- Selon un rapport de l’ONG Environmental Justice Foundation (EJF), la surexploitation des ressources marines provoque une dégradation des écosystèmes marins et une perte de la biodiversité qui appauvrit les communautés côtières.
- Il y a une importante réduction de près de 57 % des populations de poissons exploitées au Sénégal, en raison de la surpêche et de l'augmentation des exportations et des utilisations non alimentaires.
- Face à l'effondrement économique de la pêche, de nombreux pêcheurs artisanaux voient la migration comme la seule alternative viable.
- L’ONG Environmental Justice Foundation recommande au gouvernement sénégalais de réduire les licences de pêche, à l'Union européenne d'exiger des garanties de durabilité lors de la signature d’accords de pêche avec les pays côtiers, et à tous les acteurs de la pêche d’adopter la Charte mondiale pour la transparence dans les pêches.
La surexploitation des ressources marines provoque une dégradation alarmante des écosystèmes et une perte importante de la biodiversité. Cette pression, combinée à l’effondrement des stocks de poissons, contribue à l’appauvrissement des communautés côtières et pousse de nombreux pêcheurs artisanaux à envisager la migration irrégulière, en particulier vers les îles Canaries.
C’est la conclusion du rapport The Deadly Route to Europe: How illegal fishing and overfishing in Senegal is driving migration, publié le 13 mai 2025, par l’ONG Environmental Justice Foundation (EJF) basée en Grande Bretagne.
Le rapport souligne que la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), ainsi que la surpêche par des flottes industrielles, principalement européennes et chinoises, diminuent les stocks de poissons.
Au Sénégal, par exemple, les infractions les plus courantes incluent la pêche sans licence, la pêche dans les zones réservées aux artisans, les fausses déclarations de captures et la destruction de filets. Entre janvier et juillet 2024, « 24 navires ont été arrêtés pour diverses infractions. L’Union européenne a émis un « carton jaune » en mai 2024, demandant au Sénégal de renforcer la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée », indique le rapport.
La pêche en péril
Les poissons les plus affectés ici sont ceux du type pélagique, c’est-à-dire ceux qui vivent dans des océans, des mers ou des lacs, ainsi que les poissons démersaux côtiers, ceux vivant près du fond marin.
Selon le rapport, la pêche au Sénégal est un secteur vital qui fait vivre environ 169 000 personnes, soit 3,2 % de la population active. Le poisson représente près de 8 % de l’apport en protéines et les poissons comme la sardinelle (Sardinella aurita) et le bonga shad (Ethmalosa fimbriata) représentent 75 % des poissons consommés localement, notamment dans les ménages pauvres.

Le rapport souligne que ce pilier est en train de s’effondrer : « Des modèles basés sur des données de capture reconstruites suggèrent que 57 % des populations de poissons exploitées au Sénégal sont en état d’effondrement. Des décennies de surpêche par les flottes industrielles et artisanales, ainsi que l’augmentation des volumes d’exportation et la hausse des utilisations non alimentaires telles que la farine de poisson et l’huile de poisson, ont exercé une pression immense sur les populations de petits poissons pélagiques et démersaux ».
Le rapport précise que plus de 90 % de la flotte de pêche industrielle du Sénégal est composée de chalutiers de fond. « Le chalutage de fond est une méthode de pêche qui consiste à traîner un filet conique lesté sur le fond marin, entraînant des niveaux élevés de prises accessoires, c’est-à-dire des espèces capturées accidentellement en plus des espèces ciblées. Cela a des conséquences néfastes significatives pour les écosystèmes marins et la biodiversité. Le chalutage des fonds marins du Sénégal peut perturber un grand volume de sédiments, ce qui pourrait avoir un impact sur les stocks de carbone bleu du pays », dit-il.
« De plus, les filets illégalement modifiés avec une petite taille de maille capturent tout sur leur passage, décimant les populations de poissons dont dépendent les pêcheurs artisanaux pour leurs moyens de subsistance. Le non-respect des limites maximales de capture peut conduire à la surexploitation, au déclin et finalement à l’effondrement des populations de poissons », ajoute le rapport.

