- La biodiversité est définie comme l'une des neuf limites planétaires qui régulent la stabilité de la planète. Mais l'humanité franchit ces limites, menaçant la vie sur Terre. La grande question est la suivante : où se situe précisément le point de non-retour de l'environnement que la biodiversité peut supporter avant d'être déstabilisée et de s'effondrer à l'échelle de la planète ?
- La limite planétaire de la perte de biodiversité était initialement mesurée grâce aux taux d'extinction des espèces, mais cette mesure, ainsi que d'autres, se sont avérées insuffisantes pour déterminer un seuil mondial de perte de biodiversité. À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas déterminer de seuil mondial de perte de biodiversité, ou d'intégrité de la biosphère, comme on l'appelle aujourd'hui.
- Cependant, les seuils de perte de biodiversité peuvent être clairement définis au niveau local ou régional lorsqu'un écosystème subit un changement de régime climatique, passant brusquement d'un état stable à un autre, ce qui entraîne des modifications radicales de la biodiversité dans l'écosystème modifié.
- Si le cadre des limites planétaires constitue une façon de comprendre la perte de biodiversité ou d'intégrité de la biosphère, il existe de nombreuses autres façons de mesurer la perte de biodiversité et toutes indiquent que nous continuons à déstabiliser dangereusement la vie sur Terre.
Biodiversité. Lorsque vous entendez ce mot, qu’est-ce que cela représente pour vous ? Des animaux emblématiques tels que les éléphants d’Afrique, les loups gris et les baleines à bosse ? Ou les espèces de coraux multicolores qui composent un récif corallien ? Ou encore les bactéries et les microbes qui régulent les nutriments dans le sol, ou le phytoplancton libérant de l’oxygène qui vit dans les zones euphotiques de l’océan ?
Si la biodiversité regroupe effectivement tous ces êtres vivants, le concept va au-delà de la simple diversité ou abondance des espèces. Il englobe également la variabilité génétique qui permet aux animaux et aux plantes de s’adapter et de survivre, ainsi que la diversité des écosystèmes planétaires et les différentes fonctions que les organismes et les écosystèmes jouent dans notre monde intimement lié.
En un mot, la biodiversité désigne le réseau vivant d’espèces et d’écosystèmes qui constitue la base de la vie sur Terre. L’humanité fait bien entendu partie de la biodiversité, mais elle joue également un rôle dans la perte de biodiversité. L’Homo sapiens peut avoir un impact négatif sur les espèces et les écosystèmes à travers une multitude d’actions, mais nous dépendons également de la biodiversité pour la nourriture, l’énergie, la médecine, la sécurité économique ainsi que notre bien-être général.
Etant donné que la biodiversité englobe autant d’organismes, d’écosystèmes et de gènes, il peut être difficile de comprendre toute l’étendue de l’impact de l’humanité sur celle-ci, en particulier si l’on considère le fait que nous ne connaissons qu’environ 20 % des espèces présentes sur Terre. Il existe cependant de nombreux indicateurs qui prouvent que les activités humaines exercent une pression importante sur la biodiversité.
Par exemple, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) estime qu’environ 77 % des terres et 87 % des océans ont été modifiés par l’homme, ce qui a entraîné une perte de 83 % de la biomasse des mammifères sauvages et de 50 % de la biomasse végétale globale. L’IPBES indique également que plus d’un million d’espèces végétales et animales sont actuellement menacées d’extinction, ce qui nous dirige potentiellement vers ce qui a été appelé la sixième extinction de masse dans l’histoire de la Terre.
La question qui tracasse les scientifiques est la suivante : viendra-t-il un moment où l’humanité aura poussé la biodiversité au-delà du point de non-retour, mettant en danger la stabilité même du système d’exploitation de la Terre ainsi que l’humanité et n’importe quel type de vie ?
Les chercheurs essaient de répondre à cette question depuis l’élaboration du cadre des limites planétaires, une théorie selon laquelle la Terre possède neuf sous-systèmes ou processus biophysiques ayant des limites bien définies au-delà desquelles ils ne peuvent résister à la pression anthropique. Selon cette théorie, si l’humanité reste dans « l’espace de fonctionnement sécurisé » de ces limites, la vie peut alors se développer. Si les limites sont franchies, l’humanité peut faire entrer la Terre dans un nouvel état dangereux qui n’est pas aussi favorable à la vie telle que nous la connaissons.
