- Le Parc national de la Lobéké, situé au Sud-est du Cameroun, à la frontière avec le Congo-Brazzaville et la République centrafricaine, est sous la menace permanente des braconniers, majoritairement des étrangers.
- L’effectif des écogardes, au nombre de 29 pour plus de 270 000 hectares, est insuffisant pour garantir une meilleure protection de la biodiversité dans cette aire protégée transfrontalière.
- La lutte contre le braconnage est de tout de même prometteuse, grâce à l’implication active des peuples autochtones Baka et des communautés locales dans les activités de surveillance du parc.
- Le Conservateur, Donatien Joseph Guy Biloa, ambitionne à court ou à moyen terme, d’assurer une couverture spatiale d’au moins 80 % du parc, pour mieux garantir sa protection.
Le Parc national de la Lobéké, l’une des aires protégées les plus importantes du Cameroun, situé au Sud-est du pays, couvre une superficie de 217 854 hectares, et fait partie de l’entité Tri-National de la Sangha. Il s’agit d’un réseau de trois parcs au nombre desquels figurent également le Parc national de Nouabalé-Nki au Congo-Brazzaville et le Parc national de Dzanga-Ndoki en République centrafricaine.
Ce parc intègre un modèle de gestion participative, prenant en compte l’accompagnement technique des organisations de défense de la nature, en l’occurrence le World Wildlife Foundation (WWF), et la contribution des peuples autochtones Baka et des communautés locales, dans la promotion des activités de conservation. Ces populations sont devenues, au fil du temps, des acteurs clés de la chaine de conservation, aux côtés des services étatiques du ministère des Forêts et de la faune. Elles aident les agents de l’État dans la lutte contre le braconnage, les assistent dans le suivi écologique du parc et dans la collecte des données essentielles, pour protection de la biodiversité du parc. En retour, elles tirent des bénéfices générés par l’ensemble de leurs actions, grâce à des micro-projets sociaux financés par le ministère des Forêts et de la faune.
Si des espèces emblématiques comme les éléphants de forêt, les gorilles des plaines occidentales, les buffles, etc., vivent encore dans le Parc national de la Lobéké, c’est en partie grâce à l’excellence des rapports qui existent entre les services de conservation et ces communautés. Au demeurant, celles-ci sont régulièrement confrontées aux conflits avec ces animaux, qui détruisent leurs cultures, les privant de leurs moyens de subsistance. La recherche des solutions à ces conflits préoccupe au premier chef le Conservateur du parc, Donatien Joseph Guy Biloa, qui a accordé une interview à Mongabay, dans laquelle il a évoqué les nombreuses actions menées pour une meilleure gestion du Parc national de la Lobéké.

Mongabay : Quels sont vos priorités actuelles concernant la gestion du Parc national de la Lobéké ?
Donatien Joseph Biloa : Notre objectif principal, c’est de garder l’intégrité du Parc national de la Lobéké. La biodiversité doit être préservée, parce que sans cette biodiversité, le parc n’existerait plus. Pour ce faire, nous déployons des stratégies pour la préservation de cette biodiversité à travers les patrouilles que nous menons dans le parc. Elles sont pédestres, fluviales et parfois motorisées. Notre principal défi, c’est d’assurer une couverture spatiale d’au moins 80 % du parc, dans la limite de nos moyens.
Mongabay : Quelles sont les plus grandes menaces auxquelles vous faites face dans l’exercice de vos missions ?
Donatien Joseph Biloa : La plus grande menace, c’est le braconnage transfrontalier. On a des sujets des pays voisins (la Centrafrique, le Congo, la République Démocratique du Congo), qui de temps en temps, font des incursions dans notre aire protégée. Mais ils font face à l’adversité de nos écogardes qui sont toujours présents. La surveillance est permanente.
Mongabay : Qu’en est-il de l’exploitation forestière ?
Donatien Joseph Biloa : C’est vrai que le parc est limité par des UFA (unités forestières d’aménagements), mais la chance que nous avons, c’est que ce sont des limites naturelles. Jusqu’à présent, il y a aucune intrusion des forestiers dans le parc. Cependant, il existe des activités d’exploitation minière artisanale à la lisière du parc, que nous combattons sans relâche. Lorsqu’on interpelle les artisans miniers, on les défère chez le Procureur de la République, car c’est une activité interdite.
Mongabay : Quels sont les impacts relevant du changement climatique ?
Donatien Joseph Biloa : Le changement climatique a un impact négatif sur la faune, notamment au niveau des clairières, où on observe une fréquentation optimale des animaux. L’assèchement de ces clairières poussent les animaux à ne plus les fréquenter régulièrement et cela a un impact direct sur le tourisme.
