- La malnutrition chronique touche plus de 50 % des enfants dans la région de Vakinankaratra, située dans les Hautes Terres centrales de Madagascar, et ce malgré son fort potentiel agricole, selon James Rahamison, coordonnateur régional de l’Office Régional de la Nutrition (ORN).
- La malnutrition entraîne un retard de croissance, une insuffisance pondérale et un affaiblissement du système immunitaire chez les enfants, les rendant plus vulnérables aux infections et aux maladies. Elle compromet également leurs capacités cognitives, avec des répercussions négatives sur leur développement intellectuel.
- Dans la région, des enfants guérissent chaque mois, grâce aux conseils nutritionnels dispensés dans les centres communautaires. Les démonstrations culinaires ont contribué à réduire ce fléau.
- Malgré leur volonté, les mères font face à la pauvreté, au manque de terres et aux difficultés d’accès aux aliments variés pour bien nourrir leurs enfants. Des formations et un soutien en semences et techniques agricoles les aident à diversifier leurs cultures et améliorer la nutrition familiale.
En cet après-midi de mai 2025, à Antsapanimahazo, une commune rurale de la région Vakinankaratra, située dans les Hautes Terres centrales de Madagascar, Emilienne Razafimalala laboure son champ de patates douces sous le soleil. Pour cette agricultrice d’une quarantaine d’années, la culture de la patate douce à chair orange est bien plus qu’un simple moyen de subsistance : c’est une réponse directe à la malnutrition qui a déjà frappé sa famille. En 2022, sa benjamine, alors âgée d’un an et demi, avait souffert de la malnutrition et avait été soignée au « Toby » ou Centre communautaire de nutrition de Mahazina, situé à 15 minutes de sa maison.
Réparti dans tout Madagascar et principalement implanté en milieu rural, le « toby » est géré par l’Office national de nutrition (ONN), afin de lutter contre la malnutrition. Ce centre de santé cible les mères allaitantes, les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans en dépistant la malnutrition et les sensibilise aux bonnes pratiques alimentaires. Il accompagne aussi les mères dans leurs efforts pour sortir leurs enfants de la malnutrition, en leur apportant des conseils adaptés et un suivi régulier.
« On a constaté qu’elle est devenue plus saine et plus forte depuis qu’elle a commencé à manger une alimentation diversifiée. Avant, nous cuisinions les aliments en grande quantité — des ignames, du manioc ou des pommes de terre — sans les associer à d’autres aliments », confie cette mère de cinq enfants, contente du changement intervenu dans leur vie après avoir bénéficié d’une éducation nutritionnelle.
Depuis la mort de son mari, elle élève seule ses enfants. Son quatrième enfant, un garçon, avait déjà souffert de la malnutrition. Cependant, elle n’a pas pu le traiter, car elle n’avait pas encore reçu de formation en éducation nutritionnelle à l’époque. De plus, elle ignorait même que son enfant était atteint de malnutrition. Ce n’est que lorsqu’elle a suivi une formation sur la malnutrition qu’elle en a pris conscience.

Le fils de Nirina Lucie Razanadravao, voisine de Razafimalala, a lui aussi été touché par la malnutrition à l’âge de deux ans. « Je regrette que mon enfant n’ait pas bénéficié d’une prise en charge adaptée, car je ne savais pas ce qu’est un aliment sain et équilibré », dit Razanadravao.
Son fils a huit ans maintenant. Sa sœur a vécu la même situation. Elle a appris que sa benjamine souffrait de malnutrition aiguë modérée lorsqu’elle avait deux ans. « Son poids est jugé insuffisant pour son âge : elle pèse environ 7 kilos, avec un périmètre brachial mesuré à 118 mm, en dessous du seuil de 125 mm », selon les explications d’Isabelle Rakotondravelo, agent communautaire en charge de la nutrition au Centre communautaire de nutrition de Mahazina. Cette fois, la mère a pu sauver son enfant grâce à l’éducation nutritionnelle.
Un bassin de production agricole important confronté à la malnutrition
Vakinankaratra est l’une des régions les plus productives sur le plan agricole. Elle est réputée pour sa production de légumes, notamment les carottes, les pommes de terre, les tomates et les oignons. C’est également une zone de culture du riz, du maïs, du manioc, de la patate douce, ainsi que de fruits (fruits à coque, fruits tropicaux et agrumes).
