- Des réserves de bauxite, évaluées à un milliard de tonnes, vont entrer en exploitation en 2026, au nord du Cameroun.
- Les éleveurs Mbororo, installés dans la zone de projet, craignent pour leurs moyens de subsistance et pour la survie de leur bétail.
- La junior-minière australienne, Canyon Resources, qui va exploiter la mine à travers sa filiale Cameroon Mining and Alumina Company (CAMALCO), pendant une période 20 ans, rassure que le projet a fait l'objet d'un processus d'approbation rigoureux et bien structuré.
- Le gouvernement camerounais vante beaucoup plus les retombées économiques du projet et s’attarde moins sur les risques socio-environnementaux du projet.
NGAOUNDERE, Cameroun – Sous une fine pluie, cette matinée de début octobre 2025, Malam Chaïbou, 45 ans, balade son troupeau de vaches dans les massifs montagneux de Tchabbal Haléo, un village de l’arrondissement de Martap, situé à une centaine de kilomètres à l’ouest de Ngaoundéré, la capitale régionale de l’Adamaoua. Ce berger, originaire de l’ethnie minoritaire Mbororo, conduit son bétail comme à l’accoutumée, vers une zone abondamment herbeuse, non loin d’une rivière, pour faire brouter ses bêtes. Cette zone de pâturage, qu’il a aménagée et clôturée en bois, se trouve à proximité d’un site minier riche en bauxite, en passe d’exploitation dès 2026.
Selon les données du ministère des Mines, de l’industrie et du développement technologique, les réserves globales du projet Minim-Martap sont évaluées à un milliard de tonnes de bauxite d’une teneur de 51 % en alumine et de 2,4 % en silice, et se chiffrent à au moins 16 milliards USD, selon les cours du marché international. Les réserves de Minim et de Martap feront l’objet d’extraction, d’exploitation et d’exportation pendant 20 ans, avec une cadence de production de dix millions de tonnes par an.
Le projet va être exploité par la société camerounaise Cameroon Mining and Alumina Company (CAMALCO), filiale de la junior-manière australienne Canyon Resources, elle-même appartenant au véhicule d’investissement singapourien, Eagle Eyes Asset Holdings (EEA).

La peur du lendemain chez les pasteurs Mbororo
Dans les mois à venir, les alentours du site minier où Chaïbou mène ses activités pastorales pourraient ne plus lui être accessible, suite au développement de cette mine à ciel ouvert, au lieu-dit « Plateau Danielle », qui héberge les plus grandes quantités de bauxite de l’ensemble du projet de Minim-Martap. Chaïbou est très anxieux et scrute l’avenir avec inquiétude : « Je ne sais pas ce qui va se passer lorsque l’exploitation va commencer. Je ne sais pas si cela va affecter nos pâturages. C’est grâce à cette rivière que nous pouvons avoir de l’eau pour nos besoins, et c’est aussi là où nos animaux s’abreuvent. Si l’eau est polluée, je ne pense pas qu’on peut encore la consommer », dit ce chef de famille, dont le campement se trouve à un jet de pierre de la mine.
Il rapporte à Mongabay que plus de 70 membres de sa communauté vivent autour du « Plateau Danielle ». Ils y mènent essentiellement des activités pastorales, et pratiquent aussi l’agriculture et l’apiculture pour leur subsistance. En aval du « Plateau Danielle », il existe également quatre rivières (Anam, Noukouri, Mabouté et Yanwal), et ces ressources en eau sont essentielles à leur survie et à celle de leur bétail.
L’une de ces rivières se trouve au village Tchabbal Haléo, traversée par la route qui va relier le site d’extraction de la mine à la gare minéralière de Makor, sur une cinquantaine de kilomètres, afin de faciliter le transport du minerai pour l’acheminer par voie ferrée au Port autonome de Douala, la capitale économique camerounaise.
La section de chemin de fer devant favoriser l’évacuation du minerai fait partie d’un projet de développement de la ligne Douala-Ndjamena, dans le cadre d’un programme des investissements ferroviaires, co-financé par la Banque mondiale, l’Agence française de développement (AFD), la Banque européenne d’investissement (BEI) et l’Union européenne (UE), à hauteur de 818 millions USD.
Au demeurant, « la Banque mondiale ne participe pas au financement du projet de bauxite de Minim Martap au Cameroun », a dit une porte-parole de la banque à Mongabay par courriel. « Elle soutient [plutôt] le projet de corridor de transport Cameroun-Tchad », ajoute-t-elle.

