrer sur elles », raconte Hasina Andriatsitohaina, Coordonateur du projet Drones chez DWCT.
Cet informaticien de formation, Expert en télécoms et passionné d’intelligence artificielle, fait figure de pape de l’exploitation des drones au service de la conservation sur l’île. Il a mis au point, en partenariat avec le ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD), un drone planteur d’arbres, aujourd’hui breveté au pays. L’engin, avec 60 kg de masse totale au décollage, est capable de restaurer un hectare de mangroves en un quart d’heure. Une telle tâche nécessite un millier d’hommes si elle est faite manuellement. En voilà déjà un exploit de ces moyens technologiques pour les écosystèmes.
« Le premier test a été réalisé en 2021 sur 200 ha à Boanamary, Mahajanga (dans le nord-ouest, ndlr), avec 65 % de taux de germination. Il s’agit de semer des graines et non de larguer des propagules », a-t-il fait savoir lors d’un atelier dédié aux drones au service de la conservation, tenu à Antananarivo le 3 mai pour marquer aussi la Journée mondiale des drones célébrée le lendemain. En février dernier, le même drone planteur a été utilisé pour restaurer 50 ha de mangroves à Morondava, sur le littoral centre-ouest. D’après Andriatsitohaina, les pays comme le Mozambique, la Côte-d’Ivoire et la Guinée-Bissau sont actuellement intéressés à importer l’expertise malgache dans le même domaine.
L’anecdote dans l’Alaotra promet de se multiplier à l’échelle du pays. L’exploitation des drones par les protecteurs de l’environnement relève désormais de la recommandation gouvernementale. Les nouveaux contrats de gestion des ressources naturelles renouvelables (TGRNR), prennent en compte les nouveautés technologiques, en particulier les drones pour la conservation. « Le gouvernement est persuadé de la pertinence de l’exploitation de ces engins pour le bien de la nature. Tous les intervenants dans ce domaine doivent avoir désormais un plan d’utilisation des drones », a affirmé le ministre de l’Environnement et du Développement durable, Max Andonirina Fontaine, en mai, à Antananarivo, lors de l’atelier dédié aux drones au service de la biodiversité à Madagascar.
Quasiment tous les projets de conservation à Madagascar – dont la biodiversité, subit de fortes pressions comme la destruction de l’habitat naturel, le trafic illicite, la chasse, les feux etc. – intègrent désormais l’usage des drones. Des organisations sont convaincues de leur efficience et de leur efficacité pour le reboisement, la cartographie, la photographie aérienne, le suivi écologique, voire même la répression des délits ou crimes environnementaux dument constatés. « J’ai vu des projets à fort impact basés sur les drones. J’ai même pu suivre en live la poursuite des braconniers par les gendarmes. Si on veut résoudre les problèmes, surtout liés à l’environnement, on a besoin d’un ensemble de solutions. Les drones en font partie », déclare Andonirina Fontaine.
Christin Nasoavina, Guide et Président de l’association Mitsinjo à Andasibe Moramanga, sur les hautes terres orientales, n’a pas attendu les consignes de l’Etat pour mettre la main à la pâte. Il est le premier et le seul à initier, depuis 2021, la patrouille aérienne par drone en appui à la patrouille terrestre. L’autodidacte, qui a aussi bénéficié des conseils des visiteurs internationaux, a réussi à faire voler un drone qu’il a acheté dans la capitale. « J’ai la possibilité de surveiller à distance ce qui se passe en pleine forêt. Un survol de 2 à 3 minutes vous transporte virtuellement à des endroits de 5 à 10 heures de marche du point de pilotage », déclare-t-il. Les caméras embarquées de haute précision permettent de collecter en très peu de temps de grosses quantités de données de haute qualité, y compris l’identification claire des individus en flagrant délit, même la nuit grâce aux caméras thermiques.
L’innovation présente des avantages. Les drones jouent le rôle de balises. En devançant les agents de patrouille, ils empêchent ceux-ci de manipuler les renseignements sur le terrain. « En constatant des pressions comme la coupe des arbres ou la chasse des animaux à l’intérieur des aires protégées, en réalité, des agents se laissent corrompre en négociant avec les auteurs des délits ou crimes environnementaux. Puisque les drones ont été dépêchés préalablement pour collecter des preuves, aucune manœuvre frauduleuse n’est plus possible pour les agents déployés », explique à Mongabay Rado Lalaina Randrianjaka, Coordonateur de projet de l’association Fitama à Andasibe. Cette année, l’entité projette d’acquérir deux drones pour renforcer la patrouille de jour comme de nuit.
Ces engins volants ont un effet dissuasif incontestable. Leur passage dans le ciel suffit à faire fuir des destructeurs de l’environnement. Leurs usagers serendent compte de la baisse significative des pressions sur les zones couvertes par les survols. « Nous effectuons des patrouilles en drones à Andohaela dans le sud, à Ankarafantsika dans le nord-ouest et à Marojejy dans le nord. L’impact est palpable bien que difficile à quantifier. Les gens ont peur dès que les drones partent en vol », affirme Ollier Andrianambinina, Chef de département communication et système d’information chez « Madagascar National Parks » (MNP) formé aussi à Liverpool en 2020.
