- Située à Kassela à environ 40 km de Bamako, la capitale malienne, la forêt de la Faya fait partie des plus grandes zones forestières protégées du Mali, car elle joue un rôle crucial dans la régulation du climat.
- Autrefois, cette forêt était vivante. Elle abritait une grande diversité d’arbres, d’animaux et de plantes médicinales. Pour les habitants de Kassela, elle représentait bien plus qu’un espace vert, plutôt qu’une ressource, une mémoire, un patrimoine.
- Aujourd’hui, la Faya perd peu à peu son éclat, à cause de la coupe illégale du bois et des feux de brousse, qui affaiblissent cet écosystème.
- Agents forestiers, habitants et associations locales tentent de la préserver, mais les obstacles sont nombreux. Parmi eux, l’insécurité, qui empêche parfois les équipes de contrôle d’accéder à certaines zones reculées de la forêt. Cette situation complique davantage les efforts de surveillance de cet espace vert. Néanmoins, des pistes de solutions sont apportées pour sa protection.
À la mi-mai, la chaleur pèse sur la forêt classée de la Faya. Dans le ciel, des oiseaux volent çà et là, sans réussir à se poser. Ils approchent des arbres, puis s’en éloignent brusquement, comme troublés par une présence inhabituelle ou un changement soudain dans leur environnement.
Autour de ces cris d’oiseaux, des troncs d’arbre couchés au sol. Par endroits, seules les racines sont encore ancrées dans la terre. Mais les branches ont, quant à elles, disparu depuis longtemps. À quelques mètres de là, à la lisière de la forêt, quelques cabris broutent sans gêne les jeunes arbres qui tentaient de repousser.
Voilà aujourd’hui la photographie de la forêt classée de la Faya, au Mali, à environ 40 km de Bamako. D’une superficie d’environ 80 000 hectares, cet espace autrefois dense, est devenu fragile sous l’effet conjugué de l’exploitation illégale, des feux de brousse et d’un manque de contrôle.
« Cette forêt est en danger et cela reste préoccupant. S’il n’y a pas de mesures drastiques, elle va disparaître un jour. Car, la coupe abusive, les feux de brousse et l’insécurité la rongent », témoigne Major Mariam Diarra, chargée de contrôle au poste des Eaux et forêts de Kassela. « Cette forêt sert de loge pour les djihadistes, ce qui fait que nous avons un problème pour accéder à certaines zones pour le contrôle ».

« J’ai une grande famille, il me faut couper du bois et les revendre pour avoir de quoi les nourrir »
La forêt classée de la Faya fait partie des domaines forestiers classés du Mali, soumis à une réglementation stricte. La loi n° 10-028 du 12 juillet 2010 interdit toute coupe ou exploitation de produits forestiers sans autorisation préalable.
Les textes existants ne semblent pourtant pas freiner les coupeurs de bois. Pour eux, cet acte jugé illégal est dû à la pauvreté, à la recherche de subsistance et au manque d’activités génératrices de revenus dans le village. « J’ai une grande famille, il me faut couper du bois et les revendre pour avoir de quoi les nourrir. Il n’y a pas d’activités génératrices de revenus dans ce village. Ma seule alternative reste la coupe du bois. Sinon nous savons que c’est illégal. C’est pourquoi quand on voit venir les agents des Eaux et forêts, on fuit », confie une source anonyme, qui affirme avoir toujours réussi à échapper à la vigilance des agents forestiers.
« Nous faisons des patrouilles. Quand on prend un coupeur de bois, on l’emmène au poste de police. Ceux-ci appliquent les sanctions selon les textes », dit de son côté Major Mariam Diarra, chargée de contrôle au poste des Eaux et forêts de Kassela.
La forêt classée de la Faya longe directement la Route Nationale 10 (RN 10) qui relie Bamako à Ségou, Koutiala et d’autres villes du pays. Cette proximité avec un axe très fréquenté fait d’elle une zone particulièrement vulnérable. Parmi les causes évoquées par les forestiers, figure un geste en apparence banal, « le jet de mégots de cigarette par les voyageurs ».