Le grand fleuve Sangha a presque tari et a entrainé la rareté des poissons. En combattant contre le braconnage, de nombreux villageois ont trouvé refuge dans la consommation du poisson à travers la pêche, qui est pratiquée par les populations des trois pays (Congo, Centrafrique et Cameroun). Lorsque la saison sèche est rude, le niveau d’eau baisse énormément dans le fleuve. Même pour nous mouvoir, c’est un difficile.
Mongabay : Comment le parc gère-t-il la question de l’accès aux terres agricoles pour communautés pour éviter d’éventuels conflits ?
Donatien Joseph Biloa : Il n’existe pas de problème de terre entre les communautés et le parc. La distance qui sépare le parc des services de conservation est de 25 km. Entre le parc et les villages, on retrouve les UFA. Il y a également des zones agroforestières qui sont dédiées aux activités agricoles des populations. Le seul problème auquel on est régulièrement confronté, c’est le conflit homme-faune, en particulier le conflit homme-éléphant.
Mongabay : Quels types de mesures avez-vous adopté pour lutter contre ce conflit entre l’homme et la faune ?
Donatien Joseph Biloa : On a essayé quelques méthodes qui n’ont pas porté des fruits. Avant, on avait adopté la méthode des ruches d’abeilles. Le parc avait installé les ruches d’abeille dans les villages et l’objectif était que, grâce aux bourdonnements des abeilles dans les oreilles des éléphants, ils puissent repartir. Mais cette méthode a échoué, parce que les populations n’ont pas fait le suivi de ces ruches. Elles ont été abandonnées. La deuxième méthode, c’était les champs de piment autour des plantations. Mais elle a aussi échoué, car le Sitatunga (Tragelaphus spekii) venait brouter les jeunes plants de piment mis en terre. La troisième méthode, c’était les bombes à piment, qui nécessite du vent pour obtenir les résultats, mais étant en zone de forêt, le vent ne souffle pas beaucoup. Maintenant, la méthode usuelle, c’est de les refouler à travers les tirs à l’arme dans le ciel par nos écogardes.
Mongabay : Est-ce qu’il existe des mécanismes de redistribution des actions de conservation du parc avec les communautés ?
Donatien Joseph Biloa : La gestion du parc est participative. On gère le parc avec les populations. Nous avons mis en place des bonus de conservation. Nous avons 22 villages autour du parc. On organise une sorte de concours, qui récompense les villages qui ont fait le plus grand nombre de dénonciations de braconnage dans leurs territoires. Les gagnants reçoivent des primes. La dernière cérémonie de récompense des villages ayant tenu ce pari en 2024, a eu lieu le 25 mars 2025, et cette récompense, évaluée à 10 millions de francs CFA, a été redistribuée aux différents villages. Il ne s’agit pas de l’argent en espèces, mais du financement de micro-projets communautaires en fonction de leurs besoins.
Au cours de l’année de 2024, les communautés locales ont engrangé, en dehors des bonus de conservation, plus de 40 millions de francs CFA de gains directs, grâce à l’accompagnement des touristes et aux divers services rendus aux visiteurs.
Mongabay : Il y a eu par le passé des cas de violations des droits des peuples autochtones, notamment les droits fonciers, le refus d’accès dans le parc. Qu’est-ce qui est fait pour résoudre définitivement ces problèmes ?
Donatien Joseph Biloa : Nous avons des sessions de renforcement des capacités des écogardes sur les droits de l’homme chaque année. Depuis notre magistère, il n’y a pas eu de cas de violation des droits des peuples autochtones ou des populations locales. La plus grande avancée, c’est la signature entre le ministère des Forêts et de la faune et l’association ASBABUK (Association Sanguia Baka Buma’a Kpode), d’un MoU (Memorandum of understanding). Dans ce MoU, les Baka ont un libre accès au parc pour exercer leurs droits d’usage. Cela veut dire que, même si on trouve les peuples autochtones dans le parc, en train de faire le ramassage, la cueillette, la petite chasse avec des outils rudimentaires (lances, pièges avec lianes, etc.), ils ne seront pas inquiétés, car ils sont dans le respect du MoU. Mais si on les trouve avec les câbles en acier, cela veut dire qu’ils violent les clauses du MoU. Ils sont régulièrement sensibilisés et nous mettons les moyens prévus à la disposition d’ASBABUK. Le parc est en train de construire un bureau pour cette association, on va les doter de matériels roulants, d’outils informatiques, et de ressources financières pour mettre en œuvre leurs activités. On prévoit également d’installer les bureaux de gestion des parcs dans tous les villages pour améliorer la gestion participative du parc avec les communautés. Et, ces bureaux seront gérés par les responsables de ces villages désignés selon leur convenance.

Mongabay : Quelles sont les types d’espèces fauniques qui ont fait l’objet d’une attention particulière au cours des dernières années au sein du parc, ainsi que les récentes découvertes ?