Malgré ce fort potentiel agricole, la région enregistre un taux élevé de malnutrition chronique, atteignant 51,9 %, selon James Rahamison, coordonnateur régional de l’Office régional de la nutrition (ORN) à Vakinankaratra, lors d’un entretien téléphonique. Il précise que ce taux, bien qu’alarmant, représente une amélioration par rapport à 2018, où il s’élevait à 65 %.
Cette zone abrite de nombreuses entreprises qui achètent les produits agricoles et d’élevage. Selon Rahamison, la principale cause du taux élevé de malnutrition réside dans le fait que la majorité des agriculteurs vendent leurs produits à ces entreprises. « Le reste, déjà pourri, est ce qu’ils consomment, mais cela n’apporte aucun bénéfice nutritionnel. Il est donc normal qu’ils souffrent de malnutrition », explique-t-il.
« Le manque de compétences dans la préparation des aliments constitue également une cause de la malnutrition. Lors de la préparation des repas, certaines vitamines et minéraux sont perdus si la cuisson n’est pas adéquate », a-t-il ajouté. En outre, l’incapacité ou l’impossibilité de consommer au moins cinq groupes alimentaires différents chaque jour représente un problème majeur. Selon l’Office national de la nutrition, les aliments sont répartis en dix groupes essentiels : les aliments de base comme le riz, le manioc ou les haricots rouges ; les légumes à feuilles vertes ; les œufs, la viande, le poisson et la volaille ; le lait et les produits laitiers ; les graines et les noix, telles que les arachides ; les céréales comme le maïs ou le blé ; les fruits ; les légumes, notamment les patates douces à chair orange ; ainsi que d’autres légumes de différentes sortes.
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la malnutrition désigne les carences, les excès ou les déséquilibres dans l’apport énergétique et/ou nutritionnel d’une personne. Le dépistage de la malnutrition s’effectue en mesurant le poids et le tour de bras, ou périmètre brachial (PB).

« Un PB compris entre 11,5 cm et 12,5 cm signale une malnutrition aiguë modérée (MAM), et en dessous de 11,5 cm, une malnutrition aiguë sévère (SAM) », explique Rakotondravelo. Les mères d’enfants atteints de malnutrition aiguë modérée bénéficient de conseils nutritionnels pour améliorer l’état de santé de leurs enfants. En cas de malnutrition aiguë sévère, les enfants sont rapidement orientés vers un Centre de santé de base (CSB II), pour une prise en charge rapide.
La malnutrition chronique se manifeste souvent par un retard de croissance, surtout chez les enfants. Elle résulte d’une carence nutritionnelle prolongée, entraînant une taille inférieure à la moyenne pour leur âge, selon Rahamison. Quant à la malnutrition aiguë, elle correspond à une dénutrition récente et sévère, souvent liée à des situations d’urgence telles que des maladies ou des catastrophes naturelles.
Par ailleurs, la malnutrition affaiblit le système immunitaire des enfants, les rendant plus vulnérables aux infections et aux maladies. Cette situation peut être largement évitée, notamment durant les 1 000 premiers jours de l’enfant — de la conception jusqu’à l’âge de deux ans, grâce à une alimentation équilibrée et diversifiée.
Former les mères, nourrir l’avenir
Chaque mois, les Centres communautaires de nutrition organisent des séances d’éducation nutritionnelle à l’intention des femmes enceintes et des mères d’enfants de moins de cinq ans. Ces rencontres ont pour objectif de sensibiliser les participantes à l’importance d’une alimentation équilibrée, variée et adaptée aux besoins nutritionnels de chacun.
« Je sensibilise les mères à nourrir leurs enfants avec des aliments variés et diversifiés, c’est-à-dire à consommer différents types d’aliments quotidiennement et à varier les méthodes de préparation. Il est important que les repas de la journée incluent au moins cinq catégories d’aliments : des sources d’énergie comme le riz, le maïs, les pâtes ; des aliments de croissance ou constructeurs (riches en protéines) ; et des aliments protecteurs (riches en vitamines et minéraux), comme les légumes et les fruits », a déclaré Odette Razafiarisoa, agent communautaire dans le village de Fiadanana, commune rurale d’Andranomanelatra, vêtue d’une blouse bleue.
Rahamison insiste sur le fait qu’il est primordial de diversifier l’alimentation et de ne pas se limiter à un seul aliment comme le riz. « Celui-ci peut par exemple être remplacé par du manioc ou de la patate douce à chair orange. Associer différents groupes alimentaires — viande, poisson, œufs, lait — contribue à garantir une alimentation équilibrée et adaptée aux besoins nutritionnels de chacun ».
