- Les produits cosmétiques synthétiques, largement utilisés dans le monde, ont des impacts nocifs graves sur la santé humaine (cancers, allergies, troubles hormonaux) et l'environnement (pollution des eaux, déforestation, émissions de gaz à effet de serre), d’après une étude.
- Malgré ces dangers mis en évidence, de nombreux consommateurs ignorent les effets nocifs de ces produits, tandis que les régulations et contrôles restent insuffisants pour limiter leurs impacts.
- Pour réduire ces risques, il est essentiel de renforcer la sensibilisation, les réglementations et de promouvoir des alternatives naturelles et durables dans l'industrie cosmétique.
Une étude révèle que l’utilisation des produits cosmétiques a des impacts négatifs variés sur la santé et sur les ressources naturelles, notamment les forêts, l’eau et les sols.
Réalisée par Yohannes Desalegn Wirtu, chercheur au Département des sciences de l’environnement de l’université Madda Walabu d’Éthiopie, cette étude précise que l’utilisation de ces produits cosmétiques synthétiques, qui contiennent parfois jusqu’à plus 10 000 ingrédients, est responsable des risques d’intoxication, d’allergies et de bien d’autres effets indésirables.
« Les produits cosmétiques sont associés à de nombreuses maladies et troubles de santé, tels que le cancer, les malformations congénitales, les problèmes de reproduction et de développement, la dermatite de contact, la chute des cheveux, les lésions pulmonaires, le vieillissement prématuré, les affections cutanées, les allergies, ainsi que des dommages aux ongles », précise l’auteur dans la synthèse des résultats de son analyse.
Pour parvenir à ces résultats, publiés dans la revue Frontiers in Environment Science, le chercheur a sélectionné et analysé 215 études scientifiques pertinentes sur les cosmétiques synthétiques, leurs effets sur la santé humaine et l’environnement, publiées entre 1995 et 2024.
Les études analysées proviennent de diverses sources, notamment de plusieurs bases de données scientifiques telles que Science Direct, Web databases, Google Scholar, PubMed, Environmental Science and Technology, ainsi que des organismes gouvernementaux, des agences environnementales et des institutions de réglementation.
Un véritable problème de santé publique
Dans le monde entier, l’utilisation des produits cosmétiques ne cesse d’augmenter, et avec elle, une gamme de substances chimiques dangereuses utilisées dans leur production. Pour Dr Poyodi Kola, enseignant-chercheur en physiologie et pharmacologie à l’université de Kara (Togo), les impacts sanitaires liés à l’utilisation des produits cosmétiques de synthèse, mis en lumière dans cette revue, représentent un problème de santé majeur. Il estime que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « devrait classer ce problème comme un enjeu de santé publique ».
« Les produits cosmétiques contiennent une large gamme de substances chimiques, dont certaines peuvent avoir des effets néfastes à long terme. Par exemple, des ingrédients chimiques comme les phtalates et parabènes sont connus pour leur capacité à perturber le système hormonal, ce qui pourrait affecter la santé reproductive et le développement des individus. De plus, certaines substances chimiques, tels que les composés du goudron de houille et le formaldéhyde ou formol, sont classés comme cancérigènes, ce qui suscite des inquiétudes concernant leur rôle potentiel dans le développement du cancer à long terme », renchérit Dr Bignoate Kombate, chercheur associé à l’unité de recherche Physiopathologie, substances bioactives et innocuité de la Faculté des sciences de l’université de Lomé (Togo).
Ainsi, l’utilisation de ces produits à bas âge, souligne l’étude, peut causer une baisse de fertilité chez la femme et l’homme, ce qui agirait sur la reproduction.
De plus, l’étude révèle que « les parabènes, couramment utilisés comme conservateurs dans les cosmétiques, peuvent provoquer des irritations de la peau, des éruptions cutanées et d’autres problèmes dermatologiques, en particulier chez les personnes ayant une peau sensible ».
