- Les eaux douces du bassin de la Lufira, à Likasi dans le Haut-katanga, abritent une biodiversité aquatique composée de tilapias, de silures, de sardines et de crabes très prisés dans la région.
- Le « kimpulandé », un terme utilisé pour désigner les acides et les rejets miniers de l’entreprise Shituru Mining corporation dans les cours d’eau, contaminerait les poissons aux métaux lourds.
- La consommation des poissons contaminés représente un danger pour la santé des populations, selon des chercheurs. Mais il est encore très difficile de connaître l’ampleur du problème faute d’études du gouvernement.
- Malgré nos demandes, l’entreprise minière Shituru mining corporation, mise en cause par les populations, n’a pas daigné répondre aux questions de Mongabay.
« Si le problème persiste, nous allons mourir avec les enfants », déclare à Mongabay le pêcheur Ilunga Kalala Yoano. L’homme de 30 ans prononce ces mots à bord d’une pirogue accostée sur les rives du lac Tshangalele, à Kapolowe mission, un village situé à une heure de route de Likasi, à 120 km à l’ouest de Lubumbashi, dans le Haut-katanga, en République Démocratique du Congo.
Depuis les années 1970, Kapolowe se fait connaître grâce à la diversité des poissons que ce village écoule sur les marchés locaux, principalement dans les villes de Lubumbashi et de Likasi. Les kapolowe [Ils désignent les poissons provenant de ce village, ndlr] sont prisés alors pour leur fraîcheur, leur goût et leur taille.
« Il y avait de très gros poissons en grand nombre, des crabes, des tilapias, des sardines, des silures qu’on pêchait souvent sans aucun effort », dit Jean-Claude Banza, 51 ans, canne de pêche à la main, qui rame pour positionner sa pirogue sur la rive sous un soleil fuyant. Il pratique la pêche dans les eaux douces de Tshangalele depuis 31 ans et se souvient : « Les eaux étaient très claires et très propres ».
Dans ce village, qui vit des ressources halieutiques, les kapolowe ne représentent pas seulement le centre du système alimentaire. Ils se trouvent également au cœur des échanges économiques qui nourrissent cette contrée. « Sans poissons, nous ne pouvons pas vivre », ajoute Simon Ilunga, 33 ans, qui montre sa prise du jour avec un air satisfait du résultat.

Pour les habitants, les kapolowe symbolisent un héritage ancestral à protéger, mais aussi à préserver pour les générations futures. « C’est une source de revenus essentielle pour notre communauté », indique une commerçante, qui sépare les petits poissons des gros dans une bassine, alors qu’à côté, des vendeuses s’empressent de fixer le prix aux clients, qui accourent.
« C’est une activité lucrative, qui nous a aidé à subvenir aux besoins de nos familles. Mais le kimpulandé a détruit notre travail et nous tue », ajoute la commerçante, qui a préféré garder l’anonymat pour sa sécurité. Elle a raconté à Mongabay avoir subi des pressions de la part des agents de Shituru mining, lorsqu’elle avait dénoncé, il y a quelques années, la pollution minière des cours d’eau.
Le kimpulandé, un cocktail qui empoisonne les poissons
En langue locale, kimpulandé désigne « des eaux sales », provenant des usines de traitement des minerais [le cuivre et le cobalt principalement, ndlr]. Ces eaux, constituées des substances toxiques polluantes comme les acides, sont rejetées dans le bassin de la Lufira à partir de la rivière Panda à Likasi (30 km au nord-ouest) et les affluents de Kambove où sont installées les entreprises minières, dont les plus importantes sont à capitaux chinois en joint-venture avec l’État congolais.
Une étude publiée en 2010, dans la revue Tropicultura, indique que ces eaux polluées (ou kimpulandé) aux métaux lourds contaminent les tilapia (Oreochromis macrochir et Tilapia rendalli) et les silures (Clarias gariepinus), des poissons pêchés dans les eaux douces du lac Tshangalele, affectant leur croissance, mais aussi leur processus de reproduction.
« Le lac Tshangalele, où l’on pêche les kapolowe, est devenu le dépotoir de tout ce qui est pollution minière de la région », explique à Mongabay, Bauchet Katemo Manda, professeur à l’université de Lubumbashi et l’un des auteurs de cette étude. « Les échantillons d’eau, de plancton, des plantes aquatiques, des poissons que nous avons récoltés, ont montré de fortes concentrations en éléments de traces métalliques ».
Dans les années 2000, lorsque le gouvernement congolais libéralise le secteur minier pour soutenir le développement économique du pays, le kimpulandé deviendra progressivement un problème pour les pêcheurs. « Nous avons commencé à remarquer que les eaux devenaient très noires et colorées, cela faisait fuir les poissons », dit Banza, sur le rivage, qui pointe du doigt la couleur des eaux de Tshangalele.

