- Le Ritz-Carlton Masai Mara Safari Camp, un hôtel de luxe à 3 500 USD la nuit, a été construit sur les rives de la rivière Sand, un corridor de biodiversité clé pour la grande migration annuelle des gnous, des zèbres et des gazelles.
- L’établissement a été construit après une directive présidentielle interdisant toute nouvelle infrastructure dans les zones de conservation sensibles, ce qui remet en question la légalité du projet.
- Selon Meitamei Ole Dapash, directeur de l’Institut Massaï pour l’éducation, la recherche et la conservation (MERC), il n’y aurait pas eu de consultation avec la population locale, contrairement aux exigences légales pour ce type de site protégé.
Dans le prestigieux Parc national de Masai Mara, au Kenya, la construction d’un hôtel de luxe fait polémique. Il s’agit du Ritz-Carlton Masai Mara Safari Camp, opéré par le groupe Marriott International.
Ce complexe luxueux, qui doit ouvrir ses portes dans la seconde moitié d’août, comprend 20 suites privées, une piscine à débordement, un spa…, le tout pour 3 500 USD la nuit minimum. Mais ce n’est pas le luxe ostentatoire de l’endroit qui pose problème, c’est son emplacement, au bord de la rivière Sand, dans un couloir de migration d’animaux sauvages.
« L’endroit où ils l’ont construit est un lieu réputé pour la Grande migration des gnous, entre la Tanzanie et le Kenya. Chaque année, à cette saison, il y a des millions qui traversent cette rivière, accompagnés par des zèbres et des gazelles. Et, les animaux traversent à des endroits précis. Cet hôtel risque de perturber fortement leurs habitudes », explique Meitamei Ole Dapash, directeur de l’Institut Massaï pour l’éducation, la recherche et la conservation (Maasai Education, Research, and Conservation Institute, MERC), et membre de la communauté Massaï.
La Grande migration, est une période saisonnière de juin à octobre, durant laquelle des herbivores du Parc national de Serengeti en Tanzanie, migrent à la recherche de pâturages sous le regard alerte de leurs prédateurs. Pour cela, ils traversent en grand nombre plusieurs rivières, pour se retrouver de l’autre côté de la frontière, au Parc national de Masai Mara au Kenya. Ce phénomène naturel attire des milliers de touristes, à la fois pour les spectaculaires mouvements des troupeaux, mais aussi pour les “intéractions” entre proies et prédateurs.
Une opportunité financière pour un complexe hôtelier. Mais cette affluence de touristes pose parfois un problème, comme le souligne le plan de gestion officiel du parc naturel kényan : « Dans certains cas, plus de 150 véhicules ont été enregistrés à un seul point de passage (…), les concentrations de véhicules ont, par le passé, soit interrompu les passages, soit généré des mouvements de foules qui ont entraîné la mort d’un grand nombre de gnous, alors qu’ils tentaient de traverser la rivière ».

Pour y remédier, les autorités kényanes ont mis en place plusieurs mesures. En 2023, une directive présidentielle ordonne à l’Autorité nationale de gestion de l’environnement (NEMA) de cesser de délivrer des licences et des permis pour des projets dans les zones clés de conservation, jusqu’à ce qu’une politique de conservation soit mise en place. Parmi les zones citées par la directive, il y a le comté de Narok dont le Parc national de Masai Mara fait partie. « Cet hôtel a été construit après cette directive, ce qui signifie qu’il ne l’a pas respectée », dit Ole Dapash.
Dans une lettre adressée au PDG de Marriott International, Anthony Capuano, le MERC a demandé à voir tous les documents requis par la législation kényane pour la construction du complexe y compris l’étude d’impact environnementale. Au moment de la publication de cet article, il est toujours en attente d’une réponse.
Mongabay a contacté le service de communication de Marriott International, afin d’en savoir plus. Ils nous ont fait parvenir par courriel une courte déclaration, dont voici un extrait : « Nous comprenons l’importance de la région de Sand River et du paysage plus large du Masai Mara. Nous travaillons en étroite collaboration avec Lazizi Mara Limited, les propriétaires et promoteurs kenyans du camp, qui ont confirmé avoir rempli les conditions nécessaires à l’ouverture du camp. Il s’agit notamment d’obtenir les permis et les approbations nécessaires auprès des autorités kenyanes compétentes ».
Toutefois, tout en clamant leur volonté de transparence, Marriott International a refusé de répondre à nos questions. Un manque d’ouverture que regrette le spécialiste de la conservation. « On ne nous a rien dit sur la façon dont le gouvernement du comté de Narok a autorisé cette construction et donc contourné la directive présidentielle interdisant tout nouveau développement dans ces zones protégées. L’autre façon dont Marriott a pu obtenir ce permis, c’est par la corruption et je sais que la corruption est très répandue dans le comté de Narok, tout comme dans le reste du pays », déclare Ole Dapash.

Mongabay s’est ensuite tourné vers le gouvernorat de Narok qui n’a pas répondu à notre sollicitation. Quant à Lazizi Mara Limited, aucun moyen pour les contacter n’est disponible en ligne.
En plus de l’emplacement, Ole Dapash soulève un autre problème dans la construction de ce complexe hôtelier. D’après lui, les promoteurs n’auraient pas consulté la population locale avant le démarrage des travaux : « Ils auraient dû faire ce que l’on appelle une étude d’impact environnemental. Il s’agit d’une enquête scientifique sur l’impact écologique potentiel de toute activité sur un site écologiquement sensible comme la réserve de Masai Mara. L’une des étapes de cette enquête consiste à demander l’avis de la communauté qui vit sur ces terres, faire une consultation publique. Je suis moi-même un défenseur de l’environnement, un Masai et une personne très bien informée au sein de la communauté. Je n’ai pas entendu parler d’une quelconque réunion de consultation. J’ai appris l’existence de cet hôtel quand quelqu’un est venu m’en parler, se demandant ce que c’était et si j’étais au courant. Comme c’est un lieu assez isolé, en dehors de la saison de la migration, personne ne s’y rend, donc, on n’a pas vu ce qu’il s’y passait, tout s’est fait dans le silence ».
Un aspect auquel le communiqué de Marriott répond très vaguement : « Marriott International s’engage à faire preuve d’intégrité, de transparence et de respect à l’égard des environnements et des communautés dans lesquels nous opérons. Nous prenons au sérieux la responsabilité des hôtels de notre portefeuille de respecter les réglementations locales et les normes internationales, y compris celles relatives à la gestion de l’environnement, à l’héritage culturel et à l’engagement communautaire ».
Alors que les premiers clients s’apprêtent à franchir les portes du Ritz-Carlton Masai Mara Safari Camp, le litige enfle. Entre accusations de violation de directives présidentielles, absence de consultation publique et menace pour l’une des plus grandes migrations animales au monde, l’affaire pourrait bien se poursuivre devant les tribunaux. L’Institut MERC a annoncé qu’ils allaient déposer une plainte contre Marriott si aucune réponse ne lui était fournie.
Image de bannière : La construction de cet hôtel de luxe affecte la Grande migration des gnous, entre la Tanzanie et le Kenya. Image de Daniel Rosengren via Wikimédia Commons (CC BY 4.0).
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