« En passant par la zone, certains voyageurs jettent des mégots encore allumés en forêt et ces braises déclenchent un feu de brousse. À cela, s’ajoutent les feux déclenchés par les enfants en quête des rongeurs », explique encore Major Diarra. Elle précise par ailleurs qu’« il n’y a pas de mesures mises en place pour éviter les feux de brousse, néanmoins quand on nous alerte, on se dépêche sur les lieux pour éteindre le feu ».
« La forêt est trop exploitée et nous en payons le prix fort »
Dans une étude réalisée par Adama Togola, Shovgi Goychayskiy, Telman Xalilov et Narmina Sadigova, publiée en avril 2023, dans Researchgate, il est indiqué que la forêt classée de la Faya a subi une dégradation sévère au cours des 30 dernières années.
En 1990, la savane boisée couvrait 40 % de la superficie de cette forêt. 30 ans plus tard, en 2020, la savane arbustive sur Bowé prédomine avec 72 %. Les forêts-galeries qui occupaient, en 1990, une superficie de 8667 hectares, soit 11 % de l’ensemble des ressources forestières de Faya, ne représentent plus que 1377 hectares en 2020, soit seulement 1 %.
Cette forêt jouait un rôle vital dans la vie des populations tant par sa faune que par sa flore. Aujourd’hui, cette biodiversité a disparu, laissant ainsi un patrimoine en péril.
Abou Niangadou habite le village de Kassela depuis les années 1996-1997. « Cette forêt a une grande importance pour nous. Nous y trouvons nos bois pour la cuisine, des fruits, de l’air pur et même des plantes médicinales », dit-il. « Autrefois, il y avait des animaux et nous n’osions même pas y couper un cure-dent. Mais aujourd’hui, la dégradation est visible, la forêt est trop exploitée et nous les habitants on paient le prix fort ».

Le conseiller du chef du village de Kassela, Daouda Dembélé, explique que la forêt classée de la Faya est au cœur de la vie du village. Malgré les efforts de sensibilisation menés localement, avec l’appui des agents des Eaux et forêts, la protection de la Faya reste difficile. Le manque de moyens constitue le principal frein aux initiatives de reboisement, souvent portées par des associations locales qui n’ont pas des ressources nécessaires pour agir chaque année.
Selon lui, la coupe illégale de bois persiste, non pas par volonté, mais par nécessité, faute de projets de développement dans le village. « Sur 100 coupeurs, 90 te diront qu’ils n’ont pas envie de couper le bois. Mais ils n’ont pas le choix. Si ces personnes ont des projets, c’est sûr que cela diminuerait la coupe illégale », dit-il. Pour lui, « la forêt ne peut pas être sauvée si les gens ne connaissent pas son importance ».
Selon une étude de Global Forest Watch, en 2020, le Mali comptait 6,93 millions d’hectares de forêt naturelle, ce qui représentait 5,5 % de la superficie totale du pays. En 2023, le pays a perdu 28 100 hectares de forêt naturelle, ce qui équivaut à 7,64 millions de tonnes d’émissions de CO2. Cette perte est attribuée à des facteurs tels que la coupe du bois et les feux de brousse. D’après la même source, 112 alertes de déforestations ont été signalées au Mali, entre le 12 mai 2025 et le 19 mai 2025.
Les actions de sensibilisation et de reboisement malgré les obstacles
Face à cette dégradation continue, des associations locales s’efforcent de trouver des solutions pour régénérer l’écosystème forestier, bien que leurs moyens restent limités. L’espoir repose sur la sensibilisation des populations et les actions de reboisement.
Gaoussou Djiguiba, secrétaire administrative de la Coopérative pour le développement du village de Kassela, détaille leurs initiatives : « Nous faisons du reboisement. Nous faisons pousser des pépinières, dont nous prenons soin jusqu’à leur replantation dans la forêt. Nous ambitionnons, dans les années à venir, de planter des espèces d’arbres durables comme le neem, l’eucalyptus et le tectona. Ce sont des arbres résistants ».
