- L’éminent primatologue malgache, Professeur Jonah Ratsimbazafy, Président en exercice de la Société internationale de Primatologie (IPS), premier Africain à occuper cette fonction, met en garde contre les manières de communiquer au sujet de la variole du singe et par rapport aux lémuriens en particulier.
- Les lémuriens sont des prosimiens et non des simiens comme les singes bien que lémuriens et singes soient tous des primates non humains. La variole ne viendra jamais des lémuriens. Ces mammifères emblématiques de l’île, avec 112 espèces connues jusqu’ici, représentent 20 % des primates non humains dans le monde.
- Les primates ne peuvent être le réservoir de la variole en question, qui a été découverte pour la première fois en 1958 au Danemark. En réalité, l’agent pathogène incriminé a été transmis des rongeurs aux singes avant sa retransmission à l’homme.
- La mauvaise communication dont font usage certains médias pourrait détruire toute une économie basée sur les primates, qui est florissante en Afrique et à Madagascar, car il y a une sorte de déduction disant « variole du singe = Afrique ». Une nouvelle appellation est en cours d’invention.
ANTANANARIVO, Madagascar — Outre l’IPS, Professeur Jonah Ratsimbazafy est le Président du Groupe d’Etude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP), qui célèbre son 30e anniversaire cette année. Membre titulaire des académies à Madagascar, en Afrique et dans le monde, le scientifique malgache aux mérites mondialement reconnus, est responsable de la filière pathologie des animaux sauvages à la mention “Médecine Vétérinaire”, à l’université d’Antananarivo. Interview.
Mongabay: Vous êtes le Président en exercice de la Société internationale de Primatologie (IPS). Comme tel, la variole du singe relève de votre domaine d’expertise…
Jonah Ratsimbazafy: Je suis le premier Africain à occuper cette fonction. Des Américains, Japonais, Anglais m’y ont précédé. Mon mandat de quatre ans se termine l’année prochaine. Madagascar accueillera la 30e édition du congrès de l’IPS à la fin de mon mandat. Ce sera un grand honneur pour notre pays. La campagne de médiatisation à ce sujet viendra bientôt, car il y en va de l’image de notre pays. Je voudrais sortir par la grande porte, espérant que ce sera le congrès le plus réussi par rapport aux congrès antérieurs. C’est possible. Mais cela requiert une collaboration de tous les Malgaches et non des paroles en l’air. Certes, les Malgaches ne sont pas tous des primatologues. Des chercheurs de haut niveau se réuniront chez nous. Sachez qu’ils seront des ambassadeurs, qui verront ce qui se passe chez nous et le raconteront chez eux une fois de retour. Nous avons donc intérêt à ce que tout se passe bien.
Mongabay: Quelle signification donnez-vous à la propagation de la variole du singe, sachant qu’il s’agit avant tout d’une question environnementale et de rapport de l’homme avec les primates ?
Jonah Ratsimbazafy: De prime abord, trois catégories d’animaux existent : les animaux de rente, les animaux de compagnie et les animaux sauvages. Ces derniers retiennent notre attention quant à la variole du singe. En réalité, plus de 70 % des maladies contractées par les humains résultent du contact avec les animaux. Elles sont appelées zoonoses. Les trois catégories d’animaux sont susceptibles de transmettre des maladies aux humains. Les singes, des primates non humains, en font partie. Ils sont nos cousins. Les primates et les humains sont autant de primates. Les gènes des primates non humains, les prosimiens et les simiens, et ceux des humains sont proches. Le nombre de leurs chromosomes se rapproche. Cette proximité génétique fait qu’ils peuvent se contaminer mutuellement. C’est ce qui a fait plus de peur au temps de la COVID-19. Le risque de contamination mutuelle est élevé, car nous sommes cousins.