« Cette eau est très dangereuse pour les poissons », dit Ilunga Yoano, un autre pêcheur. « Vous allez attraper des poissons qui ont des boutons, qui maigrissent et qui n’ont pas bonne mine, lorsqu’ils sont touchés par cette eau acide. Et lorsque vous le mangez, vous sentez que ça n’a plus de goût », indique ce pêcheur.
Pour la communauté des pêcheurs de Kapolowe, les eaux polluées, qui rongent le bassin de la Lufira, proviendraient en grande partie de Shituru mining corporation (SMCO), une entreprise minière détenue par le groupe chinois Pengxin Mining Holdings, cotée à la bourse de Shanghai, en Chine. Elle exploite une ancienne mine de cuivre de la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), avec une fonderie et une usine hydrométallurgique dans la commune de Shituru, à Likasi.
D’après les défenseurs de l’environnement contactés par Mongabay, cette usine compterait parmi celles qui verseraient le plus de polluants dans les cours d’eau de la région de Likasi. Katemo ajoute que la situation est accentuée par le non renouvellement des bassins de rétention des eaux usées des entreprises minières, qui se mélangeraient aux eaux du bassin de la Lufira.
« Vers 1988, les parcs à rejets de Shituru, qui retenaient les polluants, étaient comblés. Et, au début des années 90, le lac commençait à recevoir toute la pollution de Likasi. Vers 2000, le problème s’est empiré pour les espèces aquatiques, dont les poissons », affirme Katemo.
La santé du consommateur au centre des préoccupations
En 2010, à cause de fortes valeurs de concentration de métaux lourds (de 34 à 84 mg/kg pour le Co ; 19 à 37 mg/kg pour le Cu et 100 à 184 mg/kg pour le Zn) retrouvées dans les poissons, Katemo et ses collègues ont estimé que la consommation des poissons du lac pouvait affecter la santé de l’homme.
« En des termes simples, nous avons trouvé que les poissons n’étaient propices à l’alimentation humaine, donc il fallait interdire la pêche et la vente des poissons du lac Tshangalele », déclare Katemo, qui révèle que près de 100 000 personnes vivent de la pêche dans la région.

« À une concentration normale, certains métaux comme le cuivre sont essentiels pour notre santé mais, tels qu’on en trouve ici chez nous, ce sont des concentrations très mauvaises, essentiellement élevées avec des impacts négatifs sur la santé », dit Célestin Banza Lubaba Nkulu, Directeur de l’Unité de recherche de toxicologie et environnement, de l’université de Lubumbashi « Par exemple, il y a le cobalt, lorsqu’il est en forte concentration, il agit négativement sur le cœur, parce qu’il est à la base de cardiopathie, ce qui fait gonfler le cœur. Il y a le cadmium, qui est à la base de l’insuffisance rénale, le nickel qui est cancérogène ».
« Ce ne sont pas des maladies infectieuses qui peuvent apparaître très vite comme le paludisme et le choléra. Ici, on fait face à des maladies qui apparaissent trop tard et la façon dont aujourd’hui les effluents sont jetés dans les cours d’eau, représente une menace évidente pour la santé des populations », dit Banza.
Sans fournir d’explications, l’entreprise nie
Dans un bref échange téléphonique avec Mongabay, un responsable chargé des relations publiques de Shituru mining corporation (SMCO) a réfuté toutes les accusations de pollution des cours d’eau portées contre l’entreprise par les populations, indiquant que les installations de la société minière seraient situées à une bonne distance des cours d’eau, principalement de la rivière Panda, qui achemine, selon les études consultées par Mongabay, les substances polluantes dans le bassin de la Lufira.
D’après nos vérifications, effectuées à l’aide de Google Earth, l’analyse de géo-localisation montre que les usines de traitement des minerais de SMCO et les cours d’eau ne sont séparés que de quelques mètres, notamment au niveau de la rivière Panda en aval avec l’un des parcs à rejets de SMCO.
Or, une étude de 2022, menée par des chercheurs de l’université de Lubumbashi, et un rapport de la Banque mondiale, publié en 2003, indiquent que les rejets acides des usines de SMCO passent dans les rivières Likasi et Buluo, en dehors de Panda, ce qui contaminerait le lac Tshangalele.
Malgré nos diverses tentatives de relance, au téléphone et par courriel, SMCO n’a pas donné suite aux sollicitations de Mongabay pour un entretien approfondi sur la question.