Le thème de l’éducation nutritionnelle varie chaque mois : des conseils pour les mères enceintes, comme l’allaitement exclusif jusqu’à six mois ; la nourriture pour les enfants de plus de six mois, ainsi que pour les enfants d’un à cinq ans.
Les agents communautaires dispensent également des formations sur la préparation de repas équilibrés et variés. Chaque mois, les recettes présentées lors des démonstrations culinaires varient, souvent adaptées aux produits locaux, comme la soupe de manioc ou la soupe de maïs.
Un Centre communautaire de nutrition accompagne mensuellement 170 mères d’enfants de moins de cinq ans et femmes enceintes. En 2023, dans le cadre du projet « Sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages agricoles dans la région de Vakinankaratra » (SANUVA), 40 mères par centre, réparties dans 16 communes de la région de Vakinankaratra, ont bénéficié d’une formation sur la préparation de différents plats à base de patate douce à chair orange, un aliment riche en vitamine A.
Selon Rahamison, « la vitamine améliore la vision, favorise la croissance, soutient le développement osseux et stimule les capacités intellectuelles ». À l’en croire, la patate douce à chair orange joue un rôle important dans la lutte contre la malnutrition.

Les variétés de patate douce à chair orange sélectionnées à Madagascar servent à préparer des soupes et bien d’autres repas pour les enfants. Les animatrices montrent aux femmes et aux mères les bienfaits et les techniques de cuisson de la patate douce à chair orange. Elles leur demandent de reproduire la recette à la maison, après une démonstration culinaire.
Razafimalala qui a mis en pratique les conseils des animatrices est satisfaite de la santé sa fille et de l’apport nutritionnelle de la patate douce à chair orange. « Un changement a eu lieu : nous avons commencé à préparer des plats variés. Par exemple, la soupe à la patate douce à chair orange est devenue une habitude, préparée deux fois par semaine. Mon enfant adore ce plat. Moi aussi, j’en raffole, car ce n’est pas seulement lui qui le mange, nous, les adultes, en profitons aussi ».
À l’instar de Razafimalala, d’autres mères témoignent des bienfaits d’une alimentation plus variée. C’est le cas de Razanadravao, qui affirme avoir observé une nette amélioration de la santé de sa fille après avoir suivi une formation sur la nutrition équilibrée. « Avant, on ne consommait qu’un seul type d’aliment par jour, comme du maïs, de l’igname ou de la patate douce. C’était toujours le même plat. Même si l’on dispose des ingrédients, il faut apprendre à les cuisiner correctement », confie-t-elle, un sourire aux lèvres.
Actuellement, au centre communautaire de Mahazina, parmi les 170 enfants pesés chaque mois, seuls trois sont touchés par la malnutrition aiguë modérée, contre six en 2023. « Auparavant, en 2023, sur dix enfants pesés, un ou deux présentaient une insuffisance pondérale », selon Rakotondravelo. Au village de Fiadanana, le nombre est passé de 11 en 2022 à 5 en 2025.
Les mères face au défi de bien nourrir leurs enfants
Les agents communautaires constatent des différences parmi les enfants selon que leurs mères adoptent ou non un régime alimentaire varié. « Les enfants nourris avec une alimentation équilibrée grandissent bien. En revanche, les enfants dont les mères ne respectent pas ces recommandations sont plus vulnérables et ont un risque accru de tomber malades. Lorsqu’on demande aux mères pourquoi elles n’ont pas appliqué les types d’aliments enseignés pendant la formation, elles répondent qu’elles rencontrent des difficultés financières », confie Rakotondravelo
Francine Rahelinirina a précisé que la production ne suffit pas pour subvenir aux besoins, car la surface cultivable est réduite, alors que les familles s’agrandissent, ce qui diminue encore les terres disponibles. L’habitante d’Antsapanimahazo a mis en avant l’importance des conseils en nutrition et des méthodes de préparation des aliments. Elle souligne toutefois que les recommandations en matière d’agriculture et d’élevage restent tout aussi essentielles, ces activités représentant la principale source de revenus pour la communauté.
Image de bannière : Isabelle Rakotondravelo, agent communautaire au Centre communautaire de nutrition de Mahazina, mesurant le périmètre brachial d’un enfant diagnostiqué avec une malnutrition. Photo prise par Nirina Rakotomiarintsoa, journaliste-photographe, avec son aimable autorisation.
À Madagascar, le changement climatique accélère la propagation des maladies de la vanille