Précarité ambiante des riverains de la mine
Le village Tchabbal Haléo abrite plus de 2000 habitants, originaires des ethnies Mbororo et Foulbés, qui vivent dans l’extrême dénuement, sans eau potable – deux puits insalubres abreuvent tout le village–, sans électricité et sans un centre de santé. La localité dispose d’une école publique en cycle primaire complet avec un seul enseignant pour six salles de classe, logées dans une vieille bâtisse en briques de terre, à la merci des intempéries.
Tchabbal Haléo est pourtant le village susceptible de subir le plus d’impacts lors de l’exploitation de la bauxite de Martap. Le projet routier allant du site d’extraction de la mine à la gare minéralière a traversé plusieurs fermes familiales, et a détruit les cultures des villageois sans qu’ils ne reçoivent des compensations financières, indique l’adjoint au chef de ce village, Djika Hamagado. « Nous avons causé avec les responsables de la société CAMALCO, et ils disent qu’ils n’indemnisent pas les champs de maïs, de patates, de manioc, et les zones de pâturages, sauf s’ils trouvent un arbre fruitier dans le champ », a-t-il dit à Mongabay.
Pour les travaux de la route, la société aurait laissé entendre qu’elle n’indemniserait que les personnes dont le tracé impacte les arbres fruitiers, les cimentières, les habitations, ainsi que les domaines privés disposant de titre foncier, dans une région où la propriété foncière est davantage régie par le droit coutumier.
Ce déni de propriétaire foncier est dénoncé par Adamou Djallo, président de la Dynamique associative pour le développement de Martap (DADEM), une entité créée en 2011, pour la défense des intérêts des communautés de Martap, dans le cadre du projet d’exploitation de la bauxite.
« Ici chez nous, il est difficile de compter trois personnes qui disposent de titre foncier sur leurs parcelles. Notre titre foncier, c’est l’attestation de propriété que les chefs de village établissent aux gens, et c’est ce document qui atteste que vous êtes propriétaire d’une portion de terre, et c’est encore le chef qui attribue les terres », explique-t-il. Ce leader associatif déplore également l’absence de natifs de la région dans les recrutements à des postes de responsabilité par la société CAMALACO.

Une récente enquête, menée par l’ONG « Heal the World » dans neuf villages de la commune de Martap, dans le cadre d’un projet dénommé Projet de prévention et de lutte contre l’exploitation minière irresponsable (Pro-PLEMI) et financé par l’Union européenne, révèle que 62 % des personnes interrogées sont inquiètes des impacts négatifs qui découleront de ce projet minier. Ces craintes sont la catastrophe écologique, la pollution des cours d’eau, la délocalisation des communautés, les perturbations de l’activité bovine, la perte de pâturages, le vol des bétails, les abus de la part de la société, les mauvais rapports avec CAMALCO, l’augmentation du coût de la vie, l’insécurité, la déperdition scolaire et la dépravation des mœurs.
Hilaire Kombo, coordonnateur de « Heal the World » a dit à Mongabay : « Notre organisation organise des campagnes de sensibilisation des communautés sur leurs droits, les RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), les impacts de l’exploitation minière, les enjeux et la nécessité d’être organisé pour mieux revendiquer ».
Érosion, pollution, braconnage…, le prix à payer pour la biodiversité
Mongabay a consulté l’Étude d’impact environnemental et social (EIES) du projet, réalisée par le bureau d’études camerounais Andal & Synergy Ingeniering, et rendue publique en octobre 2019. Cette étude révèle que la zone de projet qui couvre les permis de Minim-Martap, de Makan et de Ngaoundal, draine plusieurs rivières, qui se jettent dans le fleuve Djerem, le plus grand cours d’eau de la région.
Les eaux du fleuve traversent une partie du Parc national de Mbam et Djerem, la principale aire protégée de la région, située à 30 km au sud du permis de Ngaoundal et à 50 km au sud des permis de Minim et de Makan. Les rejets de la mine pourraient être déversés dans les rivières et se retrouver dans les eaux du parc, où s’abreuvent les animaux, ce qui est susceptible de constituer un risque pour leur survie.