Ces produits contiennent également de l’aluminium, un métal léger, ainsi que des métaux lourds comme le plomb, le mercure, le cadmium, l’arsenic et le nickel, tous reconnus pour leurs effets nocifs sur la santé humaine. Par exemple, le mercure est associé à des dommages aux reins et au système nerveux, tandis que le cadmium peut provoquer des problèmes rénaux et une fragilisation des os.
« Les produits cosmétiques peuvent également être responsables de troubles respiratoires et d’autres affections corporelles en raison des substances chimiques qu’ils contiennent, augmentant les risques pour la santé des utilisateurs réguliers », a dit Dr Kombate à Mongabay.
Au Togo, une étude réalisée par un collège de chercheurs, dont Dr Abla Sefako Akakpo, dermatologue au service de dermatologie et Infection Sexuellement Transmissible (IST) du Centre hospitalier universitaire Sylvanus-Olympio de Lomé, relève que l’utilisation des produits cosmétiques à des fins de dépigmentation peut entraîner des complications cutanées, mais aussi des complications systémiques, compte tenu de leur composition chimique .
« Notre étude montre que l’hypertension artérielle (HTA) systolique (le chiffre supérieur dans une mesure de tension artérielle, Ndlr) et l’obésité étaient significativement associées à la dépigmentation cosmétique volontaire au Togo », précise les auteurs.
L’environnement fortement impacté
L’impact négatif des produits cosmétiques va bien au-delà de l’utilisation par les consommateurs. Ces produits ont des effets négatifs sur l’environnement, depuis leur fabrication, pendant et après leur usage.
De fait, les ingrédients chimiques utilisés dans la fabrication se retrouvent facilement dans la nature par différents moyens, notamment « le rejet direct des installations de fabrication dans les plans d’eau, les eaux de pluie, le lessivage des décharges où les produits cosmétiques sont éliminés, via les pratiques d’utilisation et d’élimination personnelles, telles que le lavage des produits dans les éviers et les douches ».
Par ailleurs, de nombreux produits cosmétiques sont fabriqués dans des pays différents de ceux où ils sont utilisés. Leur transport vers les marchés internationaux génère une empreinte carbone significative, contribuant ainsi à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
L’autre impact de l’industrie de la cosmétique sur l’environnement reste la pollution par les déchets. « Les emballages excessifs, souvent fabriqués à partir de plastiques non recyclables, sont une source majeure de pollution, tant terrestre que marine. Ces matériaux, une fois jetés, se retrouvent fréquemment mélangés à d’autres déchets ou, pire encore, brûlés, ce qui entraîne la libération de gaz toxiques, dont le dioxyde de carbone. Nous savons tous que ce dernier contribue de manière significative au dérèglement climatique, mais il a aussi un effet négatif sur la qualité de l’air que nous respirons. Les sachets plastiques, lorsqu’ils sont abandonnés dans la nature, polluent notre environnement. Il est évident que ces résidus finissent par contaminer les sols ou les mers, provoquant des dégâts irréversibles sur la faune et, par conséquent, sur la biodiversité », explique Dr Etienne Komlan Kounon Tede, Démographe et spécialiste de la gestion des déchets au ministère de la Santé et de l’hygiène public au Togo.
En plus, l’industrie cosmétique contribue à la dégradation des écosystèmes, selon Yendouhame Monkounti, spécialiste en gestion et restauration des paysages forestiers au Togo. « L’on remarque, de plus en plus, une utilisation très importante des ressources végétales naturelles pour plusieurs fins, notamment dans la cosmétique, et, du coup, il y a une pression sur les espèces végétales. La conséquence, c’est que nous notons une disparition de certaines espèces végétales parce que les utilisateurs n’ont pas, pour la plupart, des plans de reboisement, ni de préservation des espèces, au point que des forêts disparaissent ou perdent certaines espèces végétales précieuses. Parfois, c’est tout un écosystème forestier qui disparait au fil des années », dit-il Monkounti.