Andriatsitohaina émet la même observation au sujet des forêts de Kirindy, dans le sud-ouest et d’Antimena Menabe, dans le centre-ouest du pays. D’après lui, l ’opportunité de l’utilisation de ces moyens technologiques est avérée. De temps à autre, les drones en patrouille sont équipés de dispositifs permettant de visionner leurs survols en vidéoprojecteur au sol avec la communauté.
Classés aéronefs non habités, les drones ne doivent pas voler au-delà de 120 m de hauteur par rapport au sol. « La fréquence des survols inhibe le courage des téméraires de s’introduire dans les forêts. A la vue des drones en survol la nuit, les occupants des campements clandestins déguerpissent et ne reviennent plus. Les coupes d’arbres baissent ainsi et les surfaces défrichées diminuent », affirme l’expert.
Le manque de ressources humaines par rapport à l’étendue des surfaces à contrôler constitue l’un des problèmes majeurs de la conservation à Madagascar. Une étude publiée en avril dans Conservation Science and Practice décortique cette problématique de manque de ressources humaines et ses échos sur la conservation sur l’île. Comme par coïncidence, le 1er mai dernier, la police thaïlandaise, avec l’aide de l’United States Fish and Wildlife Service aux Etats-Unis, a intercepté sur le sol thaï, 48 lémuriens et 1 076 tortues terrestres endémiques de Madagascar, toutes en danger critique et inscrites à l’annexe II de la CITES. Ces animaux malgaches auraient probablement été collectés dans le sud et le sud-ouest de l’île. Cinq jours plus tard, les douanes malgaches ont interpellé à l’aéroport international d’Antananarivo Ivato un ressortissant israélien avec plus d’une trentaine de reptiles endémiques du pays.
Largement rapportés par la presse nationale, ces récents trafics illicites transnationaux, parmi tant d’autres, qui ont soulevé l’indignation générale des Malgaches et des défenseurs de la nature en particulier, illustrent, une fois de plus, le besoin impérieux de renforcer le système de surveillance des aires protégées ainsi que des frontières de l’île. Normalement, les alertes reçues donnent lieu à des vérifications rapides sur le terrain. Mais le manque de ressources retarde toute réponse immédiate. Pour le cas d’Andasibe, par exemple, seuls 18 agents de parc s’occupent d’Analamazaotra (890 ha) et de Mantadia (13 600 ha). « Humainement parlant, ils ne seront jamais en mesure d’avoir l’œil sur l’intégralité de ces deux parcs. Il existe des coins qu’ils ne verront jamais. En revanche, ils pourront s’y prendre s’ils sont équipés de drones », explique Randrianjaka. Nasoavina, de son côté, fait de son mieux pour former les défenseurs locaux de la nature à l’utilisation de ces appareils.
Par-delà l’instantanéité des interventions, les drones offrent une garantie sécuritaire pour les acteurs. L’île compte 2 129 TGRNR représentant 3 396 554 ha de forêts, mangroves, rivières et autres ressources naturelles si son réseau national d’aires protégées couvre une surface totale de plus de 9 millions d’hectares répartis en quelque 150 aires protégées, dont 125 ont déjà obtenu leur statut définitif. Leur surveillance impose un défi immense à leurs défenseurs qui courent beaucoup de risques dans l’exercice de leur métier. Entre autres, le MEDD a déploré l’agression, dont a été victime un de ses fonctionnaires qui a reçu un coup de coupe-coupe lors d’une traque de défricheurs à Mananara Avaratra, sur le littoral nord-est, fin avril.
Pour les forces de l’ordre appelées en renfort, le recours au service des drones est indispensable. « Parfois, elles ont besoin d’évaluer au préalable la situation sur les lieux d’infractions à l’intérieur de la forêt avant toute intervention », indique Nasoavina. Les drones aussi sauvent littéralement des vies. Les expériences sont probantes pour leur assistance en matière de lutte contre les feux, très fréquents sur toute l’étendue du territoire durant la saison sèche, d’août à novembre-décembre. Les données collectées à l’aide de drones aident à anticiper avec précision les comportements et l’extension probable des feux déclarés et de réagir en conséquence.
La baie de Baly dans l’ouest a été la proie des flammes en octobre 2022 et l’armée avait été mobilisée pour éteindre l’incendie. L’intensité de la chaleur, les directions du vent et le relief ont compliqué l’opération d’extinction. A un moment donné, les fumées épaisses piégeaient des personnes dans des endroits dangereux. « Nous avons équipé le drone avec un haut-parleur pour les guider à trouver les issues de secours d’urgence. Le risque de pertes humaines et de blessures avait été ainsi évité », rapporte Andriatsitohaina. A l’époque, le sinistre est maîtrisé en une semaine, alors que l’intervention d’une telle envergure s’étale sur plus de trois semaines auparavant.