Les humains et les primates non humains se transmettent plus d’une quarantaine de maladies. L’Ebola, le VIH/SIDA, la fièvre jaune, la rage, la tuberculose… en font partie. Il y a maintenant la variole du singe. Les maladies du chien pourraient se transmettre plus difficilement à nous, comparativement à la variole. A l’époque de la COVID-19, le Président rwandais Paul Kagamé a fait preuve de grande intelligence. Il a promptement fermé les frontières pour y stopper le virus. En réalité, il a eu peur de l’éventuelle contamination des gorilles des montagnes qui assurent une manne financière importante pour son pays. A Madagascar, les porteurs du virus ont encore eu le temps de se rendre à plusieurs endroits, y compris Andasibe (la zone touristique la plus visitée de l’île située à 140 km à l’est de la capitale, en raison de la présence des espèces de lémuriens, notamment le fameux Indri indri, ndlr). Nos dirigeants n’ont pas compris que les lémuriens, des primates non humains, et nous pouvons nous transmettre des maladies.
La variole du singe a été pour la première fois détectée en 1958 chez des singes dans des zoos au Danemark. Cela ne veut pas dire que l’agent pathogène a émané d’eux. La maladie est revenue sur le devant de la scène récemment. Elle a été détectée chez des singes en Afrique de l’Ouest. Ses origines pourraient donc être de là. La nouvelle attriste les Africains. Le continent est désigné comme le lieu de naissance de la maladie. Il est vrai que ce sont des singes d’Afrique dont il s’agit à présent. Mais aucune précision n’a été fournie au sujet des singes malades au Danemark quant à leur provenance, qu’ils soient d’Amérique latine ou d’Afrique. Une chose est quand même sûre : les rongeurs, en Afrique de l’Ouest, sont susceptibles de transmettre la variole dont les humains et les singes ne sont pas les réservoirs. Si nous considérons le cas de l’Ebola, les chauves-souris sont les réservoirs du virus. Mais ce sont des porteurs sains qui contaminent d’autres êtres vivants par la morsure… La variole se transmet par le contact, les plaies, l’échange des habits, le baiser, le rapport sexuel… Mais elle est tout à fait guérissable si elle est traitée à temps.
L’Afrique est alors désignée comme étant le point de départ de la variole du singe. Les mauvaises choses qui apparaissent sont toutes attribuées à l’Afrique. Les Africains en ont assez à ce propos. Une idée fait son chemin en ce moment pour trouver un autre nom à la maladie. Nous, à l’IPS, prenons toujours les mesures qui s’imposent. Ce sont des animaux que nous protégeons et sur lesquels nous travaillons. S’il y a des mammifères plus menacés, les primates non humains sont toujours sur la liste partout dans le monde.
Mongabay: Pourquoi justement les primates non humains sont-ils souvent mis sur le banc des accusés, lors des épidémies de portée internationale ?
Jonah Ratsimbazafy: Pour la pathologie des animaux de rente, de compagnie et sauvages, je suis le responsable de la matière “pathologie des animaux sauvages”, à la faculté de médecine de l’université d’Antananarivo. Les volailles transmettent des maladies. Les autres animaux aussi. En cas de peste aviaire, les hommes en contact avec les volailles malades ont les yeux rougis. Ils sont affectés sans en mourir. Les humains et les animaux malades en contact peuvent donc se contaminer à l’infini. Mais pourquoi toujours les accuser ? Les humains ont toujours un doigt accusateur contre les singes. Les humains brûlent les forêts et les chauves-souris partent en choisissant de s’installer au village pour y mordre les bœufs, que les hommes mangent ; et quand ils tombent malades, ils accusent les chauves-souris d’en être les responsables. En réalité, les humains eux-mêmes sont les causes de leurs propres problèmes.