L’étude ressort, de même, que « la demande d’huiles naturelles, pour plusieurs produits cosmétiques, augmente, ce qui encourage une agriculture intensive et extensive, entraînant la destruction des écosystèmes naturels par la déforestation et la contamination des sols et de l’eau par les pesticides et les engrais ».
Des effets nocifs ignorés
La plupart des utilisateurs de produits cosmétiques synthétiques ne sont pas conscients de leurs effets nocifs. « Un problème majeur dans l’industrie des cosmétiques est le manque général de sensibilisation des consommateurs aux divers produits chimiques contenus dans ces produits. Beaucoup de personnes ne savent pas que les produits cosmétiques contiennent souvent une multitude de produits chimiques », révèle l’étude.
Ainsi, de nombreux usagers des produits cosmétiques, tout comme les professionnels des services de beauté, ignorent les conséquences.
« Moi, j’utilise des gammes de produits dont je ne lis pas l’emballage ou papier autocollant qui contient des écritures dessus. Je connais juste l’efficacité des produits par rapport aux soins de visage ou des cheveux, ou encore pour l’entretien de l’éclat de la peau que je propose aux clientes, qui visitent mon salon. C’est mon quotidien depuis huit ans. Même si j’ai conscience qu’on ne peut pas manger ces produits, je n’en avais aucune idée », raconte Afi Kouame, responsable d’un salon de beauté et de coiffure, à Ségbé, un quartier de la banlieue de Lomé.
Pour sa part, dame Amina Sambi, confie : « Moi et ma fille utilisons des produits de beauté venant de l’étranger pour l’entretien du corps et des cheveux. Ma fille, depuis son bas âge, je lui fais tresser ses cheveux jusqu’aujourd’hui, mais je n’ai pas vraiment pensé à la toxicité de ces produits pour la peau, voire l’environnement. Nous mélangeons les boîtes vides avec les déchets ménagers ».
Toutefois, Poyodi Kola, nuance que même si une partie de la population ignore les effets négatifs de ces produits qu’qu’elle utilise, d’autres en sont bien conscients. Ces derniers continuent par faire usage de ces produits dangereux en raison d’une absence d’alternative.
« Une partie de la population est consciente de l’effet de ces produits cosmétiques sur la santé et l’environnement. Mais elle reste sans pouvoir, sans actions concrètes pour se détourner de cet impact. Cette situation est due au fait que, d’un côté, l’importation ou la production et la vente de ces produits constitue un business rentable et de l’autre côté, les Etats n’arrivent pas à réglementer l’entrée sur leur territoire de ces produits sur lesquels ils reçoivent des taxes. Ce qui est très important, c’est qu’il faut proposer des alternatives à l’utilisation de ces produits cosmétiques contenant des ingrédients chimiques », a dit Kola à Mongabay.
Renforcer la réglementation et les systèmes de contrôle pour sauver les consommateurs
La vie des consommateurs des produits chimiques est exposée à une multitude de dangers. De même, l’industrie de la cosmétique influe négativement sur les ressources naturelles vitales pour l’homme. Dans ce contexte, il urge d’agir pour réduire les impacts.
« L’analyse du risque non cancérogène des produits cosmétiques et de soins personnels est essentielle pour garantir la sécurité des consommateurs, en particulier, lorsqu’on considère les effets combinés de plusieurs substances nuisibles », indique Wirtu dans son étude.
« Etant donné que c’est vraiment un problème majeur, il faut des décisions concrètes. Il faudra expliquer vraiment à la population les effets à long terme de l’utilisation de certains produits cosmétiques de synthèse, à travers des programmes de sensibilisation, qui devront être bien structurés et sur une période raisonnable, afin de parvenir à un changement de comportement des consommateurs. Il le faut parce que, le plus souvent, les effets ne surviennent qu’après des années d’utilisation », recommande Dr Kola.