Donatien Joseph Biloa : Notre espèce emblématique, c’est le perroquet gris à queue rouge. On a une clairière où on retrouve des bains aériens de 2 à 3000 individus, y compris des pigeons verts. Dans le pays du Tri-National de la Sangha, ces perroquets représentent une espèce emblématique. On retrouve également le buffle et l’éléphant.
Mongabay : Qu’en est-il de la population des éléphants, qui symbolise l’existence même du Parc national de la Lobéké ?
Donatien Joseph Biloa : Le dernier inventaire a eu lieu en 2019, et nous sommes en train de démarrer un nouvel inventaire cette année. Il est certain que d’ici à la fin de cette année, on pourrait avoir des statistiques exactes sur la population des éléphants du parc. La tendance est tout de même à la baisse car, comme vous le savez sans doute, il y a quelques années, il y a eu une pression énorme à travers le braconnage sur les éléphants pour leurs ivoires, avec les asiatiques à la manœuvre.
Mongabay : Le Parc national de la Lobeké fait partie de l’entité Tri-National de la Sangha, qui regroupe le Parc de Nouabalé-Ndoki en République du Congo et le Parc national de Dzanga-Ndoki en République centrafricaine. Comment se fait la gestion transfrontalière de cette forteresse dans le cadre de cette initiative ?
Donatien Joseph Biloa : Il existe des instances qui ont été mises en place. Entre les trois pays, il existe une brigade de lutte anti-braconnage, où chaque segment envoie des écogardes. En dehors de cette brigade qui a ses missions régaliennes autorisées par les trois gouvernements, nous organisons aussi des missions conjointes pour mener des opérations dans les pays.
Mongabay : La brigade est-elle vraiment efficace ?
Donatien Joseph Biloa : Effectivement, elle est efficace, mais avec de petites limites. Elle a un rayon d’actions réduit. Là où son champ d’action fini, le segment pays prend la relève, puisque les segments pays couvrent toutes les aires protégées.
Mongabay : Quels enseignements tirez-vous de cette coopération dans la gestion transfrontalière des trois parcs ?
Donatien Joseph Biloa : Il y a des choses que certains segments pays auxquelles on essaye de s’arrimer. C’est le cas des inventaires, qui sont synchronisés, pour éviter des doublons, c’est-à-dire qu’un animal soit compté deux fois.
Mongabay : Qu’est-ce que le Cameroun apporte aux autres pays dans le partage d’expériences, en termes de connaissances traditionnelles, qui concourent à la préservation de la biodiversité dans le Tri-national de la Sangha ?
Donatien Joseph Biloa : Le segment Cameroun organise chaque année le Festival Baka-Bantou (4e édition prévue du 31 juillet au 3 août 2025). L’objectif, c’est de pérenniser la culture des communautés riveraines du parc. Les adultes transfèrent aux jeunes la culture, et quand on l’organise, on invite les ressortissants des autres pays, qui viennent apprendre auprès de nos communautés.
Mongabay : Est-ce que vous disposez de ressources suffisantes pour mieux gérer ce vaste domaine de plus de 217 000 hectares ?
Donatien Joseph Biloa : Les moyens logistiques, financiers et humains sont insuffisants pour nous permettre de bien gérer notre aire protégée. Par exemple, nous disposons actuellement de 29 écogardes, ce qui est largement en deçà de la norme recommandée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), qui est d’un écogarde pour 5000 hectares. On devrait normalement disposer d’une cinquantaine d’écogardes.
Mongabay : Quel rôle joue la technologie dans le suivi écologique du Parc national de la Lobeké ?
Donatien Joseph Biloa : Nous avons des drones que nous utilisons. Et lorsque nous déployons les équipes sur le terrain, nous utilisons le Smart (technologie intelligente, connectée et souvent automatisée, qui aide à mieux protéger la biodiversité et à gérer les ressources naturelles en temps réel, Ndlr), qui permet aux équipes de communiquer avec le centre de commandement que nous avons mis place.
Mongabay : Quelle est la part du tourisme dans la promotion de vos activités ?
Donatien Joseph Biloa : Le tourisme est prometteur à Lobéké, car on enregistre un nombre croissant de visiteurs. L’année dernière, nous avons eu 117 touristes. Mais les limites à l’émergence du tourisme, ce sont les infrastructures routières. L’accès à Lobéké n’est pas évident. La route est en très mauvais état. On a beaucoup de clients qui renoncent à venir, à cause du mauvais état de la route. Ce sont les amoureux du tourisme qui sont déterminés à venir jusqu’au parc.
Mongabay : Quelle vision avez-vous pour votre aire protégée au cours des prochaines années ?
Donatien Joseph Biloa : Mon ambition, c’est qu’il n’y ait plus vraiment de braconnage dans le parc. Je serais très ravi si ce challenge est atteint.
Image de bannière : Donatien Joseph Guy Biloa, Conservateur du Parc national de la Lobéké au Cameroun.
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