Les maladies ont existé depuis des millions d’années. Mais elles ont toujours été réglées par des mécanismes naturels se produisant à l’intérieur de la forêt. Les pathologies pourraient avoir décimé des animaux qui y ont résisté mal. Mais les humains tendent à suspecter les singes, car dès que les primates non humains sont affectés, les humains sont vulnérables en raison de leur proximité génétique. En effet, la réaction primaire des humains est à l’extermination des primates non humains. Un cas problématique est survenu au Brésil, où les gens ont eu une position extrême vis-à-vis des singes accusés à tort d’être à l’origine des problèmes des humains.
Une telle occurrence pourrait se répliquer à Madagascar à cause d’une mauvaise communication. Les médias de l’Etat envoient des messages du ministère de la Santé publique, faisant croire que la variole du singe est aussi celle des lémuriens, nendran’ny gidro (lémuriens) dans la langue malgache. Les 112 espèces de lémuriens connues jusque-là représentent 20 % de la faune des primates non humains sur Terre. Elles sont la fierté de l’île, son emblème même. Elles sont notre « Tour Eiffel », notre « Statue de la Liberté », nos « pyramides d’Egypte », notre « Grande Muraille de Chine »… Si jamais, ces mammifères sont affectés à cause de la mauvaise communication, nous dirions adieu au tourisme sur l’île.
Lors de la COVID-19, nous nous sommes donné la peine d’assurer que les lémuriens n’ont pas porté le virus. Une seule espèce aurait pu en être infectée. Mais il n’en était rien. Le danger à l’époque est que les gens, sous d’autres cieux, aiment mener des expériences. Rappelons-nous que des tigres ont aussi été infectés ! Si jamais il est des lémuriens en captivité sous d’autres cieux testés positifs, l’image de Madagascar, leur pays d’origine, en pâtirait. Toute une économie basée sur l’industrie du tourisme s’écroulerait alors. Personne ne viendrait visiter notre pays déjà à la merci de la pauvreté endémique.
Mongabay: L’opinion a tendance à attribuer les origines de la variole du singe à l’Afrique. En tant que premier ressortissant africain à la tête de l’IPS, quel message envoyez-vous au monde dans ce contexte actuel ?
Jonah Ratsimbazafy: Je veux rassurer que la variole du singe est guérissable si elle est traitée à temps. Je veux aussi attirer l’attention sur notre rapport avec ces animaux. Laissons-les à leur habitat naturel ! Parfois, les gens se montrent têtus. Certains habitants d’Afrique disent qu’ils sont habitués à vivre avec les maladies comme l’Ebola, mais ce sont les autres qui ne le sont pas. Un tel comportement ne va pas dans le sens de la conservation des animaux sauvages. Le bushmeat est encore une pratique courante sur le continent et, tant que cela ne changera pas, le risque pour les Africains est toujours présent. La progression de cette maladie offre donc une énième occasion pour sensibiliser les populations à laisser ces animaux là où ils sont, car ils sont le moteur de l’industrie du tourisme.
Ils sont en nombre réduit et menacés et, pour les voir, les étrangers dépensent des fortunes. Le tourisme ne demande pas d’investissements énormes. Il suffirait de régler les questions de sécurité, d’hygiène et d’infrastructures aux normes. Autrement dit, les singes et les autres espèces de primates non humains constituent une source de manne financière pour l’Afrique. Leur existence attire les étrangers, qui ne les ont pas chez eux, à venir les voir. Je veux rassurer et affirmer que le changement du nom de la variole du singe est en cours. Le simple fait de prononcer cette appellation a des effets néfastes sur ces animaux, qui distinguent l’Afrique et Madagascar du reste du monde. Autant donc cesser de la faire circuler ou carrément en trouver une autre.
Mongabay: Dans vos sorties médiatiques à Madagascar, vous mettez en garde contre les façons de communiquer au sujet de la variole du singe. Qu’est-ce qui vous inquiète?