En plus de la sensibilisation, les gouvernants de chaque pays devraient prendre des mesures pour limiter l’utilisation des produits cosmétiques de synthèse.
Non seulement, les sensibilisations sont nécessaires, mais les décideurs de chaque pays devraient prendre des mesures pour limiter l’accès à ces produits et leur utilisation par les populations surtout en Afrique. Il s’agit, d’après, Eric Ametsipé, Président de l’Association Vallée des Métiers de Beauté (VMB), une structure regroupant les acteurs du secteur de la cosmétique au Togo, de renforcer les contrôles sur le marché tout en outillant les laboratoires d’analyses.
« Ce qu’on envoie actuellement sur le marché sans contrôle, est très dangereux pour les consommateurs. Pour limiter les impacts à l’avenir, il faut former et renforcer les laboratoires d’analyses qui, aujourd’hui, manquent à la fois de techniciens spécialisés et de matériels adéquats pour effectuer les analyses, afin de mieux protéger les consommateurs contre les dangers de la cosmétique. En plus de cela, il faut former et équiper les contrôleurs des produits cosmétiques sur les marchés », indique Ametsipé.
Pour permettre aux agents des services de laboratoires et de contrôle d’œuvrer efficacement, Ametsipé recommande « l’adoption, par les Assemblées parlementaires d’une loi sur la réglementation du marché de la cosmétique capable de protéger les laboratoires ou contrôleurs de marché ».
« Il faut une réglementation très forte et proposer des solutions ou des alternatives », insiste Dr Kola.
De fait, la revue réalisée par Wirtu indique que « les cadres réglementaires, tels que les évaluations de sécurité strictes de l’Union européenne et la surveillance de la FDA aux États-Unis, jouent un rôle clé dans la limitation de l’exposition à des produits chimiques dangereux ».
Pour sa part, Mohamed Kourouma, entrepreneur basé à Sokodé, au centre du Togo, et producteur d’une gamme de produits cosmétiques, recommande « le renforcement des contrôles aux frontières pour faire barrière à ces produits, afin qu’ils ne puissent pas accéder au marché ».
Il invite les entrepreneurs locaux, qui pour la plupart, ne font pas recours aux ingrédients chimiques dans la formulation de leurs produits cosmétiques, à « travailler sur leur marque de savon et produit de soins de beauté pour attirer les consommateurs ».
Opter, en effet, pour des produits à base d’ingrédients naturels ou biologiques autant que possible est une bonne pratique pour se préserver des dangers des produits chimiques incorporés dans la plupart des produits cosmétiques.
Ainsi, pour Dr Kombate, « des initiatives pour développer des produits cosmétiques plus sûrs et respectueux de l’environnement pourraient, non seulement améliorer la santé publique, mais aussi contribuer à un modèle de développement durable adapté.
De fait, estime-t-il, une opportunité existe pour promouvoir et améliorer les formulations à base d’ingrédients naturels, qui sont souvent plus respectueux de l’environnement et mieux acceptés par les consommateurs.
Dr Kombate souligne qu’il est important de mener une action concertée entre les scientifiques, les fabricants, les décideurs politiques et les consommateurs pour minimiser les risques sanitaires et environnementaux des produits cosmétiques.
Image de bannière : Un étalage de produits cosmétiques au marché d’Adidogomé Assiyéyé, un marché situé dans la banlieue nord de la ville de Lomé, au Togo. Image de Charles Kolou pour Mongabay.
Citations :
Wirtu, Y.D. (2024). A review of environmental and health effects of synthetic cosmetics. Front. Environ. Sci. 12:1402893. doi: 10.3389/fenvs.2024.1402893.
Akakpo, S., Mouhari, A., Toure, B., Saka, J., Teclessou, J ; et al. (2015). Complications systémiques de la dépigmentation cosmétique volontaire chez les femmes au Togo : étude cas-témoins. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0151963815011011?via%3Dihub