Selon le document, la majorité du poisson pêché au Sénégal par la flotte industrielle est exportée, notamment vers l’Union européenne. Ce qui prive le marché local d’une ressource essentielle, pousse les prix à la hausse, fragilise la sécurité alimentaire, détruit les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux, menace les emplois et les moyens de subsistance des acteurs du secteur de la pêche, y compris les petits pêcheurs, les commerçants de poisson et les transformateurs. « Avec la hausse des exportations, la consommation locale de poisson a suivi une tendance à la baisse, passant d’une moyenne historique de 29 kg par habitant à 17,8 kg en 2021 », dit le rapport.
« Dans ce contexte, la migration est perçue comme la seule alternative viable pour de nombreuses familles des communautés côtières. En 2024, un total de 63 970 migrants est entré irrégulièrement en Espagne, soit plus du double du chiffre de 2022. Cela représente le nombre le plus élevé depuis 2018. Les îles Canaries ont comptabilisé la majorité des arrivées, avec 46 843 personnes, soit une augmentation de près de 200 % par rapport à 2022 », mentionne le rapport. « La route migratoire de l’Afrique de l’Ouest vers les îles Canaries est la plus mortelle au monde, marquée par des naufrages et des disparitions fréquents. Selon les estimations de l’ONG espagnole Caminando Fronteras, un total de 3 176 migrants ont perdu la vie en tentant le voyage du Sénégal vers les îles Canaries en 2023 », ajoute le document.
S’il est vrai que le ministère de l’Intérieur espagnol confirme une entrée de 63 970 migrants illégaux sur son territoire en 2024, Mongabay a cependant constaté qu’il s’agit, selon le ministère, du nombre de migrants totaux entrés par voie maritime et terrestre. Il n’est pas clairement précisé que ce sont uniquement des migrants venus de pays côtiers d’Afrique de l’Ouest.
Selon les témoignages contenus dans le rapport, les migrants justifient leur départ principalement par l’impossibilité de vivre décemment de la pêche. Ils évoquent la raréfaction du poisson, les captures insuffisantes, les dettes liées aux coûts de carburant, et la présence envahissante des bateaux industriels qui détruisent leurs moyens de subsistance.
Pour beaucoup, la migration apparaît comme la seule issue face à l’effondrement économique de leur activité traditionnelle.

Le rapport recommande donc au gouvernement sénégalais de réduire les licences de pêche, de renforcer les zones réservées aux artisans et d’améliorer la transparence.
Il recommande à l’UE d’exiger des garanties de durabilité lors de la signature d’accords de pêche avec les pays côtiers, et à l‘ensemble des acteurs de la pêche d’adopter la Charte mondiale pour la transparence dans les pêches. Cette charte est un cadre international qui vise à rendre publics les accords de pêche, les licences délivrées, les informations sur les navires et les captures, afin de lutter contre la pêche illégale et de renforcer la gestion durable des ressources.
Il faut cependant préciser que la rareté du poisson n’est qu’un élément parmi tant d’autres favorisant la migration. Mongabay a constaté qu’il existe une littérature scientifique qui explique que le phénomène de la migration est complexe, les causes pour l’expliquer sont souvent multiformes et pas seulement liées à la disparition des poissons dans les eaux.
L’étude Migration, Environment and Climate Change in West Africa publiée en 2020, par l’Organisation internationale des migrations (OIM), par exemple, s’appuie sur des enquêtes de terrain menées dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Sénégal, et souligne que l’immigration en Afrique de l’Ouest et centrale est principalement liée à des facteurs environnementaux et socio-économiques tels que les inondations, la dégradation des terres, la rareté de l’eau, l’érosion côtière, les catastrophes naturelles, l’urbanisation rapide, en particulier dans les zones côtières, ainsi que les opportunités économiques.
Les conflits et l’instabilité politique dans certains pays d’Afrique de l’Ouest forcent également des populations à immigrer, selon Migration Data Portal, une plateforme en ligne qui fournit des données et des informations sur les migrations à travers le monde.
Image de bannière : Débarquement de la pêche sur une plage proche de Dakar. Image de Olivier Dugornay (Ifremer) via Wikimédia Commons (CC BY 4.0).
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