Jonah Ratsimbazafy: La prochaine édition du congrès de l’IPS aura lieu à Madagascar l’année prochaine. J’appellerais le ministère de la Santé publique le « ministère de la variole du singe » à cause de l’obstination à véhiculer le message sur la « variole des lémuriens » comme si celle-ci était déjà arrivée au pays. On n’a pas l’idée de ce qui pourrait en être l’impact chez les personnes qui viendront chez nous. Si, à l’étranger, j’entendais dire « variole des lémuriens », j’annulerais mon voyage à Madagascar. Les gens ne viendraient pas. Pourtant, il s’agira d’un congrès international, une publicité gratuite à l’échelle planétaire pour notre pays.
Nous célébrerons la Journée nationale des lémuriens (JNL), le 8 novembre prochain. Je saisirai cette occasion pour clamer haut et fort que c’est nous-mêmes qui disons du mal de la réalité de notre pays. Il est fort possible que la maladie soit transmise si jamais elle arrive chez nous. Mais personne n’est en mesure de l’affirmer. Il est donc indispensable de renforcer la surveillance aux frontières. Est-ce que tous les dispositifs nécessaires à cet effet sont déjà en place ? Je ne sais pas. La communication, qui doit être l’œuvre commune du ministère de la Santé publique et de celui du Tourisme.
Je veux qu’ils fassent une communication positive sur ces animaux qui font la fierté de Madagascar, pour inciter les gens à venir ici l’année prochaine. Seulement, le silence du ministère du Tourisme est gênant. C’est Jonah Ratsimbazafy qui doit crier sur les toits pour défendre les causes de ces animaux. J’en appelle au bon sens du ministre de l’Environnement et du Développement durable (MEDD) pour qu’il amène ses collègues ministres à faire rectifier la communication sur la variole du singe maladroitement traduite en « variole des lémuriens », comme si on faisait croire que la maladie, bien que n’étant pas présente au pays, est déjà dans nos murs. À considérer l’expansion des maladies émergentes, on dira aussi à l’avenir « Ebola des lémuriens ». Il y a lieu de retravailler rapidement les manières de communiquer.
Mongabay: Quels sont les impacts potentiels de la mauvaise communication dans le contexte d’une épidémie pareille ?
Jonah Ratsimbazafy: L’impact socioéconomique sera immense. La communication atteindra facilement la masse. C’est grave. Les gens se feraient des idées fausses sur les lémuriens. Ils pourraient même réclamer le droit de les massacrer, car ils sont supposés transmettre des maladies. La réaction primaire des gens serait à l’autodéfense pour éviter une mort éventuelle. Je rappelle l’expérience du Brésil au début de la variole du singe qui est aussi possible à Madagascar. Cette réaction primaire représente un danger pour nous. La presse internationale a rapporté l’arrivée de la maladie à La Réunion. J’ai alors médiatisé que la maladie n’a pas existé chez nous. Elle n’a pas encore été alors appelée « variole des lémuriens », mais variole du singe. Des mesures ont été prises. Puis, silence, car ce sont des singes jusqu’à ce que le débat refasse surface maintenant.
Plus d’une dizaine de pays en Afrique, y compris le Rwanda, sont touchés. Madagascar compte zéro cas. Mais, imaginez que la cartographie de la maladie montre la Grande île avec deux cas, par exemple ! Quel en serait l’impact ? Nous remercions Dieu de nous en avoir épargnés. Mais, au lieu de le faire, c’est nous-mêmes qui répétons constamment dans les médias que nous avons la « variole des lémuriens ». Dieu merci si Madagascar ne figure pas encore sur la liste. Ce sont des pays frères en Afrique qui y sont cités. Mais je me demande pourquoi La Réunion n’apparaît pas sur la cartographie, alors qu’elle compte déjà des personnes affectées. C’est ce qui frustre les Africains, car il n’y a que des pays africains qui figurent sur la cartographie. Pourquoi les pays européens n’y sont pas inclus ? Les autres protègent leur tourisme. Le MEDD doit alors rassurer que nos lémuriens sont sains.