Bien que des efforts aient été déployés pour définir un seuil mondial pour la limite planétaire de la biodiversité, aucune conclusion n’a été tirée. Cependant, il y a une chose sur laquelle les chercheurs s’accordent généralement, c’est qu’il est extrêmement difficile de mesurer et de définir la perte de biodiversité, en particulier à l’échelle mondiale. Mais cela ne veut pas dire que la biodiversité n’est pas en danger. En effet, il existe de nombreuses façons de constater que l’humanité exerce une pression extrême sur la biodiversité et, de ce fait, met notre monde en danger.
Un seuil mondial pour la perte de biodiversité ?
En 2009, Johan Rockström, du Stockholm Resilience Centre, accompagné d’une équipe internationale de chercheurs, ont publié un article qui introduit le concept des limites planétaires. Cette théorie indique qu’il existe neuf processus du système terrestre qui contribuent à réguler la stabilité de la planète, mais que ces processus ont des limites au-delà desquelles ils ne peuvent pas résister aux changements environnementaux. Ces processus ont initialement été décrits comme le changement climatique, la perte de biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la consommation mondiale d’eau douce, les changements d’exploitation des sols, la pollution chimique, la pollution atmosphérique par les aérosols.
Il a été démontré que certaines de ces limites ont des seuils mondiaux bien définis. Par exemple, la limite planétaire du changement climatique est principalement fixée par la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone inférieure à 350 parties par million. Cette limite ayant déjà été dépassée à la fin des années 1980, les chercheurs déclarent que nous sommes entrés dans une zone de danger.
Dans le cadre des limites planétaires, la perte de biodiversité a initialement été définie par les taux d’extinction, qui mesuraient le nombre d’espèces par million d’espèces qui disparaissaient chaque année. Si les archives fossiles montrent que les extinctions se produisent de façon naturelle, on estime que les taux d’extinction actuels sont 100 à 1000 fois plus élevés que ce qui est considéré comme naturel. On s’attend même à ce que ce taux soit multiplié par dix au cours du siècle.
Les chercheurs ont utilisé cette mesure pour montrer que l’humanité a franchi la limite de la biodiversité et est entrée dans une « zone de danger ». Ils reconnaissent toutefois que l’utilisation des extinctions comme mesure n’est pas optimale car il est « très difficile » d’identifier une limite à la perte de biodiversité qui ferait basculer la Terre dans un nouvel état, tant au niveau régional que mondial.
« La principale raison pour laquelle nous avons inclus la diversité biologique en tant que limite planétaire est que son rôle consiste à assurer des fonctions écologiques qui soutiennent les sous-systèmes biophysiques de la Terre, et fournissent ainsi la résilience sous-jacente d’autres limites planétaires », écrivent les auteurs. « Cependant, notre étude montre que la science est, à ce jour, incapable de fournir une mesure de limite qui capture, à un niveau agrégé, le rôle régulateur de la biodiversité. »
Belinda Reyers, professeur en science du développement durable à l’université de Pretoria, en Afrique du Sud, et conseillère principale au Stockholm Resilience Centre, reconnaît que, pour différentes raisons, les taux d’extinction sont un mauvais indicateur de la perte de biodiversité mondiale. Premièrement, Reyers précise que la perte de biodiversité a tendance à se concentrer sur les espèces vertébrées, qui représentent moins de 2 % de toutes les espèces décrites. Deuxièmement, les taux d’extinction ne prennent pas en compte des facteurs importants tels que les différences d’abondance et de distribution entre les espèces, ce qui entraine des conséquences complexes sur les écosystèmes. Troisièmement, les taux d’extinction sont souvent calculés longtemps après que les extinctions ont eu lieu, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas être utilisés pour prévoir notre approche d’un seuil critique.
Aussi, Reyers a fait part à Mongabay du problème que posent les extinctions car elles ont « peu d’influence sur le fonctionnement de l’écosystème à des échelles pertinentes pour l’espace de fonctionnement sécurisé ». Par exemple, la disparition d’une espèce de salamandre peut avoir un impact mineur sur un écosystème si l’espèce avait une population et une aire de répartition réduites, et si d’autres espèces continuent à remplir des fonctions similaires au sein d’une communauté naturelle.
« Les espèces sont un aspect vraiment important de la biodiversité. Les gens se soucient des espèces [et] leurs taux d’extinction sont très élevés et très mauvais », a déclaré Reyers. « Mais il n’existe pas de lien important entre les taux d’extinction des espèces et la fonction de la biosphère. »
Les « éléments constitutifs de la vie »
Dans un article datant de 2014, Reyers et ses collègues chercheurs affirment que la perte de biodiversité pourrait être mesurée plus précisément grâce à trois concepts : la diversité génétique, la diversité fonctionnelle et l’intégrité du biome. En 2015, lorsque le cadre des limites planétaires a été redéfini dans un article coécrit par Reyers, la limite planétaire de la biodiversité a été renommée « intégrité de la biosphère » afin d’englober tous les écosystèmes et organismes du monde ainsi que les relations entre eux. L’intégrité de la biosphère a également été divisée en deux composantes ; la diversité génétique et la diversité fonctionnelle.