Entre interdiction et survie, le choix difficile
Sur le rivage du lac Tshangalele, Mujinga Mwamba s’avance avec un panier des poissons. Cet après-midi du mercredi 14 mai, alors que le soleil tente de se montrer à l’horizon, une mère de 6 enfantsaccompagne son fufu [un plat à base de farine de maïs, ndlr] de kapolowe : « Nous continuons à en manger, parce qu’on n’a pas d’autre choix. En ce moment, nous ne savons pas vraiment le danger que cela peut représenter pour notre santé ».
Selon Katemo et Banza, interdire la consommation de ces poissons contaminés serait l’une des solutions pour préserver la santé des consommateurs. Mais, les défenseurs de l’environnement et des droits de l’homme interrogés par Mongabay, disent que cette solution devrait être accompagnée d’une alternative économique pour garantir la viabilité financière aux paysans de Kapolowe.
« Ce qu’on peut faire, pour l’instant, c’est aviser les consommateurs et avant l’interdiction, il faut actualiser les données scientifiques », dit Omer Kabasele, coordonnateur de Green World Solidarity, une ONG environnementale basée à Lubumbashi.
Mongabay a contacté la coordination provinciale de l’environnement du Haut-Katanga, mais celle-ci n’a pas souhaité répondre à nos questions pour des renseignements sur d’éventuelles études sur la pollution des cours d’eau par l’État congolais.
Une source au sein de cette structure a tout de même expliqué qu’en ce moment, ce service, n’est pas en mesure de confirmer la dangerosité des poissons des cours d’eau de la région, sans une évaluation préalable de la qualité des eaux par le gouvernement.
Les difficiles sanctions
Quoi qu’il en soit, pour les organisations de protection de l’environnement et de droits de l’homme, l’impunité, dans le secteur minier, continue de mettre en danger la santé des communautés locales, considérées comme victimes de l’industrie minière. Pour Kabasele, cette impunité serait renforcée par l’inefficacité des services de l’État chargés du contrôle et de la surveillance environnementale.

« Les sanctions ne peuvent être données que dès lors que les infractions sont prouvées et attestées, mais il se fait, en amont, que le fonctionnaire de l’État a des insuffisances par rapport à la qualification et l’identification des infractions environnementales », dit Kabasele. Ce dernier propose de former les agents de l’État chargés d’assurer les contrôles.
Une idée que partage Elie Kadima, coordonnateur de la plateforme des organisations de la société civile dans le secteur minier (POMME) : « Lorsqu’il y a pollution, il faut arriver à établir la responsabilité et cela passe par une analyse scientifique ». Ce dernier estime que l’impunité demeure liée au fait que les organisations environnementales et les services de l’État manquent d’outils techniques pour prouver et qualifier les accusations de pollution. Une situation qui rend la tâche difficile pour demander des comptes aux entreprises qui polluent.
À Kapolowe, il sonne 16h20 minutes quand Ilunga Yoano et ses collègues préparent la pirogue pour retourner sur les eaux du lac Tshangalele. Ils prévoient d’y passer les jours restants de la semaine : « Sans les poissons, il n’y a pas l’évolution de ce village », dit Yoano, qui espère que des mesures seront prises par le gouvernement pour assainir le lac Tshangalele. « C’est notre vie, nous vivons grâce à ces poissons, sans lesquels ce village va disparaître ».