- Ces dernières années, il est suffisamment souligné que le réchauffement climatique va toucher plusieurs secteurs, au nombre desquels, en tête, l’agriculture et, juste derrière, l’eau. Depuis la nuit des temps, l’eau est restée un élément chargé de symbole. Elle tient sa place dans les sociétés, les croyances ainsi que dans les religions. Toutes les civilisations ont été construites autour de l’eau. L’eau, de ce fait, est vénérée et respectée dans toutes les cultures.
- Il en résulte que le réchauffement climatique peut avoir des conséquences sur le fonctionnement des cours d’eau et rivières, et par extension, sur les divinités qui leur sont associées. L’absence de l’eau peut donc nuire aux rituels et aux cérémonies y afférentes, compromettant ainsi leur vénération. Ce faisant, l’eau a un pouvoir inestimable.
- Un pouvoir, de plus en plus fragilisé, de nos jours, soit par la faute des humains, soit par le temps. Il s’ensuit une série de problèmes importants (sècheresse, pénurie, baisse de la qualité de l’eau), qui engendrent d’autres, notamment la perte ou la disparition des valeurs culturelles pour lesquelles les populations ont besoin de l’eau.
« La lessive des habits du défunt », oui, vous l’avez bien lu, il existe un rite funéraire qui commence le décès. Il s’agit de laver au bord d’une rivière, d’un marigot ou d’un lac, les habits dans lesquels un défunt a rejoint ses aïeux. C’est une culture pratiquée dans le village d’Adjohoundja, localité située au centre de Kpomassè, une commune, au sud-ouest du Bénin, à 57 kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin et à moins d’une trentaine de kilomètres de Ouidah, ville historique, connue pour son rôle dans la traite négrière transatlantique.
À cause de sa proximité avec Ouidah, Kpomassè est un village à cheval entre la tradition et la modernité. Le quotidien y est encore rythmé par les coutumes locales et les pratiques spirituelles ancestrales. La bourgade d’Adjohoundja en est un bel exemple.
Cette localité où se pratique « la lessive des habits du défunt », n’a curieusement accès à aucune source d’eau. À chaque décès, il est créé en effet, un espace virtuel dans lequel l’eau pour la cérémonie est apportée dans des bassines et des cuvettes.
En l’absence d’explication, on suppose, qu’il avait existé par le passé une ressource en eau dans cette localité justifiant cette culture. Pierre Codjo Meliho est natif de ce village. Il est anthropologue de l’eau, Maitre de Conférences à l’université nationale d’agriculture au Bénin, il connait assez bien ce rituel. « Dans notre famille, si quelqu’un décède, ces rites funèbres commencent par une cérémonie autour de l’eau, qu’on appelle « Toyiyi », signifiant, littéralement, « Procession vers la rivière ». C’est une cérémonie au cours de laquelle les habits de la personne décédée sont lavés au bord de l’eau. Et comme on n’a pas de source d’eau, un espace virtuel est créé, à chaque occasion, dans lequel on amène l’eau, dans des bassines et cuvettes pour ladite cérémonie ».

Au nombre des acteurs, qui y prennent part, figurent les femmes. Aux dires de Meliho, ce sont ces dernières qui font la lessive. Les hommes n’y sont pas autorisés. La cinquantaine passée, Meliho a vu et a toujours assisté à ce rituel difficile à expliquer. On peut tout de même supposer qu’un cours d’eau avait existé auparavant dans ce village. Celui-ci a disparu, il y a sûrement longtemps pour diverses raisons. Et comme les populations tiennent à préserver leur culture, la solution de substitution utilisée aujourd’hui a été adoptée. « Je ne crois pas à la remise en cause d’une culture à cause de l’absence d’eau. Quel qu’en soit le contexte, les communautés ont développé des valeurs imaginaires pour y faire face ». Donc, la distance pour avoir accès à l’eau ne saurait être un facteur handicapant.
Josué Ahouélété Sossou, Socio-anthropologue à l’institut national de l’eau (INE), de l’université d’Abomey-Calavi (Bénin), l’explique autrement. « La survivance de nos cultures a plus de forces que ces éléments qui peuvent venir à manquer ou à être réduit. C’est vrai, il peut y avoir changement dans le calendrier, à cause des cycles climatiques. Quand ils deviennent imprévisibles, cela peut perturber les pratiques et affaiblir leur importance, mais cela ne peut conduire à leur disparition. Ces pratiques permettent d’avoir un lien avec le sacré et celles qui ont été instaurées constituent le ciment de la vie sociale ».
Des solutions d’adaptation fondées sur l’inspiration
En milieu fon, (nom attribué à un groupe ethnique au centre du Bénin), « Toyiyi » signifie littéralement « procession vers la rivière ». Bien évidemment, ce n’est pas de même nature que ce qui se fait à Kpomassè.