La diversité génétique, au sens le plus simple, est le degré de variété des gènes au sein d’une même espèce. Il s’agit du nombre total de gènes, mais également de la façon dont ils diffèrent les uns des autres. Comme le souligne Reyers, la diversité génétique est « l’élément constitutif de la vie. »
Selon Reyers, « plus la diversité est importante, plus vous avez d’options. Par exemple, nous avions l’habitude de manger 75 espèces cultivées. Aujourd’hui, nous en mangeons surtout cinq, et les 70 autres disparaissent avec le temps… nous disposons donc de moins de ressources pour faire face au changement climatique, car nous ignorons si certaines de ces 70 cultures auraient pu être bénéfiques dans un environnement plus pauvre en eau ou plus chaud. »
La diversité fonctionnelle fait référence aux rôles que jouent les organismes dans un écosystème. Par exemple, certaines espèces décomposent les déchets alors que d’autres favorisent le développement de plantes en disséminant des graines. La disparition d’espèces qui remplissent certaines fonctions peut entraîner des conséquences dévastatrices pour l’écosystème, explique Sarah Jones, experte en biodiversité et chercheuse au sein du consortium Food, Agriculture, Biodiversity, Land-Use and Energy (FABLE) et de la Food and Land-Use Coalition (FOLU).
« Par exemple, si nous perdons tous les micro-organismes présents dans le sol, qui améliorent vraiment le carbone dans le sol, cela pourrait avoir un impact catastrophique sur la diversité végétale », a déclaré Jones à Mongabay. « La diversité fonctionnelle sera donc très importante lorsque les choses vont vraiment se dégrader et que nous allons perdre certains groupes d’espèces qui jouent un rôle important. »
L’article de 2015 sur les limites planétaires indique que la diversité fonctionnelle pourrait être mesurée à l’aide du Biodiversity Intactness Index (BII), un indicateur qui mesure l’abondance des espèces en fonction de la pression humaine, tout en tenant compte de la fonctionnalité des espèces. Toutefois, les auteurs précisent qu’il n’existe pas de relation évidente entre le BII et les réponses du système terrestre, de sorte qu’ils ne l’utilisent que comme variable de contrôle provisoire pour la diversité fonctionnelle.
Concernant la diversité génétique, les auteurs continuent d’utiliser les taux d’extinction. Selon Reyers, si les taux d’extinction intègrent la diversité génétique et peuvent donc servir de « substitut assez décent », ils ne représentent toujours pas une bonne mesure car ils « ne tiennent pas compte de tous les gènes perdus avant même de perdre l’espèce entière, ni de tous les gènes qui existent dans des espèces dont nous ne savons rien. »
« Cela suppose que la perte d’un éléphant a le même impact sur la diversité génétique que la perte d’un wombat, alors que leurs gènes et leur rôle sont complètement différents », a-t-elle déclaré.
En d’autres termes, un seuil mondial de perte de biodiversité ou d’intégrité de la biosphère, comme on l’appelle maintenant, reste totalement incertain.
Selon Reyers, « nous ne pouvons pas affirmer que nous avons franchi un seuil, mais si nous perdons trop de biodiversité, nous pourrons définitivement dire [que oui]. Si l’on considère l’échelle inframondiale des biomes [et] le risque auquel nous sommes confrontés en perdant des récifs coralliens ainsi que d’autres biomes comme la toundra arctique… nous pouvons probablement dire que nous sommes très proches du franchissement de certaines limites, qui sera assez préjudiciable au système [terrestre] et à nos vies sur ce système. »
« Il ne s’agit pas d’un processus graduel »
S’il est difficile, voire impossible, de définir un seuil mondial pour l’intégrité de la biosphère, de nombreux chercheurs affirment que la limite de la biodiversité peut être définie à l’échelle locale ou régionale par le biais de ce que l’on appelle les « changements de régime », également appelés « points de bascule. »
Un changement de régime est un changement brutal qui modifie de façon radicale la structure et la fonction d’un écosystème, le faisant passer d’un état à un autre. Dans la plupart des cas, ces changements sont irréversibles.
