- L’avenir de la lutte contre les plastiques en Centrafrique passe surtout par la réduction de son usage, l’interdiction de son importation, ainsi que par le développement de matériaux facilement recyclables.
- La Centrafrique ne dispose pas d'entreprises de fabrication des produits plastiques. Le pays importe toutes sortes de plastiques via les pays voisins.
- Des équipes de jeunes volontaires s'organisent chaque jour pour nettoyer les marchés et les rues en ramassant les ordures.
- La sensibilisation certes n'est pas une solution miracle à la pollution plastique, mais c'est l'un des moyens efficaces pour attirer l’attention, afin d'y barrer la route.
Bien que la loi interdit l’utilisation et l’importation des plastiques, ces emballages continuent d’être utilisés en masse par les commerçants et leurs clients. En République Centrafricaine, seulement quelques stations-services et supermarchés ont supprimé l’usage des sacs non dégradables. Même si aucune étude n’est réalisée pour savoir la quantité importée, utilisée et le taux de pollution plastique dans le pays, le recyclage et la transformation des déchets plastiques en pavés, contribuent à la régénération des sols.
Entretien exclusif de Mongabay avec Guy Julien Ndakouzou, coordonnateur de la plateforme de gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement en République Centrafricaine, et initiateur de l’Académie d’Action Sociale et Entrepreneurs (ACASE).
Mongabay : Comment la pollution plastique se manifeste dans le pays et comment lutter contre cela ?
Guy Julien Ndakouzou : À l’université, j’ai appris que lorsque les déchets plastiques ne sont pas correctement traités, cela provoque la pollution de l’environnement. Dans notre pays, on peut souligner le cas des forêts, des cours d’eau et des sols qui sont dégradés à cause de la pollution plastique. Aujourd’hui, nous vivons les effets indésirables au quotidien. Outre les solutions de collecte, de recyclage et de sensibilisation que nous proposons, l’avenir de la lutte contre les plastiques en Centrafrique passe aussi et surtout par la réduction de son usage, l’interdiction de son importation, ainsi que par le développement de matériaux alternatifs, biodégradables ou plus facilement recyclables.

Mongabay : Quelles sont les conséquences de la pollution plastique sur les sols et les écosystèmes ?
Guy Julien Ndakouzou : Les impacts de la pollution plastique sont désastreux et multiples. La pollution plastique affecte l’environnement de multiples façons, en dégradant la qualité de l’eau, du sol, de l’air, ce qui rend la vie difficile à tous les êtres vivants. Il faut retenir que les plastiques s’associent souvent à d’autres agents polluants, notamment des produits chimiques, déjà présents dans l’environnement. Leur nocivité réside notamment dans leur capacité à se déplacer dans le corps et à entraîner des maladies. Tous ces déchets plastiques, non traités correctement, sont à l’origine d’une pollution de la planète. La pollution de l’air provoque des effets allant de la gêne respiratoire à des pathologies très lourdes, comme le cancer. Ils peuvent empêcher la croissance des plantes en bloquant la circulation de l’eau et des nutriments vers les racines. Outre les risques d’étouffement pour les espèces les plus petites, les plastiques sont toxiques et ne se dégradent pas avant cent ans. Les conséquences sont très nombreuses et chacun doit prendre ses responsabilités.
Mongabay : Dans ce contexte, où la lutte contre les déchets plastiques constitue un défi, comment faire pour éradiquer cette pratique dans le pays ?
Guy Julien Ndakouzou : La RCA ne dispose pas d’entreprises de fabrication des produits plastiques. Le pays importe toutes sortes de plastiques via les pays voisins, notamment en provenance du Cameroun. Après leur utilisation, ces plastiques se retrouvent partout dans la nature. C’est vrai qu’il est difficile de renoncer au plastique, mais il n’est pas impossible de l’éradiquer. Aujourd’hui, je trouve qu’il est très important de renoncer au plastique en privilégiant les produits jetables ou biodégradables pour réduire considérablement les déchets plastiques. C’est facile pour notre pays de relever ce défi, car on ne produit pas de plastique. Il suffit d’appliquer la loi N°20.30.015 de juin 2020, portant sur l’interdiction de production, d’importation, de commercialisation, de distribution, de détention d’emballages et sachets plastiques non biodégradables en République centrafricaine. Si cette loi est vulgarisée et appliquée à la lettre, on ne parlerait pas des déchets plastiques en Centrafrique. La guerre est simple. Il suffit de mettre des dispositifs stricts à nos frontières terrestres, aériennes et fluviales. C’est une question de volonté politique et une mobilisation de tout le monde. Nous devons prendre conscience que l’utilisation excessive de plastique favorise la pollution, ce qui constitue, non seulement une menace pour la faune, la flore, mais aussi sur l’ensemble des écosystèmes et sur la santé humaine. Il est donc crucial de nos jours de barrer définitivement la route à toutes formes de pollution plastique avant que la situation ne devienne irrémédiable.