Il s’agit ici, d’une cérémonie annuellement organisée par les dignitaires de la divinité « Ya Lodé », qui consiste à envoyer les adeptes de sexe féminin, vers une rivière sacrée, en vue de ramener de l’eau pour les libations et autres activités religieuses. Petits canaris, bien enroulés dans du tissu blanc sur la tête, pagnes blancs noués au niveau de la poitrine avec des parures de toutes sortes, pieds nus, souvent une quarantaine, alignées les unes derrières les autres, accompagnées des dignitaires religieux, des chefs de culte et d’une foule de curieux. Elles prennent la direction d’Agbagnizoun (centre du Bénin), là où se trouve la rivière Sahè.
C’est un trajet de quatorze kilomètres environ, effectué souvent, sous un soleil de plomb. Après un rituel accompli par les dignitaires pour solliciter l’autorisation requise auprès de la rivière, l’eau est prélevée et les petits canaris sont remplis.
Eric Gbètingo connait l’importance de cette eau. « Cette eau est très utile. Elle guérit beaucoup de maladies. C’est pourquoi, chacun arrive avec son bidon pour s’en servir ».
Le problème, depuis quelques temps, est l’assèchement de cette rivière qui s’accentue d’année en année, à cause de l’irrégularité des pluies. D’où l’inquiétude des chefs de culte.
La dernière fois, disait l’un d’eux, il lui a semblé que l’eau de la rivière s’était vidée. « Il n’y a même plus d’eau, on attend une pluie pour que l’eau de la rivière se renouvèle ».
Ce qui les irrite beaucoup, c’est le prélèvement qui est fait pour les travaux de réhabilitation de la route Agbagnizoun-Lalo, deux communes voisines. Carlos Guèdègbé, qui participe régulièrement à cette cérémonie ne comprend pas, qu’on puisse installer des tuyaux dans une rivière sacrée, y accéder comme on veut, tenir toutes sortes de langage au bord de cette source d’eau et laisser même des femmes y pénétrer. Et pourtant, l’eau de cette source est là pour divers usages rituels.

L’un dans l’autre, on ne peut pas se prévaloir de l’absence de l’eau pour mettre une croix sur ce rituel. Ces cérémonies, souligne un dignitaire, sont autorisées par le roi. Et on ne peut dire au roi que ce qu’il a autorisé n’est pas fait. « À chaque fois que la rivière va se retirer, on la suit, voire jusqu’à l’océan atlantique », dit un autre.
Et puis, une petite pluie par an pour avoir de quoi respecter cette tradition. À défaut d’alternative, il y a un secret traditionnel que je ne peux révéler, indique un autre dignitaire. Le Professeur Sossou parle ici d’une alternative pratiquée dans les cas extrêmes. « Quand l’eau vient à manquer, les concernés font des enclos dans un lieu spécifique et, de manière symbolique apportent l’eau vers cet endroit. Ce n’est plus une eau de surface, mais de l’eau recueillie dans des canaris pour les cérémonies. Une sorte d’adaptation. De toutes les façons, la spiritualité africaine n’est pas totalement figée ».
Un statut culturel à sauvegarder
Le Bénin est le pays du vodoun. Ce territoire de l’Afrique de l’Ouest est une terre des dieux et des génies. Et les rivières, marres et cours d’eau sont perçus comme des voies de communication entre les humains et les divinités, permettant d’implorer leur protection et leur bénédiction. Dans ce cadre, la rivière sacrée « Zèkpon Adonon » est une référence, selon Appolinaire Oussou Lio Akôyi, Géographe, naturaliste, haut dignitaire à la cour royale Gbèkô, un arrondissement de la commune de Dangbo, au sud-est du pays, et président de l’ONG GRABE-BENN.

Nichée à Tchakla, un village de l’arrondissement de Ouanho, commune d’Avrankou, à une dizaine de kilomètres environ à l’ouest de Porto-Novo, la capitale politique du Bénin, cette source d’eau serait bien plus qu’un simple point d’eau. Aux dires de ses visiteurs, cette rivière représente un puissant symbole spirituel, culturel et identitaire transmis de génération en génération. « Zèkpon adonon, est une rivière, qui soigne, réconcilie et vivifie, note le géographe, mais ma crainte, c’est l’érosion autour de l’eau et, parfois, la réduction de sa taille. Si rien n’est fait, cette eau peut être encombrée par les débris et le sable qu’apporte l’eau de ruissellement au grand dam de sa biodiversité », dit-il.
Cette situation n’est pas unique à Zèkpon adonon, tous les écosystèmes supposés abrités des divinités, notamment, « Dan, tohosu, ninsouhoué, tovodu… », sont soit sous la menace du réchauffement climatique, soit gagnées par l’érosion, à cause de la disparition de leur protection naturelle.
Cependant, les dignitaires et adeptes ne s’intéressent pas à ce volet. Et s’il n’est pas tenu grand compte régulièrement de la santé de ces sources d’eau sacrée, lors des activités culturelles, il est à craindre que certains éléments liés au temps et à la nature en viennent à saboter ce pan de l’héritage culturel.
Image de bannière : Procession des adeptes de la divinité Ya Lodé vers la rivière Sahè à Agbangnizoun, au centre du Bénin. Image fournie par Didier Hubert Madafimè.
Bénin : Les fleuves et rivières sous la menace du changement climatique
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