« Il ne s’agit pas d’un processus graduel », a déclaré à Mongabay Ingo Fetzer, chercheur au Stockholm Resilience Centre, qui étudie la façon dont les systèmes terrestres interagissent. « Le système reste stable jusqu’à ce qu’il atteigne un certain point de bascule, puis il se transforme rapidement en quelque chose de nouveau. »
La pression humaine sur un récif corallien offre un bon exemple de changement de régime. Un récif corallien peut résister à de nombreux blanchissements dus au changement climatique, et retrouver ses algues vitales que des eaux plus chaudes que d’habitude auront expulsées. Mais les coraux peuvent atteindre un point où ils ne peuvent plus se rétablir, et l’écosystème s’effondre, transformant rapidement un récif biodiversifié en un système malade qui n’accueille qu’un nombre limité d’organismes.
Un autre exemple de changement de régime peut se produire dans un lac d’eau douce. Lorsque son écosystème aquatique est submergé par une trop grande quantité de phosphore provenant d’eaux usées non traitées, le lac devient eutrophe car le manque d’oxygène vital tue presque tout ce qui y vit.
Garry Peterson, professeur en sciences de l’environnement à l’université de Stockholm, explique que si de nombreuses recherches ont été menées sur les changements de régime, il est encore difficile de prévoir à quel moment ils se produiront, ou ce qui fera basculer un écosystème d’un état à un autre. Dans la plupart des cas, les changements de régime ne sont identifiés qu’une fois le processus enclenché, a-t-il ajouté.
« Vous pouvez repérer un changement de régime longtemps après qu’il se soit produit car quelque chose d’important a eu lieu et c’est irréversible », a déclaré Peterson à Mongabay. « Comme lorsque la [pêche] canadienne à la morue s’est effondrée. Ils ont arrêté de pêcher, la morue n’est pas revenue. Ils n’ont pas repris la pêche, la morue a disparu… quelque chose avait changé. »
Les écosystèmes qui subissent des changements de régime ne peuvent généralement pas revenir à leur état initial, mais ceux qui sont en meilleure santé et plus résistants sont plus à même de faire face au changement, a-t-il ajouté.
Comment les changements de régime au niveau local ou régional se reflètent-ils dans le monde entier ? Les experts n’ont pas de réponse claire. Si des changements localisés peuvent avoir des conséquences à l’échelle mondiale, on ne connaît pas exactement l’impact de ces répercussions. Par conséquent, les seuils de biodiversité franchis à l’échelle locale ou régionale ne nous aident pas forcément dans la détermination d’un seuil mondial de perte de biodiversité, a déclaré Reyers.
Malgré toutes ces incertitudes, les chercheurs affirment que l’intégrité de la biosphère constitue une limite centrale dans le cadre des limites planétaires, permettant à la planète de s’adapter aux changements qui se produisent dans d’autres limites, tels que des niveaux élevés d’acidification des océans et l’assaut de la pollution plastique et d’autres produits chimiques d’origine humaine. Mais si la biosphère se voit trop compromise par la pression anthropique, les autres limites s’en trouveront affaiblies.
Reyers a affirmé : « si la limite de la biosphère se détériore, les autres limites se détériorent également. Si la limite de la biosphère s’améliore, elles s’améliorent aussi. Ainsi, [la biosphère] joue un peu un rôle de contrôle. Ce n’est pas une relation extrêmement forte au niveau mondial, mais elle s’intensifie au niveau local ou au niveau du biome. »
« Une proposition radicale »
Les difficultés rencontrées pour définir un seuil d’intégrité de la biosphère ont conduit à une certaine critique de l’utilisation du cadre des limites planétaires pour mesurer la perte de biodiversité. Par exemple, Jose Montoya, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a déclaré à Mongabay que le fait de traiter la perte de biodiversité comme une limite planétaire était « une erreur fondamentale » car la plupart des mesures de la biodiversité ont tendance à considérer les changements locaux plutôt que mondiaux, et que la plupart des changements de la biodiversité qui se produisent à l’échelle locale n’ont pas forcément de conséquences mondiales.
« Cela n’a aucun sens d’établir une limite au-delà de laquelle le système terrestre est condamné », a déclaré Montoya, qui a coécrit un article sur ce sujet. « Il y a un manque de recherche scientifique pour définir une limite pour la biodiversité à l’échelle mondiale. »
D’autres chercheurs, y compris ceux qui ont travaillé sur le concept de limite planétaire, reconnaissent les incertitudes liées à l’utilisation de cette théorie pour définir la perte de biodiversité. Cependant, beaucoup d’entre eux considèrent la théorie principale comme un moyen puissant pour l’humanité de visualiser la santé écologique de notre planète, et notre capacité à pousser la stabilité de la Terre dans une direction positive ou négative. Fetzer compare chaque limite à une « horloge qui nous indique la distance qui nous sépare d’une Terre complètement dysfonctionnelle. »
Reyers qualifie le concept de limite planétaire de « proposition radicale » pour réfléchir à la biodiversité ou à l’intégrité de la biosphère au niveau mondial, mais souligne que ce concept n’offre qu’une seule approche pour mesurer la perte de biodiversité.