Mongabay: La 30e édition du congrès de l’IPS se tiendra à Antananarivo en août 2025. La variole du singe aussi est là parallèlement aux préparatifs. Où en sommes-nous en ce moment ?
Jonah Ratsimbazafy: La population a besoin d’être éduquée. Les lémuriens sont clandestinement exportés et élevés en captivité. Leur habitat naturel, la forêt, est détruit. Nous dévaluons nous-mêmes notre richesse. L’Etat doit réagir. Nous voyons des publicités « Visit Rwanda » aux matchs de foot en Europe. Pourquoi ne voyons-nous pas « Visit Madagascar » ? Que représente la biodiversité du Rwanda par rapport à celle de Madagascar ? Je prends aussi l’exemple du Costa Rica. Le tourisme à lui tout seul génère chaque année environ 4 milliards de dollars à ce pays latino-américain. Plus de 2 millions de visiteurs y viennent chaque année. Chez nous, le nombre annuel d’arrivées internationales est de 300 000 environ, loin de la performance de La Réunion et de l’île Maurice. Pourtant, notre nature a une beauté paradisiaque.
Les infrastructures manquent cruellement sur l’île. Selon un ami, le style de gouvernance du feu Président Robert Mugabe a été vivement critique en son temps. Mais, si vous allez au Zimbabwe, les dessertes pour admirer les Big Five sont toutes belles. Le leader a bien compris que l’économie de son pays était là. Chez nous, le trajet pour aller aux endroits à la beauté envoûtante comme Andasibe est éprouvant. Nous avons l’offre. Mais nous ne savons pas la vendre. Le marketing n’est pas notre fort. Les autres exhibent le « Visit Rwanda ». Qu’est-ce que ça donne si vous dites « Visit Madagascar » alors que vous dites en même temps : « La variole des lémuriens existe ici » ? Ce sont deux choses incompatibles l’une avec l’autre. Mais le gouvernement fait la sourde oreille.
Mongabay: Comment la communauté scientifique, notamment celle des primatologues, s’organise-t-elle pour gérer la situation liée à la variole du singe ?
Jonah Ratsimbazafy: Le congrès de l’African Primatology Society (APS) s’est déroulé en Afrique du Sud du 24 au 28 septembre. Nous nous attellons à la célébration de la JNL et au début effectif des préparatifs du congrès d’Antananarivo de l’année prochaine. Les responsables de l’IPS mettent les mains à la pâte. L’Etat y prendra part également. Nous, à Madagascar, créerons la Malagasy Primatology Society (MPS). Le GERP n’est pas le seul à s’occuper des lémuriens. En Ouganda, les guides sont des experts. Leur niveau est très élevé. Nous souhaitons en apprendre d’une telle expérience. N’oublions surtout pas que les participants au rendez-vous d’Antananarivo de l’année prochaine sont des scientifiques de haut niveau.
Nous sommes toujours au courant. En tant que Président de l’IPS, je dispose de huit officiers. L’un d’eux s’occupe des pathologies. Toutes les informations sont discutées au sein du groupe comme en conseil du gouvernement. Nous discutons des appuis et conseils à donner. Nous écrivons aux dirigeants des pays où les primates sont maltraités ou soumis à des expériences scientifiques. C’est interdit. Les primates ne sont pas des cobayes. Nous avons le devoir de le rappeler et apportons notre soutien aux acteurs locaux impliqués dans la conservation. Les maladies ont existé depuis la nuit des temps. Mais nous les ignorons. Une déclaration sur la non utilisation des plastiques interviendra bientôt. Des animaux qui les ingurgitent en meurent. Les plastiques ne sont pas tellement un problème pour les lémuriens. Mais ils le sont pour les grands singes. Une fois perturbés, les primates montent au village pour agresser les hommes. Nos lémuriens sont intelligents. Ils ne sont pas agressifs. Il s’agit d’une question d’éducation, car ce sont les mammifères les plus menacés au monde. Il est de notre devoir de les conserver, car ils sont nos cousins.