L’environnementaliste Justin Chekoua, gestionnaire du programme Mine, biodiversité et énergie au sein de l’ONG camerounaise Forêts et Développement Rural (FODER), alerte sur les risques potentiels du projet pour la biodiversité :
« On est dans une zone de chaines montagneuses et une bonne quantité de terre sera amassée. Il y aura beaucoup de déblais, car pour arriver au niveau de la ressource, il faut extraire beaucoup de terre ». « La première question, c’est de se demander, comment est-ce qu’on va gérer les terres stériles qui vont en ressortir ? C’est une activité qui consomme beaucoup d’eau pour extraire la bauxite. Ces eaux usées vont certainement être déversées dans les cours d’eau, qui ruissellent jusqu’au fleuve Mbam. On se demande si un mécanisme pour le traitement de ces eaux sera mis en place avant les rejets ».
En sus, les populations locales utilisent l’eau recueillie dans les cours d’eau qui descendent des plateaux de Minim Martap, Makan et Ngaoundal, et cette même eau sert à abreuver le bétail dans les zones de pâturages entourant les plateaux bauxitiques.
Répondant à une demande d’informations de Mongabay par courriel, Canyon Resources dit que pour éviter la pollution de ces eaux, « un système de drainage va être conçu pour contrôler les eaux de ruissellement, en intégrant soigneusement les sources d’eau naturelles qui alimentent les communautés ». Elle explique surtout, concernant la dégradation de l’environnement découlant de son activité, qu’un processus de réhabilitation est expliqué dans l’EIES. « Il implique le remblayage et la réhabilitation progressifs et continus des zones ouvertes au fur et à mesure de l’avancement de l’exploitation minière, contribuant ainsi à prévenir l’érosion des sols et à favoriser la repousse de la végétation pour lutter contre la déforestation ».
Une précédente EIES réalisée sur ce projet minier en 2010, a révélé la présence potentielle de 44 espèces d’animaux dans la zone du projet, en l’occurrence les chimpanzés (Pan), le léopard (Panthera pardus), l’hippopotame (Hippopotamus), la civette africaine (Civettictis civetta), le pangolin (Pholidota), le porc sauvage oule sanglier (Sus scrofa), le babouin (Papio), le lièvre (Lepus), ou les crocodiles (Crocodylidae).

L’environnementaliste Chekoua redoute de fortes pressions sur la faune, notamment une perturbation des couloirs de migration des animaux, la destruction de leur habitat et une accentuation du braconnage dans la zone. « Étant entendu qu’il y aura des recrutements de personnels, très souvent, les employés recrutés ne sont pas natifs de la localité. Ils auront tendance à aller faire la chasse, soit acheter les gibiers. Ce qui va susciter une demande de la viande de brousse et accentuer le braconnage ».
Canyon Resources dit, au sujet des inquiétudes relevant de l’avenir de la faune sauvage, qu’un plan de conservation et de gestion de la biodiversité a été élaboré spécifiquement pour protéger la faune sauvage dans la zone du projet. Elle indique que « l’évaluation de l’impact environnemental et social (EIES) du projet Minim-Martap a fait l’objet d’un processus d’approbation rigoureux et bien structuré », et que « le rapport final d’EIES a été évalué par le comité technique du ministère de l’Environnement et approuvé par le ministre, ce qui signifie que le projet répondait aux normes environnementales et sociales requises ».
Il importe de préciser que l’État camerounais a laissé entendre que le projet va générer des retombées au plan social, avec environ 5000 emplois directs et 20 000 emplois indirects, avec au passage la construction d’un hôpital de référence et d’une école ultra moderne à Martap et d’un marché ultra moderne à Minim. Au plan économique, les retombées pour l’État s’élèvent à environ 12 % du chiffre d’affaires de la société exploitante, auquel s’ajoutent les impôts de droit commun après retour sur investissement et les dividendes de 10 % au titre de la part gratuite de l’État dans le capital de CAMALCO. L’État bénéficiera également de plusieurs nouvelles infrastructures routières, ferroviaires, énergétiques et portuaires.
Image de bannière : Des femmes en train de chercher de l’eau dans un étang, eau servant également à abreuver le bétail dans les zones de pâturages entourant les plateaux bauxitiques. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.
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