Mongabay : Vous avez lancé en 2021 l’ONG ACASE dont la mission consiste à collecter et à transformer les déchets plastiques en pavés, dans le but de lutter contre la pollution et la dégradation des sols. Pourriez-vous nous détailler les étapes de transformation de ces déchets plastiques en pavés écologiques ?
Guy Julien Ndakouzou : Je travaille avec une équipe de 15 personnes équipées de combinaisons, de bottes, de gants et de masques. La mission de cette équipe consiste à collecter des déchets plastiques dans la capitale et ses environs. Nous définissons chaque semaine nos zones de collecte en fonction de l’ampleur des déchets. Nous collectons manuellement les déchets dans des grands sacs et des cartons adaptés. Nous les transportons sur des motos tricycles jusqu’au chantier de traitement. Nous faisons toujours une collecte sélective. Autrement dit, nous mettons les papiers à part, les verres à part et les plastiques à part afin de faciliter leur traitement.
Une fois sur le chantier, les déchets plastiques tels que des chaises cassées, des nylons, des bassines ou encore des vieux seaux etc. sont broyés en petits morceaux dans des récipients mis sur le feu de bois. Ensuite, la pâte obtenue est passée à travers un moule pour produire et donner la forme aux pavés solides. La technique est simple, peu coûteuse mais très efficace.
Mongabay : Votre ONG privilégie la sensibilisation. Quelle est son importance en matière de lutte contre la pollution plastique et quelles sont vos principales cibles ?
Guy Julien Ndakouzou : La sensibilisation, certes, n’est pas une solution miracle à la pollution plastique, mais c’est l’un des moyens efficaces pour attirer l’attention afin d’y barrer la route. Notre approche est simple mais pratique. Nous faisons des sensibilisations maison par maison. Nous organisons des émissions publiques et radiophoniques. Nous montrons aux citoyens que la collecte des déchets peut se faire simplement autour de soi, à l’occasion d’une promenade, ou bien dans le cadre d’une association. Nous ciblons toutes les catégories, car la lutte est l’affaire de tout le monde. Nous parcourons également les établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes générations à la sauvegarde de l’environnement. Nos actions visent tout simplement à insuffler les changements positifs, à modifier nos habitudes de consommation des plastiques. Nous encourageons les citoyens et les autorités à la prise d’initiatives pour répondre aux défis urgents de lutte contre les déchets plastiques, pour protéger notre chère et belle planète.

Mongabay : Après trois ans d’activité dans la capitale et ses environs, quels sont les changements que l’on enregistre aujourd’hui dans les localités ciblées ?
Guy Julien Ndakouzou : Les actions de sensibilisation, de formation et de renforcement des capacités des jeunes et acteurs de la lutte contre la pollution plastique ont porté leurs fruits, même si beaucoup reste à faire. Nous travaillions jusque-là dans les secteurs les plus touchés. Nous avançons progressivement avec les moyens à notre disposition. Nous constatons aujourd’hui que dans les secteurs sensibilisés, les gens ont compris l’enjeu et ils s’impliquent totalement. Beaucoup de personnes adoptent un comportement responsable, parce qu’elles sont désormais éclairées. Dans certains quartiers du premier, deuxième et troisième arrondissement (de la ville de Bangui), les mairies et les chefs des quartiers ont pris le relais. Des dépôts d’ordures sont installés dans les lieux publics et au bord des routes. Nous constatons aussi qu’il y a des équipes de jeunes volontaires qui s’organisent chaque jour pour nettoyer les marchés et les rues en ramassant les ordures. Cela fait plaisir de savoir aujourd’hui que les uns sont les sentinelles des autres. Chacun n’hésite pas à rappeler son semblable à l’ordre en cas d’incivisme. Le combat est difficile, mais nous y croyons.