Les drones au service de la conservation et de l’environnement à Madagascar sont utilisés de diverses façons. Outre la surveillance des zones forestières, la détection des feux, la restauration des mangroves, le reboisement massif avec un objectif de 75 000 ha par an et le suivi du reboisement pour évaluer les réussites et les échecs, sont autant de pistes en cours d’exploration. L’analyse de la situation des couvertures et de l’état de l’intégrité de la végétation l’est aussi. « Les drones sont des outils précieux de la conservation. Ils aident à orienter les planifications, les stratégies et les actions de gestion environnementale grâce aux données obtenues en temps réel », dit à Mongabay Jean Hervé Bakarizafy, Directeur des aires protégées, des ressources naturelles renouvelables et des écosystèmes au MEDD.
Ce dernier a tout même un souci à se faire. L’usage abusif de ces appareils compromettrait, à son avis, l’implication effective de la communauté suivant le principe de la gestion locale sécurisée introduite depuis les années 1990 dans la politique environnementale à Madagascar. Beaucoup soutiennent plutôt la notion de complémentarité. « L’exclusion des humains est un argument qui ne tient pas la route. Les drones sont au top du suivi aérien. Ils sont pourtant incapables de suivi écologique dans le sous-bois, d’inspecter ce qui se trame sous la canopée, de réaliser des transects… », indique Randrianjaka.
En revanche, dans le cadre de sa recherche doctorale à la Liverpool John Moores University au Royaume-Uni, Andriatsitohaina développe de nouveaux standards basés sur l’exploitation des drones, couplée avec un algorithme en cours de mise au point, pour identifier et classer les espèces, animales et végétales. Pour les animaux, cette technique innovante permettra à l’avenir de distinguer les femelles des mâles, des petits des adultes…, d’avoir des précisions sur la taille des populations, de mesurer la taille des individus…
Dr Sarobidy Rakotonarivo, Research Leader in environmental socio-economics à l’Ecole supérieure des sciences agronomiques à l’université d’Antananarivo, reconnaît l’opportunité de l’exploitation des drones pour la conservation même si elle dit ne pas être experte en la matière malgré ses nombreuses années consacrées à l’étude de la conservation sur les conditions socioéconomiques des communautés. « Ce n’est pas seulement aujourd’hui que nous utilisons les technologies pour la conservation. Il existe des considérations éthiques à prendre en compte. La communauté s’adonne à des activités culturelles et cultuelles à l’intérieur de la forêt. L’usage des drones pourrait alors avoir des impacts sur sa vie », dit-elle à Mongabay.
Il importe, selon elle, de bien comprendre les raisons poussant les gens à détruire la forêt. On a beau vanter les services écosystémiques de celle-ci. Mais la restriction d’accès et d’utilisation inhérente à la conservation crée d’importants impacts négatifs qui doivent être compensés suivant le principe de sauvegarde sociale. « Pourtant, près de 90 % des aires protégées à Madagascar ne prennent pas trop en considération ces impacts en imposant purement et simplement la conservation, d’où le résultat tel que nous le savons », observe-t-elle. Elle ajoute : « Beaucoup d’études montrent que la destruction et l’exploitation abusive des ressources ne sont pas tellement l’œuvre de la communauté riveraine mais sont en lien direct avec des contextes sociopolitiques lointains, ailleurs et dans d’autres pays ».
De l’avis de Rakotonarivo, la prise en compte de tous ces aspects conditionnerait la réussite de la conservation associant l’exploitation des drones. Dans le cas contraire, l’initiative pourrait contribuer à l’exacerbation des conditions précaires de la communauté. « Bien que l’approche puisse avoir des effets tangibles sur le court terme, elle pourrait ne pas être durable tant que la communauté vivant dans et autour de la forêt n’est pas impliquée dans la gestion des ressources et que ses droits ne sont pas respectés », prévient la scientifique.
Quoi qu’il en soit, en raison de la percée de la technologie des drones, Madagascar a décidé d’ouvrir à partir de 2025 son espace aérien à leur exploitation par le public. Ces engins sont désormais placés sous l’autorité du nouveau règlement aéronautique du pays, appelé « RAM 10 000 », rendu public le 8 février 2024 et qui entre en vigueur l’année prochaine à la même date. D’ici à là, tous les exploitants de drones, y compris les environnementalistes sans exception, doivent régulariser leur situation vis-à-vis de la nouvelle règlementation qui considère les drones comme des systèmes d’aéronef au même titre que les avions conformément aux normes édictées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).
L’Aviation civile de Madagascar (ACM) multiplie depuis quelques temps les séances d’information et de sensibilisation pour l’exploitation responsable des drones. La Madagascar Conservation Drone Community est également fondée en février pour le même motif. En outre, la DWCT, avec toujours l’appui du gouvernement britannique et en collaboration avec d’autres partenaires comme le MNP, a formé, pour le moment, 120 personnes, sur l’usage des drones de manière responsable au profit de la nature à Madagascar. Environ 450 autres personnes sont inscrites au programme jusqu’au 31 décembre.
Madagascar fait un pas décisif pour l’amélioration de la transparence de sa pêche
Image de bannière : Un drone planteur en plein suivi du reboisement à Madagascar. Image de MEDD.