« Cela n’enlève pas le fait qu’il existe de nombreuses autres approches pour gérer la biodiversité et fixer des objectifs aux niveaux national et mondial », a-t-elle déclaré. « Et je crois que c’est là que des tensions se créent car tout le monde pense qu’il faut choisir l’une ou l’autre approche. »
Une autre méthode pour mesurer la perte de biodiversité mondiale consiste à calculer la dégradation et la destruction des habitats, qui peuvent modifier les écosystèmes et faire disparaître des espèces. Un article publié en 2012 sous la direction de Reed Noss, de l’université de Floride centrale, à Orlando, soutient que nous devons protéger au moins 50 % des terres pour conserver la biodiversité, une idée fondée sur les travaux d’autres chercheurs, dont E.O. Wilson, auteur de Half Earth. Seuls environ 16 % des régions terrestres et des régions d’eau douce du monde ainsi que 8 % de l’environnement marin sont actuellement protégés, ce qui, selon ce critère, place l’intégrité de la biosphère dans une position périlleuse.
La Convention on Biological Diversity (CBD), le traité multilatéral chargé de conserver la biodiversité et d’en assurer l’utilisation durable et équitable, s’appuie sur le concept de protection de la moitié des terres et des mers dans l’ébauche de son cadre mondial pour la biodiversité post-2020. Ce cadre, qui a été négocié à Genève en mars, trace une voie pour « vivre en harmonie avec la nature » d’ici 2050. L’un des moyens proposés pour atteindre cet objectif est que les pays protègent au moins 30 % des terres et des océans d’ici 2030, puis 50 % d’ici 2050. Outre la conservation des terres et des océans, d’autres objectifs de protection de la biodiversité mondiale incluent la réduction des espèces envahissantes, des pesticides et des incitations qui nuisent à la biodiversité. (Si les négociateurs se sont mis d’accord sur le projet de texte lors des récentes réunions, peu de progrès ont été réalisés pour mettre un terme à la destruction continue de la biodiversité).
Le biologiste de la conservation Henrique Pereira, du Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv), a déclaré à Mongabay qu’il préférait utiliser plusieurs paramètres pour calculer les changements de la biodiversité, tels que ceux qui suivent les modifications de la composition des communautés naturelles, tout en considérant les taux d’extinction comme le principal indicateur de la perte de biodiversité.
Pereira a ajouté que si les extinctions qui se produisent à l’échelle mondiale ne peuvent pas être évitées, nous pouvons réagir de manière proactive aux changements dus aux extinctions locales ou régionales grâce aux efforts de réensauvagement.
Il a déclaré que « la nature a une forte capacité de résilience. Elle se réinventera et reviendra. »
« Un changement très radical »
Malgré les nombreuses incertitudes qui concernent l’intégrité de la biosphère ainsi que les méthodes pour la mesurer, les experts s’accordent à dire que le rythme auquel évolue la perte de biodiversité est inacceptable.
Mais Peterson, du Stockholm Resilience Centre, s’est dit encouragé par les collaborations entre chercheurs qui tentent de mesurer la biodiversité, ainsi que par les progrès réalisés dans ce domaine. « De nombreuses incertitudes demeurent sur la façon de définir le niveau adéquat pour [maintenir] la biodiversité », a-t-il déclaré. « Mais la recherche sur ce sujet progresse et je pense que nous aurons avancé d’ici 5 ans, et que nous serons encore plus loin d’ici 10 ans. »
Sera-t-il un jour possible de définir un seuil mondial d’intégrité de la biosphère? Cela reste à voir. Mais pour l’instant, les indicateurs fournissent des preuves irréfutables que nous devons agir rapidement pour protéger ce qui reste de notre biosphère.
« Les économies mondiales sont en train de détruire la toile de la vie, d’arracher tous ces liens », a précisé Peterson. « Est-ce que certaines limites ont été dépassées? Qu’est-ce que cela signifie ? Il n’y a aucun doute … nous sommes sur la mauvaise voie en ce que concerne la biodiversité, et la seule façon d’y faire face est un changement très radical. »
Image de bannière : Une rainette aux yeux rouges au Brésil. Image de Rhett A. Butler/Mongabay.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/04/global-biodiversity-is-in-crisis-but-how-bad-is-it-its-complicated/