Mongabay : Comment votre ONG est-elle financée et où va l’argent collecté après la vente des pavés ?
Guy Julien Ndakouzou : Notre ONG fonctionne grâce à la contribution de ses membres. Au départ, j’ai lancé les activités de l’ONG avec mes propres ressources financières. Aujourd’hui, nous faisons tourner la boîte avec nos recettes. Nous produisons chaque mois environ 10 000 pavés que nous mettons sur le marché. Un pavé chez nous coûte 100 francs CFA (environ 0.17 USD). La recette mensuelle nous permet de payer le salaire de nos employés, d’entretenir nos motos tricycles, d’organiser des sensibilisations et des émissions publiques. Présentement, nous ne bénéficions d’aucun financement de la part du gouvernement et d’aucun partenaire. Nous avançons pour l’instant avec les moyens du bord.
Mongabay : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans vos actions ?
Guy Julien Ndakouzou : Nous voulons bien étendre nos champs d’action dans toute la RCA, mais nous sommes limités faute de moyens. Nous travaillons jusque-là avec nos propres ressources matérielles et financières. A défaut de machines ou de véhicules adaptés, nous collectons manuellement les déchets dans des sacs. Les agents collecteurs sont exposés à tout type de dangers et de maladies. Nous avons aussi un problème de moyen de transport. Nous n’avons pas assez de moyens pour organiser les émissions publiques pour toucher tous les recoins de la capitale. Mais ce n’est pas ce qui va nous décourager. Nous allons poursuivre la bataille jusqu’à la victoire.
Mongabay : Comment cette idée vous est venue de créer l’Académie d’Action Sociale et Entrepreneurs (ACASE) en RCA ?
Guy Julien Ndakouzou : L’Académie d’Action Sociale et Entrepreneur (ACASE) est une organisation non gouvernementale légalement constituée, qui œuvre dans le recyclage et la transformation des déchets plastiques en pavés, et nous sommes établis au village de Gbaloko, à 17 km à la sortie nord de Bangui. Durant mes études universitaires en Chine, j’ai appris comment les Chinois luttent efficacement contre les déchets plastiques. J’ai compris que chez eux, tout se transforme et rien ne se perd. C’est cet état d’esprit qui m’a révolutionné. Dès mon retour en Centrafrique en 2019, je voyais à quel point la capitale, Bangui, était malpropre, dominée surtout par des déchets plastiques. Il n’y avait pratiquement pas de dépôt d’ordures. Les déchets inondaient les rues, les quartiers et les lieux publics. Je voyais comment l’environnement se transformait négativement. Je me suis dit qu’il serait mieux de mettre quelque chose en place afin sauver notre planète à travers la collecte des déchets plastiques. Le projet consistait donc à libérer la ville de ses déchets plastiques. Et pour y arriver, il était urgent pour nous de commencer par la sensibilisation de nos compatriotes tout en recyclant les déchets pour montrer le bon exemple. C’est dans ce contexte que l’organisation a vu le jour.

Mongabay : Quel avenir espérez-vous pour votre entreprise ?
Guy Julien Ndakouzou : Actuellement, nous produisons uniquement des pavés. Mais dans un futur proche, nous allons également produire des briques à base des déchets plastiques. Notre plus grande ambition, c’est de passer de la production artisanale à la production industrielle dans le souci d’augmenter le rendement, afin d’obtenir un résultat satisfaisant. Plus nous produisons, plus nous allons assainir la capitale et il n’y aura plus de déchets plastiques d’ici à 5 ans.
Nous souhaitons créer des succursales dans toutes les régions du pays pour lutter contre la même cause. La lutte contre les déchets plastiques est l’affaire de tout le monde. Chacun doit mettre les mains à la pâte pour assainir notre environnement, lutter contre la pollution et le changement climatique.
Image de bannière : Guy Julien Ndakouzou, coordonnateur de la plateforme de gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement dans le pays, et initiateur de l’Académie d’Action Sociale et Entrepreneurs (ACASE). Photo de Rolf Steve Domia-Leu pour Mongabay.