Au-delà des activités de reboisement, ces initiatives locales s’accompagnent d’un travail de proximité avec les communautés. La sensibilisation reste en effet un levier essentiel pour freiner la déforestation et encourager des pratiques durables. C’est dans cette dynamique que s’inscrit la coopérative. « Nous menons aussi des actions de sensibilisation auprès de la population concernant la coupe du bois. Car certains arbres, lorsqu’ils sont coupés d’une certaine manière, ne repoussent plus et finissent par mourir », dit-il.
Malgré leur engagement, ces associations se heurtent à plusieurs obstacles dans la mise en œuvre de leurs actions sur le terrain. « Nous rencontrons des difficultés. Après la plantation, nos jeunes arbres sont souvent détruits par les feux de brousse ou broutés par les animaux que les bergers font pâturer dans la forêt », dit Gaoussou Djiguiba de la Coopérative pour le développement du village de Kassela.
Avec ses amis, Braz Dembélé, un Malien résidant à Bamako, a, en septembre 2024, « planté une cinquantaine d’arbres eucalyptus et caillcédrat, car ces plantes ne nécessitent pas d’arrosage ». Récemment, le 1er mars 2025, lorsqu’il s’est rendu à Kassela, il affirme avoir « constaté que tout avait été brûlé ».
Autrefois, la forêt classée de la Faya constituait un refuge pour les animaux sauvages migrateurs, notamment ceux en provenance de la Côte d’Ivoire. Ces derniers empruntaient un couloir naturel jusque dans la forêt, mais cette dynamique a été bouleversée par une pratique humaine : la pose de pièges tout au long de leur trajet.
Cette « culture de piège », motivée par la chasse, a provoqué une rupture de la chaîne écologique. « L’installation massive de pièges a, non seulement décimé une grande partie des espèces animales, mais elle a aussi contribué à déséquilibrer l’écosystème forestier. Privée de sa faune, la flore s’est à son tour appauvrie », explique Tidiane Sangaré, un expert forestier interrogé dans les anciens locaux de la direction nationale des Eaux et forêts.

Quelques pistes de solution pour freiner la dégradation de la Faya
La faune et la flore de cette forêt classée, autrefois riche et dynamique, ont aujourd’hui presque disparu. Ravagée par les feux de brousse, les coupes abusives de bois, l’exploitation anarchique et l’installation de piège, la forêt continue de se dégrader. Les efforts de reforestation menés par certaines associations locales sont freinés par le manque de moyens matériels et financiers. Face à cette urgence, l’expert forestier propose des pistes concrètes pour freiner la dégradation de ce patrimoine écologique.
Parmi les premières solutions évoquées, figure la nécessité d’élaborer un plan d’aménagement et de gestion conforme à la loi 10-28, comme préalable à toute activité dans la forêt. « Le plan d’aménagement est élaboré à partir de plusieurs études : inventaires floristiques, fauniques, étude hydrique. Ce document stratégique permettrait de définir les zones à restaurer, les espèces à protéger et les usages compatibles avec la conservation », dit-il.
Autre piste de solution : l’arrêt immédiat de l’exploitation forestière. Selon le spécialiste Sangaré, « aujourd’hui dans le cas typique du Mali, il faut complètement arrêter l’exploitation. Même les organisations internationales nous interpellent sur notre statut sahélien ».
L’expert forestier recommande également le réinvestissement effectif des ressources financières issues de l’exploitation forestière, via le fonds d’aménagement et de gestion. À l’en croire, « ce fonds existe, mais n’est pas utilisé comme prévu. Les textes disent que 80 % doivent retourner dans la forêt. Si ce fonds était réellement mobilisé, il pourrait financer beaucoup d’activités ».
Ces solutions doivent, à son avis, s’inscrire dans une vision à long terme, coordonnée entre l’État, les communautés locales, les ONGs environnementales et les partenaires techniques et financiers.
Image de bannière : La forêt de la Faya, située à environ 40 km de Bamako au Mali. Photo de Mariam Sanogo pour Mongabay.