Ma conclusion est que les primates non humains et nous pouvons cohabiter parfaitement. Ils nous rapportent des revenus conséquents si nous savons les gérer. Pour nous à Madagascar, 95 % des lémuriens sont menacés. Les espèces menacées sont soit vulnérables, soit en danger, critique. Pourquoi les lémuriens sont-ils menacés ? Tous les lémuriens sont comme les poissons et les poissons ne peuvent pas vivre en dehors de l’eau. Les lémuriens ne peuvent pas vivre en dehors de la forêt. Ils ont besoin de forêt. Nous connaissons tous l’état de notre forêt actuel, qui ne cesse de se dégrader pour des raisons multiples. Il y a encore de l’espoir, d’où l’organisation de la JNL. Chez nous, les peines infligées aux délits environnementaux sont faibles par rapport à la gravité des faits. L’an passé, un individu pris en flagrant délit a écopé d’une année avec sursis assortie d’une amende symbolique. Les autorités thaïlandaises ont en mai dernier intercepté sur leur territoire une cinquantaine de lémuriens et plus d’un millier de tortues endémiques de notre île. L’affaire a créé un buzz à l’échelle mondiale, ce qui est positif. Elle aurait été camouflée si elle s’est passée au pays. La loi n’est pas appliquée, car les voix des électeurs sont nécessaires, et donc il faut plaire aux délinquants. J’ai toujours demandé si l’Etat protège réellement ou non les espèces sauvages.
Mongabay: Le prochain grand rendez-vous d’Antananarivo sera une énième occasion en or pour lancer un message fort aux dirigeants et à la population, quant au renforcement de la conservation des primates qui sont aujourd’hui menacés…
Jonah Ratsimbazafy: L’idée de louer des animaux sauvages est devenue courante. En Chine, un panda peut générer jusqu’à 800 000 euros en une seule année. Mais pourquoi tue-t-on les lémuriens et les singes rares chez nous? Le manque de prise de responsabilité de l’Etat et la non maîtrise des feux sont sources de mauvaises réputations. Auparavant, en Chine, le fait de tuer un panda a valu la peine capitale, substituée aujourd’hui par des travaux forcés à perpétuité. Le primate est important pour les Chinois. Leur économie en dépend en partie et ils en sont fiers. Les Malgaches doivent faire un tam-tam sur le « Visit Madagascar » à toutes les occasions. Mais je n’ai jamais entendu notre Président dire : « Protégeons nos lémuriens ». J’ai déjà entrepris la démarche auprès de tous les leaders successifs. Ce n’est pas pour rien que les Etats-Unis font de l’aigle américain (pygargue à la tête blanche) leur emblème national, le lion pour le Sénégal, l’éléphant pour la Côte-d’Ivoire, l’impala pour l’Ethiopie, le kangourou pour l’Australie… Bref, les pays mettent en valeur les animaux qui les différencient des autres.
Pour nous les Malgaches, le bœuf orne notre emblème pour signifier que les bœufs sont inséparables de notre culture. Seules les personnes qui ne sortent pas de l’île en sont persuadés. Si nous allons en Afrique, nous nous rendons compte facilement que les bœufs sont omniprésents dans la vie des habitants. Les vaches sacrées existent même en Inde. Même le logo de l’université d’Antananarivo met en exergue la tête du zébu. Mais je n’ai jamais vu un seul zébu à l’université. Les Malgaches doivent prêter une attention particulière à la façon d’apprécier les choses. Nous exhortons constamment à la protection des primates. L’Etat se doit de coopérer à cette fin. Ces animaux sont nos richesses et notre fierté. Ils nous aident à vivre et à faire face aux adversités de la vie, surtout dans le contexte actuel des conditions changeantes.
Image de bannière: Ankomba malandy (Propithecus tattersalli), une des espèces des primates les plus menacées de la planète. Image de Rivonala Razafison pour Mongabay.
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