- Depuis mars 2025, le département d'État américain, a cessé de partager sur AirNow, les données sur la qualité de l’air collectées via les capteurs installés dans les ambassades américaines, invoquant des contraintes budgétaires.
- Cette interruption affecte la surveillance de la pollution de l’air dans plusieurs pays, notamment en Afrique.
- Des experts appellent à la souveraineté des États sur la mesure de la qualité de l’air et à des efforts nationaux pour combler ce vide, notamment à travers le financement de l’achat d’équipements de mesure de qualité, le partenariat, des transferts technologiques et le renforcement des capacités locales.
- Le Togo a lancé en avril 2025 un projet visant à assurer une surveillance autonome de la qualité de l’air.
Depuis mars 2025, AirNow, un site web du département d’État américain (DoS), qui diffuse des données sur la qualité de l’air, grâce à des appareils de surveillance installés dans les ambassades et consulats des États-Unis à travers le monde, a interrompu le partage de ses données.
Pour justifier cette interruption, le département d’État évoque des « contraintes de financement ».
Cette décision de l’administration Trump affaiblit, selon les experts du Centre de recherche sur l’énergie et l’air pur (CREA) basé à Helsinki, en Finlande, l’accès à la surveillance réglementaire de la qualité de l’air dans 44 pays.
Les experts indiquent que les capteurs des ambassades américaines constituaient la seule source de données sur la qualité de l’air conformes à la réglementation pour 13 pays sur les 44 concernés par cette décision. Parmi ces pays, neuf sont en Afrique (Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Burkina Faso, Togo, Soudan, Gabon, Tchad et République démocratique du Congo), trois en Asie (Turkménistan, Afghanistan et Irak) et un dans les Caraïbes (Curaçao).

Une décision à multiples impacts
La perte de l’accès à ces données aura des répercussions sur les mécanismes de contrôle de l’air dans plusieurs pays, avec des impacts sur la santé de la population.
« L’effort de surveillance de la qualité de l’air du département d’État américain a été une intervention très impactante et bénéfique pour l’environnement et la santé publique dans de nombreux pays. L’arrêt du partage des données provenant des moniteurs des ambassades est donc une décision prise sans tenir compte des conséquences à long terme, ce qui est dans l’ordre des choses pour l’administration Trump », dit Lauri Myllyvirta, analyste principal au CREA.
« C’est un regret que ces équipements ne soient plus opérationnels et bénéfiques pour le Togo, parce que déjà, on pouvait consulter sur le site internet les mesures quotidiennes et les indices de qualité de l’air journalièrement ne serait-ce que pour cette zone, qui est une zone administrative avec à proximité l’université de Lomé et la présidence. Mais au-delà, en matière de qualité de l’air, plus il y a d’équipements, plus on a un meilleur maillage et une meilleure connaissance de la qualité de l’air que nous respirons. Donc, un équipement et surtout de qualité qui est retirée dans le système, c’est une perte pour le pays », a dit Lantam Djeri-Waké, coordonnateur du Projet qualité de l’air au Togo (PQAT) au ministère de l’Environnement et des ressources forestières du Togo.
De plus, cette décision influera potentiellement sur la santé des millions de populations et surtout la prise d’initiatives en faveur de la qualité de l’air.
De fait, une étude publiée en 2022, dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), a révélé que la mise en place de capteurs dans les ambassades américaines et le partage des données ont contribué à réduire les concentrations de particules fines (PM2,5) de 2 à 4 microgrammes par mètre cube dans les pays hôtes.
« En termes de mortalité prématurée, les résultats de l’étude estiment une valeur médiane d’au moins 303 décès évités dans un rayon de 10 km, et jusqu’à 895 décès évités dans l’ensemble de la ville. Ces résultats soulignent l’importance de la disponibilité des données sur la qualité de l’air, en particulier dans les pays à revenu faible ou moyen », disent les experts du CREA.

Une opportunité d’action
Face à l’enjeu de disposer à temps réel des données de qualité sur l’état de l’air respiré, les pays touchés par cette décision des États-Unis devront agir pour combler le gap.
« L’analyse de la qualité de l’air peut être appréhendée comme un outil de prévention qui permettrait d’anticiper l’exposition à différentes pathologies liées à la pollution de l’air. Il est grand temps que nos pays assument pleinement leur souveraineté et que nos dirigeants prennent la mesure des responsabilités qui sont les leurs, afin de protéger les populations », confie Kossivi Adessou, responsable Afrique du Réseau mondial des Organisations de la société civile pour la réduction des catastrophes (GNDR).
Dans cette perspective, les pays sont appelés à installer des dispositifs efficaces de mesure de la qualité de l’air.
« Il incombe désormais aux villes concernées et aux gouvernements nationaux de remplacer les moniteurs de haute qualité exploités par les États-Unis par des dispositifs de surveillance de la qualité de l’air exploités au niveau national, et aux donateurs internationaux d’aider les pays à faible revenu à le faire », a dit Myllyvirta à Mongabay.
Il faudra aussi établir les partenariats et collaborations entre les institutions publiques et privés, ainsi qu’entre les pays, tout en œuvrant pour le développement d’un pool d’expertise nationale.
« La surveillance de la qualité de l’air est encore une thématique émergente dans nos pays, avec de nombreuses recherches à poursuivre et des découvertes qui se font chaque jour. Cela appelle à un renforcement de capacités permanent, appuyé par des transferts de technologies Nord-Sud et Sud-Sud. De même, face à cette menace environnementale majeure, qui ne connaît pas de frontières, seule une action coordonnée entre États, avec des efforts individuels et collectifs, permettra d’améliorer durablement la qualité de l’air », dit Djeri.

PQAT la solution togolaise
Le Togo victime de cette décision du DoS, a lancé en fin avril dernier un projet qualité de l’air au Togo (PQAT). Ce projet est conçu pour mesurer, analyser et améliorer la qualité de l’air dans les grandes agglomérations du pays.
« Depuis 2018, le gouvernement, avec l’appui technique de partenaires comme l’OMS et la Coalition pour le climat et l’air pur, a élaboré un projet national de surveillance de la qualité de l’air, estimé à 4 milliards de francs CFA (soit 6,8 millions USD), pour les cinq premières années et entièrement financé par l’État à ce stade. Dans le cadre de ce projet, il est prévu le déploiement de 23 capteurs dans 23 villes dont Lomé, la capitale », explique Djeri.
Le projet permettra au Togo de déployer des équipements homologués, afin de disposer des mesures de référence pour faciliter la prise de décision et d’initiatives pour améliorer la qualité de l’air.
Image de bannière : Dakar, une ville très polluée, cette image est une preuve. Image de Issiaga_Photography via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
Citation :
Akshaya Jha and Andrea La Nauze (2022), US Embassy air-quality tweets led to global health benefits. PNAS. Vol 119, N°44, e2201092119. https://doi.org/10.1073/pnas.2201092119
Feedback: Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.