- La réutilisation des eaux riches en nutriments, provenant des élevages piscicoles comme engrais naturels, offre une solution écologique et économique face à la hausse des prix des engrais chimiques.
- En combinant la production de poissons avec celle de fertilisants naturels, les initiatives comme celles de la Copape permettent d’optimiser les ressources disponibles et de réduire la dépendance vis-à-vis des importations alimentaires.
- Le coût réduit des engrais issus de la pisciculture constitue une alternative abordable pour les exploitants locaux, rendant l'agriculture biologique plus accessible.
- En intégrant des pratiques durables et locales, ces initiatives favorisent une transition vers une agriculture plus résiliente, adaptée aux besoins locaux tout en réduisant l'impact environnemental.
À Brazzaville, dans le quartier Mafouta, une petite révolution est en marche. La Coopérative de production d’aliments et de poissons d’élevage (Copape) explore une solution innovante, pour répondre à deux besoins essentiels : produire des poissons pour la consommation et valoriser les eaux de cet élevage en tant qu’engrais naturels pour l’agriculture. Ce procédé, prometteur et durable, suscite l’intérêt des maraîchers et des agriculteurs locaux.
En République du Congo, selon la Banque mondiale, l’agriculture représente environ 17,39 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023, mais peine à satisfaire la demande locale. Seulement, 4 % des terres arables sont exploitées, alors que 35 % de la population active travaille dans le secteur agricole. Le maraîchage, très répandu dans les zones urbaines comme Brazzaville et Pointe-Noire, est l’une des principales activités agricoles.
Cependant, les agriculteurs sont confrontés à la hausse des prix des intrants, notamment des engrais chimiques. Actuellement, un kilo coûte environ 800 francs CFA (soit USD 1,33), un prix prohibitif pour les petits exploitants, qui cherchent des alternatives locales et abordables.
En parallèle, le secteur de la pisciculture au Congo est en pleine croissance, mais reste sous-développé. Selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la production piscicole nationale est estimée à 1 500 tonnes par an, tandis que les importations de poisson dépassent 150 000 tonnes chaque année. Cette dépendance coûte au pays plus de 50 milliards de francs CFA (soit USD 80 millions environ) par an.
Pour combler cet écart, des initiatives comme celle de la Copape misent sur des infrastructures simples et abordables. Guy Florent Banimbi, président de la coopérative, précise : « Le Congo dispose d’abondantes ressources en eau, un facteur clé pour le développement de la pisciculture. Avec des infrastructures abordables, le pays pourrait réduire sa dépendance en poissons importés, souvent de qualité douteuse, tout en renforçant l’agriculture biologique grâce à la valorisation des eaux d’élevage ».
Une double valorisation : pisciculture et agriculture
La pisciculture hors-sol pratiquée par la Copape permet de produire des tilapias et des silures, mais également de transformer les eaux usées issues de l’élevage en un fertilisant riche en azote, phosphore et potassium (NPK). Ces nutriments, essentiels pour la croissance des plantes, constituent une alternative écologique aux engrais chimiques.
Belvers Stanislas Ahmed Nakavoua, spécialiste en aquaculture, souligne l’importance de cette ressource : « Les eaux des élevages piscicoles sont très riches en trilogie NPK. Elles offrent une performance comparable, voire supérieure, aux engrais chimiques, sans les effets négatifs sur la santé humaine ».
Les systèmes agricoles modernes cherchent de plus en plus à adopter des pratiques durables, intégrant des ressources disponibles localement pour réduire leur impact environnemental. Cette démarche s’inscrit notamment dans une logique d’économie circulaire, où les déchets d’un système deviennent des ressources pour un autre.
Dans ce cadre, les eaux des élevages piscicoles, riches en nutriments, peuvent être utilisées pour nourrir les plantes, créant ainsi une synergie entre aquaculture et agriculture.« Les eaux des élevages piscicoles sont très riches en trilogies NPK. Cette trilogie NPK issue des déjections et des urines des poissons élevés dans cet environnement , permet que cette eau soit très utile au lieu d’être déversée dans les plans d’eau naturels. Elle pourrait être utilisée pour un élevage, pour une culture maraîchère ou une culture végétale, afin de permettre à ces espèces végétales d’en bénéficier ; cette trilogie NPK constituant une substance nutritive pour les plantes ».
La méthode a déjà porté ses fruits, comme l’explique Banimbi : « Nous avons testé ces engrais naturels sur des cultures de piments. Les résultats montrent une meilleure coloration et une croissance accélérée des plants. C’est une solution locale et économique, adaptée aux besoins des maraîchers ».
Un atout économique pour les maraîchers
Le coût réduit des engrais naturels issus de la pisciculture constitue un atout majeur pour les maraîchers. « Actuellement, l’urée coûte 800 francs CFA (soit USD 1,33) le kilo. Avec nos engrais, un maraîcher peut fertiliser une planche de 10 mètres avec seulement quatre bidons à 100 francs CFA (soit moins USD 1) chacun », ajoute Banimbi.
Cette solution séduit des consommateurs comme Jophie Paola, une habitante de Brazzaville, qui préfère acheter directement chez les maraîchers : « Je m’approvisionne auprès des maraîchers de Madibou, près de chez moi. Ils cultivent sur place, et je sais que leurs légumes sont frais et sans produits chimiques. Je suis déjà allé directement dans leurs champs vérifier comment ils travaillent, et c’est aussi là que je choisis les légumes que je veux. C’est rassurant, car je vois leur travail et je sais qu’ils utilisent des engrais naturels comme le fumier. En plus, c’est moins cher qu’en supermarché ».
Des défis à surmonter
Malgré son potentiel, la vulgarisation des pratiques de la Copape reste limitée. Nestor Ngoudiakounga, un exploitant agricole dans la zone de Mayanga, déplore un manque de moyens pour promouvoir ces alternatives : « Les solutions de la Copape ne sont pas encore bien connues. Pourtant, elles respectent l’environnement et garantissent une meilleure santé humaine. Il est urgent de produire localement des fertilisants bio pour réduire les coûts et les problèmes de disponibilité ».
Nakavoua insiste également sur la nécessité de la formation et l’encadrement, pour sensibiliser davantage d’agriculteurs : « Le principal défi est lié au financement et à la formation des producteurs. Mais, avec des infrastructures abordables, le Congo pourrait développer la pisciculture, réduire sa dépendance en importations et renforcer l’agriculture biologique».
La République du Congo, dotée d’abondantes ressources en eau, a un potentiel immense pour développer des solutions intégrées comme celles proposées par la Copape. À l’heure où les consommateurs cherchent des produits sains et locaux, ces initiatives pourraient transformer durablement le paysage agricole.
Alors que les prix des engrais chimiques continuent d’augmenter, la pisciculture intégrée est présentée comme une alternative combinant production alimentaire et fertilisation naturelle. Ce modèle associe des solutions favorables à la santé, à l’environnement et à la rentabilité économique, tout en offrant des perspectives pour le développement d’une agriculture durable adaptée aux besoins locaux.
Image de bannière : Des poissons d’élevages. Image de Vivace Mambouana pour Mongabay.
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